- Depuis ses 11 ans, Sandra a développé des dépendances à toutes sortes de produits : cannabis, alcool, tabac, médicaments, LSD, ecstasy...
- Aujourd'hui sortie d'affaire, elle raconte sa descente aux enfers et son chemin vers la délivrance.
- Enjeu de santé publique majeur, la consommation de substances psychoactives est responsable tous les ans en France de plus de 100 000 décès évitables par accidents et par maladies.
En ces fêtes de fin d’année, nous avons décidé de vous raconter une belle histoire. Cette belle histoire, c’est celle de Sandra, qui, après des dizaines années d’addiction violente et mortifère à toutes sortes de produits, s’en est finalement sortie.
Addiction : "J’ai commencé le tabac régulièrement à 11 ans"
"Après avoir tiré sur une première cigarette à 7 ans, j’ai commencé le tabac régulièrement à 11 ans. Puis se sont ajoutés au fil des années le cannabis, les drogues de synthèse (LSD, cocaïne, ecstasy...), les médicaments et enfin l’alcool", raconte cette habitante de Saint-Michel-Chef-Chef. "Quand je tombe dans un produit, ça va très vite. Par exemple, pour l’alcool, je suis arrivée à une consommation quotidienne en à peine un mois. Et quand je consomme, je n’ai pas de bouton stop", confie-t-elle.
"Au plus fort de ma dépendance, je prenais des produits tous les jours, sauf les drogues dures que je réservais au week-end ou aux soirées suivies par un jour off. Je fumais alors au moins un gramme de cannabis quotidiennement et un cubi de 5 litres de vin me durait à peine trois jours. Le LSD et l’ecstasy m’accrochaient aussi beaucoup", me dit-elle.
De ses années de dépendance, Sandra garde de nombreux souvenirs, qu’elle couche dans son livre "Journal d’une polyaddict libérée", récemment publié chez Eyrolles Editions.
Adolescente, "j’avais besoin de souffler le soir, de m’isoler, et je fumais frénétiquement" des cigarettes, écrit-elle.
Addiction : "Qu’importe l’alcool, seule l’ivresse comptait"
Après un accident de surf, trois hospitalisations en psychiatrie et un arrêt maladie de deux ans, la situation de Sandra s’aggrave. "J’étais maintenant accro à des drogues légalement prescrites. Benzodiazépines, opioïdes, antipsychotiques, hypnotiques, j’étais complètement ensuquée le jour de la reprise de mon travail d'infirmière", rédige-t-elle. "Je consommais de plus en plus. Je changeais de magasin pour avoir suffisamment d’alcool sans me faire remarquer. J’évitais que ce soit la même caissière. Je baissais la tête. J’achetais des alcools de mauvaise qualité, pas chers. Qu’importe l’alcool, seule l’ivresse comptait", note-t-elle.
"Si je sortais, je consommais avant pour être « bien ». Une fois arrivée, je buvais au rythme des autres pour ne pas me faire remarquer. Je guettais le moment où ils finissaient leur verre pour pouvoir en demander un autre. C’était épuisant. Et pour les pétards, c’était pareil. La plupart du temps, je buvais une bière de 50 cl à 8° et fumais un joint sur la route, et je prévoyais pareil pour le retour", marque Sandra.
Grâce à l’éducation de ses parents, très attachés aux valeurs travail, Sandra parviendra malgré toutes ces consommations à garder son emploi. Mais les difficultés financières et les soucis de santé s’accumulent. "Je vomissais tous les matins et je souffrais de diarrhées. J’avais aussi d’importants reflux gastro-œsophagiens pour lesquels je suis encore traitée aujourd’hui. J’ai également développé une pneumopathie atypique à 24 ans, de l’asthme, une BPCO et des allergies alimentaires", énumère-t-elle.
Début du sevrage : "J’en avais marre d’en avoir marre"
Puis est venu le déclic. A la fin d’une consultation gastroentérologique, un médecin fait comprendre à Sandra que sa vie risque de s’arrêter trop tôt si elle continue comme ça. "J’en avais aussi marre d’en avoir marre", résume notre patiente, qui arrêta donc progressivement de consommer produit par produit pour finir par totalement s’en libérer en mai 2019.
