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Oncologie

Cancer : « Il y a un risque de dénutrition »

Par le Dr Caroline Pombourcq

L’alimentation joue un rôle important dans la prise en charge d’un cancer. Mais quelle est réellement sa place ? Des réponses avec le Dr Damien Vansteene, oncologue médical à Saint-Herblain(Institut de Cancérologie de l'Ouest).

Kyryl Gorlov/iStock

Pourquoi Docteur : Quelles sont les relations entre alimentation et cancer ?

Dr Damien Vansteene : L’alimentation joue déjà un rôle important dans le cancer, en prévention. On estime, en France, que 40 % des cancers pourraient être évités et que l’alimentation déséquilibrée est responsable d’environ 5,4 % de ceux-ci, comme pour l’obésité, le surpoids et la sédentarité.

Les recommandations du Plan National Nutrition Santé (PNNS) « Manger bouger » permettent de prévenir les maladies cardiovasculaires mais aussi de réduire les risques d’apparition d’un cancer.

Lorsque le cancer est là, il y a un risque de dénutrition (les apports nutritionnels sont insuffisants pour couvrir les besoins). En effet, cela arrive chez environ 40 % des personnes atteintes de cancer. Ça dépend du type et du stade du cancer (plus la maladie est avancée, plus il y a un risque de dénutrition).

« Ne pas mettre une trop grande pression sur la personne malade qui a déjà des difficultés à s’alimenter »

Quelle est la place de l’alimentation dans la prise en charge globale d’un cancer ?

Il faut savoir que le PNNS ne s’applique qu’aux personnes en bonne santé. En effet, chez une personne qui a un cancer, il y a ce qui est appelé un hypercatabolisme, c’est-à-dire qu’une partie des nutriments va être consommée par la tumeur. Il peut y avoir également des difficultés à se nourrir à cause de nausées, de difficultés à avaler en fonction de la localisation de la tumeur, d’un dégoût des aliments, de la fatigue…. C’est pour cette raison que lorsqu’on a un cancer l’apport nutritionnel doit être suffisant, pour la qualité de vie mais aussi pour supporter les traitements et éviter les complications. Et le rôle des aidants est très important pour éviter cette dénutrition. Cependant, comme ils vont vouloir faire plaisir à la personne malade, l’aider dans la prise en charge, il est nécessaire qu’ils ne mettent pas une trop grande pression sur la personne qui a déjà des difficultés à s’alimenter.

Quels aliments privilégier au cours du traitement ? Et une fois le traitement terminé ?

Pendant le traitement, il ne faut pas d’interdit alimentaire, et prendre « ce qui passe » et « ce qui fait plaisir ». L’important est de limiter la perte de poids. On va ainsi privilégier les aliments gras, sucrés et salés. L’inverse donc du PNNS !

Après la maladie, tout dépend de la situation. En effet, pour certains cancers, on va suivre les recommandations PNNS mais pour d’autres non.

Il existe des spécificités selon le type de cancer et de chimiothérapie ?

Il existe des spécificités pour certains cancers. Par exemple, après un cancer du sein, il est conseillé de limiter la prise de poids car sinon il y a un risque plus important de rechute. Pour les cancers ORL ou de l’œsophage, il peut exister des blocages, des problèmes de déglutition et de passage des aliments donc les recommandations sont différentes.

Par rapport à la chimiothérapie, il peut y avoir des interactions médicamenteuses avec le thé vert, le pamplemousse, le millepertuis, que l’on va donc déconseiller. Et tout dépend aussi de la toxicité de la chimiothérapie : si elle donne des nausées ou non.

En ce qui concerne les traitements par immunothérapie, certaines études montrent qu’il faudrait un apport enrichi en fibres. 

Il faut donc des conseils adaptés selon le type de cancer et le type de traitement.

Pendant la chimiothérapie, les nausées et vomissements empêchent souvent de manger, quels conseils donnez-vous ?

