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QUESTION D'ACTU

L'interview du week-end

Addiction : faut-il priver nos adolescents des réseaux sociaux ?

Pourquoi les réseaux sociaux sont si addictifs, notamment chez les jeunes ? Comment réagir en tant que parents face à un ado accro à ces contenus ? On en parle avec le Dr Michaël Larrar, psychiatre et psychanalyste.

Addiction : faut-il priver nos adolescents des réseaux sociaux ? tommaso79/Istock




Pourquoi docteur : Pourquoi les réseaux sociaux rendent nos ados si accros ? Quels sont les risques ?

Dr Michaël Larrar : Il y a plusieurs raisons qui rendent les réseaux sociaux si addictifs. Premièrement, il faut savoir que c’est un lieu d’excitation psychique permanente, immédiate et facile d’accès. Il y a toujours quelque chose à voir pour lutter contre l'ennui. Alors, quand un adolescent va avoir une difficulté dans sa vie, quelle qu’elle soit, il va chercher à dé-penser, c’est-à-dire à ne pas penser. C’est un mécanisme humain, mais le problème, c’est que les réseaux sociaux proposent des contenus pour fuir en permanence. L’adolescent, qui est particulièrement sensible aux toxiques et aux addictogènes, comme le sont les écrans, va donc s’enfermer et rester bloqué dans cette fuite.

“Pour l’adolescent, les réseaux sociaux sont liés au besoin de séduction et d’appartenance à un groupe”

Ensuite, pour comprendre l’addiction aux réseaux sociaux, il faut évoquer le couple exhibitionniste / voyeuriste. On ressent tous un plaisir à se regarder depuis qu’on est enfant : on se montre, on espionne ses parents… Ces plaisirs ne sont normalement pas trop intenses. Le problème des réseaux sociaux est qu’ils les augmentent et les déculpabilisent : on montre notre vie, on s’exhibe, on y joue le premier rôle, sauf que normalement, on doit faire le deuil de la séduction en grandissant. Or, plus on se montre sur les réseaux, plus on se dit que les gens regardent, et plus on se dit que c’est normal. Et puis le fait de voir ce qu’il se passe chez les autres donne aussi une illusion et une satisfaction voyeuriste de tout savoir. À mon époque, les gossip étaient dans le journal chez le coiffeur… On y jetait un œil une fois par mois, tout au plus, parce qu’on l’ouvrait et on se sentait ridicule ! Aujourd’hui, tout est en permanence sur les réseaux sociaux, on est en permanence au courant de tous les malheurs des stars, etc. C’est tellement présent qu’on n’a plus aucun sentiment de culpabilité.

Enfin, pour l’adolescent, les réseaux sociaux sont liés au besoin de séduction et d’appartenance à un groupe. Il a l'impression qu’il faut en être et que s'il n’en est pas, il rate quelque chose, qu'il va être à un moment donné rejeté des autres… Et tous ceux qui se montrent en ayant l’air d’avoir une belle vie augmentent le fantasme. Évidemment, tout ça c’est très fake, très superficiel, et c'est aussi une grande déperdition d’énergie mentale !

"Aujourd’hui en France, c’est quasiment impossible de priver un adolescent des réseaux sociaux"

Est-ce que, en tant que parent, il faut priver son adolescent de ces réseaux sociaux, quitte à ce qu’il se retrouve à part de ses camarades tous ultra-connectés ?

Aujourd’hui en France, c’est quasiment impossible de priver un adolescent des réseaux sociaux, tout simplement parce que l’adolescent ne va pas comprendre pourquoi tous ses copains y ont accès et pas lui. Donc soit il va rejeter cet ordre et tenter de le contourner coûte que coûte, soit il va très mal le vivre. En tant que parents, on est obligés de faire des compromis.
À mon sens, il ne faut pas diaboliser les réseaux sociaux, mais les mettre en garde contre leur superficialité, et leur transmettre nos valeurs en partageant des choses avec eux. Il faut aussi les “embêter” un peu pour qu’ils y aillent moins, en limitant leur temps d’écran et en les poussant à avoir d’autres activités, car les ados avec des passions, comme la musique ou le sport, consomment moins les réseaux sociaux que les autres. Mais, comme naturellement, les ados ont une tendance passive, il faut que les parents aient une position proactive ! Il n’y a pas d'élément magique, c’est un travail quotidien.

Le harcèlement scolaire existait bien avant les réseaux sociaux, mais est-ce que vous pensez que cela l’amplifie ?

Cela amplifie potentiellement son intensité car les ados utilisent les réseaux sociaux de façon extrêmement directe, avec peu de filtres. L’autre problème pour la victime, c'est qu'aujourd’hui, elle souffre aussi chez elle, alors qu’avant, cela ne se passait qu’à l’école. Elle peut voir les choses postées sur les groupes de discussion et peut aussi fantasmer en permanence sur le fait qu'on se moque d'elle sur Internet sans qu'elle le sache. Cela crée une caisse de résonance plus grande.

J’ajoute également que les adolescents sont très sensibles à l'humiliation. Quand on se moque d’eux en classe c’est douloureux, mais sur Internet, c’est insupportable car il y a des traces. À ce titre, c’est important d’apprendre à nos enfants le mal potentiel qu'ils peuvent faire avec une simple vanne. Très souvent, des enfants sympathiques ne perçoivent pas la puissance destructrice de leurs mots, surtout si les autres camarades en rient ! Il faut leur expliquer qu’ils peuvent être la goutte d'eau et qu’une vanne sur un réseau social est beaucoup plus violente dans le psychisme qu'une vanne en face à face.

Réseaux sociaux : “la 'pensée Mcdo' l’emporte sur la pensée de qualité”

Vous dites dans votre livre, Les secrets de nos inconscients (Ed. Librinova), que depuis quelques années, vous êtes “frappé par l’effondrement de la pensée intellectuelle chez vos jeunes patients”, en quoi les réseaux sociaux y contribuent-ils ?

Cela a effondré la lecture, cet exercice qui permet d'être au calme, de réfléchir, d'imaginer, de rêvasser… et donc d’augmenter notre sensibilité et capacité de comprendre les autres ! Avec Internet, on donne aussi l'impression qu'on peut tout savoir tout de suite sans aucun effort. Donc au final, on veut tout, tout de suite, ce qui est le contraire de la réflexion de qualité qui est quant à elle difficile et douloureuse. Il y a même quelque chose de pervers qui s’est installé dans la pensée actuelle : l’idée que si une information est compliquée à comprendre, c’est qu’elle est fausse. Une pensée doit maintenant se résumer en une punchline… Mais une pensée fine est forcément compliquée ! Pour comprendre un philosophe, il faut le lire des jours et des jours pour digérer sa pensée. Actuellement, les “philosophes” des réseaux sociaux s’opposent à cette latence, ils assènent des certitudes, ils font des raccourcis prétentieux et très souvent simplistes et faux… Mais comme ils le disent avec charisme et assurance, c’est pris comme vrai par la communauté. La “pensée Mcdo” l’emporte sur la pensée de qualité.

Comment être optimiste pour l’avenir ?

Comme disait René Diatkine, grand pédopsychiatre français : “tant qu'il reste une étincelle chez un enfant de grandes choses sont possibles”. Alors il faut lutter, tout le temps. Il ne faut pas être défaitiste ou pessimiste, car les adolescents et les enfants ont une capacité de déplacement de leur énergie mentale qui est très grande ! Il faut juste les aider à mettre cette énergie sur les bons objets.

En savoir plus : Les secrets de nos inconscients, aux éditions Librinova.

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