« Les données stockées sur le serveur sont intactes. C’est la connexion pour accéder à l’information qui est trop lente ou endommagée ». Par cette métaphore informatique, Bart Boets et son équipe de recherche en neurosciences de l’Université de Louvain en Belgique pourraient avoir transformé la compréhension de la dyslexie. Signe de l’importance de leurs travaux menés chez 23 adultes atteints de ce trouble des apprentissages, les auteurs ont tenu hier une conférence de presse organisée par la prestigieuse revue Science qui publie leur étude.
L'origine de la dyslexie remise en cause
Jusqu’ici, l’hypothèse retenue pour expliquer ce trouble handicapant 5 à 10% de la population était un dysfonctionnent de la phonologie. On pensait, autrement dit, que le cerveau des dyslexiques se faisait une mauvaise représentation phonétique ou phonologique des sons entendus. D’où leurs difficultés à associer correctement les graphèmes (lettres ou groupes de lettres) et les phonèmes (sons de la parole) et leurs confusions fréquentes entre « p » et « b », « t » et « d » ou encore « v » et « f ». En associant deux méthodes d’imagerie, l’IRM et l’IRM fonctionnelle à une technique de décodage cérébral, les chercheurs de Louvain viennent de contredire cette hypothèse. Les cerveaux des 23 adultes dyslexiques qu’ils ont observés se font les mêmes représentations phonologiques des sons entendus que les 22 adultes non dyslexiques participant à l’étude.
« Coupler l’imagerie et le décodage du signal cérébral, c’est comme si vous aviez enfin la possibilité de savoir du même coup si vos enfants sont rentrés à la maison et s’ils font bien leurs devoirs. Nous avons pu observer que les mêmes zones du cerveau s’activaient dans les 2 populations et qu’elles avaient la même activité », explique Hans Op de Beeck, co-auteur de l’étude. Le dysfonctionnement du cerveau dyslexique n’est donc pas dans la représentation du son mais dans l’utilisation qu’il en fait. L’équipe de Louvain a démontré que si les représentations phonologiques créées dans le cerveau des dyslexiques sont les bonnes, la connexion ne se fait pas correctement entre la zone où elles sont stockées et la région où elles doivent être mobilisées quand la personne lit ou écoute et qu’elle a besoin de faire correspondre les sons et les lettres.
Ecoutez Michel Hoen, chercheur CNRS au Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon : « C’est une avancée conceptuelle importante qui répond à une question qui se posait depuis très longtemps. C’est bien l’accès à l’information qui pose problème et pas la représentation en elle-même »
Et le cerveau des enfants dyslexiques ?
La question cruciale qui se pose désormais est de savoir si la situation est la même dans le cerveau en développement des enfants en train d’apprendre à lire et dans celui des adultes, ce qui n’est pas sûr. Le cerveau des adultes dyslexiques pourrait avoir réussi avec l’âge à acquérir les bonnes représentations phonétiques tandis que les enfants cumuleraient des représentations erronées et des difficultés à les mobiliser rapidement et efficacement au moment voulu. Les chercheurs belges ont indiqué avoir déjà commencé à travailler avec un groupe d’enfants âgés de 5 ans et issus de familles à risque de dyslexie. Toutes les informations concernant leurs cerveaux avant l’entrée à l’école primaire ont été enregistrées et les chercheurs de Louvain prévoient de les suivre à différentes étapes de l’apprentissage de la lecture.
Ecoutez Michel Hoen : « Si la situation est la même chez les adultes et les enfants, il faudra changer de façon d’envisager la rééducation »
Des techniques de rééducation à revoir
Jusqu’ici les exercices de rééducation proposés en orthophonie aux enfants dyslexiques cherchent en majorité à créer dans leur cerveau la bonne représentation phonologique associée à chaque lettre ou groupe de lettres. « S’il s’avère que la bonne représentation est déjà stockée dans leur cerveau mais mal utilisée, leur faire répéter « pe » et « be » jusqu’à écoeurement n’est sûrement pas la solution la plus efficace, souligne Michel Hoen. Mais par quels types d’exercices rééduque-t-on l’utilisation en temps réel et en situation de communication de représentations existantes mais difficilement accessibles, ce sera sûrement l’objet d’un autre article dans Science ! » Pour ce spécialiste de la dyslexie, il faudrait probablement plutôt travailler sur la vitesse de traitement et la sélection des flux d’informations pour apprendre en quelque sorte au cerveau dyslexique à ne pas s’encombrer de signaux inutiles et à aller directement à l’information essentielle, en l’occurrence, la représentation phonologique.
En attendant de savoir si cette découverte se confirme chez l’enfant, les cerveaux étudiés confirment ce que les dyslexiques et les spécialistes présupposaient : la dyslexie laisse des traces dans le cerveau qui persistent à l’âge adulte.
Ecoutez Michel Hoen : « On n’arrête pas d’être dyslexique quand on quitte l’école ! Cette difficulté d’accès à l’information phonologique se traduit chez l’adulte par des difficultés de compréhension quand il y a du bruit ou dans un environnement multilingue »
Pour les chercheurs belges, ces résultats illustrent une nouvelle facette de la complexité du cerveau et des mécanismes d’apprentissage. Il ne suffit pas d’avoir l’information disponible et stockée, il faut également pouvoir y accéder facilement pour pouvoir l’utiliser au moment voulu. Bart Boets entrevoit donc déjà un traitement potentiel pour rétablir la communication entre les deux régions du cerveau apparemment en cause : recourir à une stimulation électrique non invasive en appliquant un champ magnétique autour de la tête. Cette méthode est déjà à l'étude contre la dépression et les acouphènes.