- Pourquoi Docteur : Vous avez participé à la réalisation d’un livre qui regroupe les planches d’anatomie de Deyrolle. C’est un livre de médecine ou un livre d’art ?
Dr Gérald Kierzek : Ce n’est pas un livre de médecine au sens où c’est vraiment pour tout le monde, ce n’est pas un ouvrage professionnel, même si cela va intéresser les médecins et créer des vocations. Ce n’est pas un livre d’art non plus parce que ce sont des planches anatomiques scientifiques. Donc disons plutôt que c’est de l’art scientifique !
- Ces planches qui présentent l’ensemble de l’anatomie du corps humain ont une histoire. Pouvez-vous nous la rappeler ?
Deyrolle est une maison scientifique qui équipait l’Education nationale sur tout ce qui était naturel, ce que l’on a longtemps appelé les sciences naturelles. Ce sont les grandes planches qui étaient accrochées sur les murs des classes des écoles. C’est Louis Albert de Broglie qui est propriétaire de Deyrolle qui a eu l’idée de les sélectionner et de les compiler dans un ouvrage.
"Des planches datant du XIXème siècle et qui n'ont pas pris une ride"
Elles datent de fin XXIème-début XXème siècle, elles ont été créées par des anatomistes et on voit qu’elles n’ont pas pris une ride, les muscles sont détaillés jusqu’aux petites fibrilles, on voit bien que même sans la microscopie électronique, ils avaient une bonne vision macroscopique à partir de la dissection.
- La dissection c’est une façon de découvrir l’anatomie et qui a suscité des polémiques …
Oui, et puis cela continue cette polémique avec l’affaire du charnier de Descartes (il s'agit de faits datant de 2019 et concernant les dépouilles de centaines de personnes qui avaient fait don de leur corps à la science et qui, avant d'être utilisées pour la formation des étudiants en anatomie, ont été conservées à la faculté de médecine de Descartes, dans des conditions "ne respectant aucune norme d'hygiène ou éthique", au point que l'on a parlé à l'époque d'un véritable "charnier", NDLR). Mais il y a toujours eu des dissections pour apprendre, depuis l’antiquité !
- Cet ouvrage, au-delà des planches, propose aussi des explications que vous apportez sur le fonctionnement du corps humain. Qu’est-ce qu’elles apportent comme éclairage sur la santé ?
Mon apport puisque je ne suis ni anatomiste ni dessinateur, a été de mettre les conseils de prévention pour que chacun puisse trouver des informations, des anecdotes : pourquoi l’estomac fait du bruit quand on a faim, quelle est la longueur de l’os le plus grand du corps, qu’est-ce qui se passe lorsque se produit une crise cardiaque… et puis comment j’entretiens la machine !
"Sur la mécanique des organes, on n'a rien appris depuis"
Parce que l’idée, c’est que le grand public, de 3 ans à 99 ans, comprenne mieux le fonctionnement du corps humain ! Mon ambition a été de contextualiser, commenter, moderniser.
- Justement, qu’est-ce que l’on a appris de plus sur l’anatomie depuis la réalisation des planches Deyrolle ?
Ce que l’on a appris depuis, c’est le moléculaire et la génétique, on n’avait pas les outils à l’époque. Mais sur la mécanique des organes, on n’a rien appris de plus. On n’a pas plus de détails, sinon en effet sur la génétique, sur l’infiniment petit, le pourquoi du comment. L’imagerie a permis d’aller dans davantage encore de précision … sans faire la dissection !
- Selon la note de l’éditeur, ces planches ont été des outils importants durant des décennies pour la formation des médecins. Est-ce encore le cas ?
Non, elles n’ont plus vocation à être utilisées par les étudiants en médecine. Ils ont d’autres bouquins. Là il s’agit plutôt d’un livre de vulgarisation scientifique. Mais cela peut créer des vocations d’étudiants en médecine, il y a des infirmiers ou médecins retraités qui se passionnent pour ces images, c’est un beau livre dans un langage très accessible. On est vraiment dans quelque chose d’un peu encyclopédique mais pas sur un livre de médecine.
"Il faut connaître le corps pour le comprendre et en prendre soin"
En revanche, pour les lycéens, les collégiens et même les enfants en primaire, certains peuvent passer des heures sur ces planches. Moi-même, avant même de faire médecine, je me passionnais déjà pour l’anatomie en les regardant.
- Vous évoquez l’intérêt que ces planches peuvent avoir pour les plus jeunes. Mais à l’heure où l’on déplore un certain manque de culture générale de ces générations, sur la santé comme dans d’autres domaines, cet ouvrage peut-il éveiller leur curiosité ?
Ces planches sont l’inverse des réseaux sociaux, de l’instantanéité ! On est sur des beaux dessins à regarder. Cela manque à des générations qui n’ont plus de cours de sciences naturelles, rien qui leur permette de connaître le corps humain. Mais il faut connaître ce corps pour le comprendre et en prendre soin.
- Et peuvent-elles aussi être un complément d’information pour tous ceux, de plus en plus nombreux, qui consultent internet pour avoir des réponses sur leur corps et leur santé ?
Bien sûr, cela peut aussi s’adresser aux hypocondriaques ! Mais surtout, j’ai des confrères qui me disent que cela va leur permettre, en consultation, de montrer les choses aux patients. C’est aussi cela la vocation de cet ouvrage qui peut être un outil de relation, de médiation entre patients et médecins. C’est de la vulgarisation au bon sens du terme. Il propose un voyage au cœur du corps humain. Ce n’est pas un livre professionnel. Des enfants aux plus âgés, cela concerne tout le monde, le corps humain cela fascine toujours !
* Deyrolle, leçons d'anatomie - Editions Albin Michel