Le premier conseil est d’en parler à son oncologue car il existe maintenant un arsenal thérapeutique très large qui permet de ne plus avoir de nausées et vomissements sous chimiothérapie. Et s’il y en a malgré tout, il faut éviter les plats odorants et de manger dans la pièce où le plat a été préparé à cause des odeurs.

Il est mieux de manger froid ou à température ambiante, voire de prendre des sorbets ou glaces, ou de manger de manière fractionnée (en petites quantités et très régulièrement dans la journée), et des plats neutres (pas trop gras, ni trop salés, ni trop sucrés, ni acides ou épicés).

« Il ne faut pas voir d’interdit alimentaire quand on a un cancer »

Que dire des régimes spécifiques type végétariens ou végétaliens ? Ils sont plutôt déconseillés ?

Le régime végétalien induit de nombreuses carences nécessitant des supplémentations (en vitamines…) même chez les gens en bonne santé, donc il n’est pas très adapté aux personnes ayant un cancer.
Le régime végétarien comporte des interdits donc cela peut être compliqué quand on a déjà du mal à manger. D’autant plus qu’il faut des apports nutritionnels plus importants quand on a un cancer.

Concernant le jeûne thérapeutique ou régime cétogène (les glucides sont supprimés et sont remplacés par des lipides et des protéines), il n’y a pas de preuve scientifique de son efficacité, en prévention ou pendant un cancer.

Il est nécessaire de ne pas avoir d’interdit alimentaire quand on a un cancer donc il est préférable de ne pas suivre ce type de régimes.

Et l’alcool ?

Il n’y a pas de vertu thérapeutique de l’alcool bien sûr.

Cela dépend de la quantité et de la fréquence, des envies et du contexte festif ou non. Il est possible d’en consommer mais avec modération et pas de façon excessive et quotidienne.

Il y a une place pour les compléments alimentaires ?

Il faut distinguer deux choses :

- Les compléments nutritionnels oraux qui sont des aliments diététiques destinés à des fins médicales spécifiques et fournis sur prescription médicale pour compenser un manque de calories et protéines.

- Et les compléments alimentaires qui sont des minéraux ou des vitamines, généralement sous forme de gélules, et en vente libre.

Or il est préférable d’avoir une prescription médicale, de ne pas prendre et mélanger tout et n’importe quoi et d’en parler à son médecin ou son oncologue pour ne pas qu’il y ait d’interaction avec les traitements.

Mais si on a une alimentation équilibrée, il n’y a pas lieu de prendre ces compléments alimentaires.

Et la micronutrition ?

Les patients posent souvent la question mais il n’y a pas de données probantes sur la place de la micronutrition donc je ne la conseille pas.

« Il faut évaluer l’état nutritionnel à chaque moment de la maladie, tout simplement en pesant la personne et en comparant les chiffres antérieurs »

Il faut absolument évaluer précisément l’état nutritionnel du patient avant de donner des conseils ?

Il faut évaluer l’état nutritionnel à chaque moment de la maladie, tout simplement en pesant la personne et en comparant les chiffres antérieurs.

On évalue ensuite grâce à une échelle visuelle analogique sur 0 à 10 combien elle mange (de 0 « je ne mange rien du tout » jusqu’à 10 « ce qu'elle mangeait avant »).

La fonte musculaire va aussi être estimée : la personne a-t-elle des difficultés à marcher, à monter les escaliers, à porter des charges lourdes, à se lever d’une chaise…?

Et en fonction de cela, on verra s’il est nécessaire d’aller plus loin dans les tests.

Selon la perte de poids et la fonte musculaire (sarcopénie), on va donner des conseils d’enrichissement ou de fractionnement des repas, ou aller jusqu’à des prescriptions médicales (compléments nutritionnels oraux ou via une sonde ou une perfusion)

La prise en charge diététique et nutritionnelle fait partie des soins de support. Quels autres soins de ce type conseillez-vous dans ce cas ?

Ce sont par exemple la prise en charge de la douleur, celles sociale et psychologique, la mise en place d’activités physiques adaptées. 

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