"Je n’ai jamais rechuté, car j’ai gagné énormément de choses à arrêter. Aujourd’hui, je suis beaucoup moins fatiguée, j’ai une capacité d’exécution de mes tâches professionnelles plus rapide, j’analyse mieux les situations de soins et j’ai retrouvé une meilleure mémoire immédiate", se félicite-t-elle. "L’arrêt de mes consommations m’a aussi permis de constater que, malgré le diagnostic posé par les psychiatres qui m’ont prise en charge lors de mes hospitalisations, je ne suis pas du tout bipolaire", se réjouit-elle.
Avec le recul, Sandra sait ce qui l’a fait plonger. "J’ai certainement une fragilité transgénérationnelle, car mon père, mes oncles et mes grands-parents buvaient aussi énormément d’alcool", analyse la bénévole de l'association France Patients Experts Addictions. "Il y avait aussi une part de moi qui voulait se punir de n’avoir pas pu sauver mon père de son addiction", constate-t-elle, faisant également le lien dans son ouvrage entre les agressions sexuelles qu’elle a subies étant petite et une séquence d’alcoolisation massive. "Les drogues me permettaient aussi de dormir et de taire toutes les idées qui m’envahissaient et s’entrechoquaient en permanence dans mon cerveau, peut-être à cause d’un HPI. Je suis par ailleurs hyper-émotive, et mes consommations m’aidaient à gérer ça", poursuit-elle.
Sevrage : "J'ai remplacé une addiction négative par une addiction positive"
A 49 ans, elle sait aussi dire ce qui l’a le plus aidée à s’en sortir. "Je dirais d’abord le soutien indéfectible et bienveillant du groupe d’entraide de femmes ayant été ou étant aux prises avec l’addiction que j’ai rencontré sur Facebook. Le fait de les entendre parler de problèmes qu’elles pouvaient avoir avec des proches dépendants d’une substance a aussi conforté ma volonté de tout arrêter", estime l’infirmière.
"Réussir à remplacer une addiction négative par une addiction positive, comme par exemple la photographie, m’a aussi permis de m’en sortir. Car je suis compulsive dans tout ce que je fais, donc cette astuce m’a donné un cadre qui correspondait à ma personnalité", rapporte-t-elle.
"Comprendre mon histoire familiale et d’où je venais m’a aussi énormément apaisée", juge-t-elle.
Addiction : "Il faudrait repenser les accueils des personnes dépendantes"
Aujourd’hui, Sandra ne se fait pas assez confiance pour boire, fumer ou se droguer avec modération. "Je sais que si je retouche à quelque chose, c’est mort", affirme-t-elle avec lucidité.
Elle se sert néanmoins de ses actuelles études en master, de son parcours de vie, de son statut de patiente-experte, de ses diplômes et de ses compétences d’infirmière spécialisée en addictologie pour aider les personnes accros. "Je conseille à tout individu qui souhaite briser une addiction de commencer par demander de l’aide, car s’en sortir seul est extrêmement difficile. J’invite également les malades à s’informer sur ce qui peut les épauler (suivi psychologique, traitements, etc), puis de choisir quelle voie prendre en fonction de ce qu’ils sont et de leur trajectoire", explique la membre du forum Addict'AIDE et la créatrice de son propre groupe Facebook de soutien. "Je souhaite également souligner dans cet article qu’il faut persévérer, car soigner ce type de problème prend du temps. On s’abime tellement pendant les années de consommation que cela ne peut pas se régler en un coup de baguette magique. Et en cas de faux pas, de glissements vers d’autres addictions ou de rechute, il ne faut pas se culpabiliser, c’est très courant. J’ai moi-même un temps dérivé vers les achats compulsifs", enchaîne-t-elle.
Lorsqu’elle met ses lunettes d’experte en addiction, Sandra relève pour finir quelques failles de notre système de santé concernant cette problématique. "Il faudrait à mon sens repenser les accueils des personnes dépendantes afin de mieux entendre leur demande, et organiser des permanences afin de ne laisser personne sur le bord de la route", considère-t-elle. "Les services d’addictologie fonctionnent aussi selon moi beaucoup trop à coups d’appels à projet, ce qui est excessivement chronophage et pas assez pérenne", conclut-elle.
Enjeu de santé publique majeur, la consommation de substances psychoactives est responsable tous les ans en France de plus de 100.000 décès évitables par accidents et par maladies.