Des analyses d’eau du robinet à Moussac et Boucoiran-et-Nozières, dans le Gard, montrent une contamination de l’eau potable par les PFAS, avec “des dépassements extrêmement élevés” de la norme de qualité fixée par l’Union européenne, a annoncé l’association Générations Futures dans une conférence de presse tenue ce mardi 6 février 2024. Ces villes se situent autour de la plateforme chimique de Salindres, où se trouve une usine du groupe Solvay, l’une des cinq usines de production de PFAS en France. “Cela ne veut pas dire qu’en dehors des lieux de production il n’y a rien, mais ces zones ont des niveaux particulièrement élevés de pollution”, précise le porte-parole François Veillerette. Après moult recherches dans la littérature scientifique, l’association n’a trouvé aucune trace de concentrations aussi élevées en TFA -un PFAS qui sert de “brique de construction” pour d’autres substances, afin d’améliorer leur efficacité, comme les pesticides fluorés, ou encore certains médicaments- ou en acide triflique -un "superacide" utilisé comme catalyseur et précurseur en chimie organique- dans l’environnement, deux des substances produites par l’usine.
“99,9% des PFAS retrouvés dans l’eau potable sont fabriqués par l’usine”
L’association a effectué une dizaine de prélèvements autour du site de la multinationale belge de la chimie, dont trois pour les eaux potables. “Grâce à des techniques avancées telles que la chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse en tandem (LC-MS/MS), le laboratoire a pu quantifier avec précision les différents PFAS présents, y compris des composés spécifiquement fabriqués par Solvay à Salindres tels que l’acide trifluoroacétique (TFA) et l’acide triflique”, détaille le rapport.
Non seulement les concentrations de PFAS au niveau du rejet par l’usine sont “exceptionnellement élevées” avec des valeurs de TFA montant jusqu’à 7,6 mg/L, mais on en retrouve aussi dans des échantillons prélevés à 2km de ce rejet, avec 3,9 mg/L dans l’Avène. “Cela laisse penser à une contamination généralisée du site”, précise Pauline Cervan, toxicologue chez Générations Futures.
Peut-être pire encore, ces substances ont été retrouvées à des concentrations de 19 µg/L pour l’eau du robinet de Boucoiran-et-Nozières et de 18 µg/L pour Moussac, dont l’approvisionnement semble s’effectuer via des captages situés proches du lit du Gard. “99,9% des PFAS retrouvés dans l’eau potable sont fabriqués par l’usine.” À Salindres, où l’eau provient d’un point de captage bien en amont de la plateforme chimique, aucune substance n’a été détectée et quantifiée.
PFAS dans l’eau potable : aucune norme en France
L’Union européenne propose deux normes pour les PFAS : une première indiquant que la somme des 20 PFAS “jugés préoccupants” ne doit pas dépasser une concentration de 0,1 μg/L d’eau potable ; et la seconde fixant la somme de l’ensemble des PFAS à 0,5 μg/L d’eau potable. “La France a décidé de ne pas appliquer ces normes car on ne peut pas encore mesurer l’ensemble des PFAS, mais là, on est sur des dépassements jusqu’à 38 fois plus élevés”, souligne la spécialiste qui précise également que ces normes ne sont même pas des valeurs sanitaires.
TFA dans l'eau potable : existe-t-il un risque pour la santé ?
Peu de données existent concernant les effets du TFA sur la santé humaine, et seuls deux pays européens semblent s’y intéresser. En Allemagne, une valeur sanitaire de 60 μg/L a été fixée, “basée sur une seule étude chronique réalisée sur des animaux… et faite par Solvay”. Ce n’est pas la même approche aux Pays-Bas : “L’agence RIVM (équivalent de l’Anses en France), considère qu’on ne peut pas exclure des effets sur le système immunitaire du TFA comme les autres PFAS qui agissent à des effets bien inférieurs. Elle a donc fixé une valeur sanitaire maximale à 2,2 μg/L, soit une valeur limite bien en dessous de ce qu’on a pu retrouver dans les deux communes”, détaille la toxicologue. “[Générations Futures] n’a pas trouvé d'élément qui permette de rassurer les habitants, il n’y a pas de risque pour la santé exclut, donc c’est aux autorités d’agir pour réduire cette présence de TFA dans l’eau potable, car il y a trop d’inconnus.” Et pour cause, l’entreprise effectue ses rejets avec l’autorisation de la préfecture, qui fixe une “limite” à 20 kg de TFA/jour.
Un cluster de glioblastomes à Salindres
“Plusieurs cas de glioblastomes survenus à Salindres et Roussin ont été signalés par des médecins à Santé publique France”, rapporte également Pauline Cervan, “dont plusieurs chez des membres de l’usine”. L'agence nationale de santé publique confirme un nombre significativement plus élevé de cancers du cerveau dans ces villes que dans le reste du Gard ou de toute la France et mène une enquête pour trouver une explication. “Ils ont évalué l’hypothèse des radiations, et bien d’autres encore, mais pas celle de l’exposition aux perfluorés… On ne dit pas que les PFAS sont responsables, mais Santé publique France doit mener l’investigation en prenant en compte cette hypothèse”, insiste-t-elle.
Générations Futures demande également à l’Anses d’évaluer l’impact du TFA et de l’acide triflique sur la santé et l’environnement, afin “d’obtenir une position sur la toxicité reproductive du TFA ainsi qu’une valeur sanitaire pour l’eau potable”, et plus généralement, une surveillance accrue de la présence de PFAS dans l’eau potable au niveau national avant 2026.
Ce n'est pas le premier scandale qui éclabousse l'entreprise Solvay qui a déjà reçu des accusations de pollution aux PFAS en Italie et aux États-Unis.