- Emmanuel Macron a annoncé la mise en place d'une commission sur l'utilisation des écrans par les enfants.
- Les adolescents de 13 à 18 ans passent en moyenne plus de six heures par jour sur des écrans.
- Le Pr Amine Benyamina, co-président de la commission, estime qu'aucune mesure autoritaire ne serait efficace sur ce sujet.
Les enfants ne peuvent plus se passer des écrans ! Si les Français leur consacrent, en moyenne, près de 5 heures par jour, les plus jeunes ne sont pas épargnés par le phénomène : dès l’âge de 2 à 5 ans, les bambins y seraient scotchés durant plus d’une heure et les adolescents jusqu’à 6 heures et demi.
Tous addicts ? A voir, mais, victimes de leur succès, les écrans seraient devenus les responsables tout désignés de tous les maux de la jeunesse ! Au point que le président de la République lui-même s’est emparé du sujet.
"Si on parle des effets pervers des écrans c'est qu'ils ont des effets positifs à côté"
Lors de sa conférence de presse du 16 janvier dernier, il a annoncé la mise en place d’une commission chargée d’évaluer l’impact de leur utilisation par les enfants. Le Pr Amine Benyamina, psychiatre et addictologue et co-président de cette commission, invité de l’émission "La Santé en Questions", fait le point sur ce dossier.
Les écrans sont-ils réellement nuisibles pour les enfants ?
"Non !", répond spontanément Amine Benyamina qui souligne que "si on parle des effets pervers des écrans, c’est parce qu’ils ont des effets positifs à côté". Selon le professeur, le numérique et ses supports – "une avancée technologique fantastique"- facilitent l’accès à la culture, favorisent certains liens sociaux et ont des vertus pratiques qui font qu’il est, selon lui, "quasiment impossible de s’en passer aujourd’hui".
Que sait-on vraiment de leurs effets négatifs sur la santé mentale des enfants ?
"Des publications contradictoires existent sur ce sujet", prévient le Pr Benyamina qui explique cela par le fait que "la mesure pour aboutir à des conclusions est difficile à cerner". "Comment mettre en place un protocole de recherche ?", s’interroge-t-il. Une absence de critères de jugement objectifs que confirme d’ailleurs une revue générale rassemblant plus de 2.400 études portant au total sur près de 2 millions de participants et dont les résultats sont décrits comme "mitigés", travail publié en septembre 2023 dans la revue Nature Human Behavior.
"Les écrans peuvent provoquer des dommages mais pas une vraie pathologie"
A propos du risque souvent évoqué de phobie sociale née d’une utilisation abusive des écrans, le Pr Benyamina se demande "où est la poule et où est l’œuf ?" en précisant que si les écrans peuvent contribuer à une désocialisation, celle-ci ne peut pas être qualifiée de phobie. "La pathologisation de l’usage des écrans est rare, ils peuvent provoquer des dommages mais pas une vraie pathologie", insiste-t-il.
Les écrans inciteraient-ils à la violence ?
Les écrans seraient-ils facteurs d’incitation à la violence ? "C’est un élément très débattu, on ne sait pas vraiment", reconnait Amine Benyamina qui rappelle que si "montrer la violence peut être considéré comme un modèle présenté aux plus jeunes, il faut aussi parler du phénomène de mithridatisation à travers lequel le fait de voir de la violence réduit le recours à cette forme d’expression".
Les écrans responsables de mauvais scores scolaires ?
Davantage de preuves, en revanche, existent sur les effets négatifs de l’abus d’utilisation des écrans sur les performances scolaires.
"Il ne faut pas crier haro sur les écrans"
"Il y a bien un impact sur la cognition et les scores scolaires", souligne le Pr Benyamina en citant l’exemple de la Chine où une limitation drastique de l’utilisation des écrans est imposée pour les jeunes, et où les scores scolaires sont exceptionnels, et en évoquant sa récente rencontre avec un ministre suédois, pays dans lequel les écoles ont effectué un retour au "tout papier" après une phase de "tout numérique". "Mais dans ce domaine, il ne faut pas crier haro sur les écrans, il faut réfléchir à comment organiser leur bon usage", tempère-t-il.
Peut-on réellement parler d’addiction aux écrans chez les enfants ?
"Une addiction, c’est la perte de toute liberté de s’abstenir, ce n’est pas le cas de la majorité des jeunes face aux écrans", explique le Pr Amine Benyamina pour qui "l’addiction est très rare même s’il y a de la nocivité générée par l’usage des écrans".
Pourquoi une commission travaillant sur les dangers des écrans uniquement pour les enfants ?
"Donner la priorité aux enfants lorsque l’on réfléchit au bon usage des écrans, c’est répondre à une plainte de la société qui estime qu’à l’heure où les écrans sont partout, il faut pour les plus jeunes remettre de l’ordre, parce que ce qui est perdu dans l’enfance ne sera jamais acquis", souligne Amine Benyamina.
"Des mesures autoritaires seraient inapplicables en France"
Mais il reconnait qu’il est "impossible de ne pas réfléchir à ce que font les parents, quels modèles représentent-ils pour leurs enfants ?".
Quelles sont les mesures que pourrait proposer la commission ?
Le Pr Amine Benyamina, écarte d’emblée "des mesures autoritaires qui seraient inapplicables en France" en rappelant que "tout interdit entraîne une envie de transgression". Mais il faut "répondre à une attente, remettre de l’ordre et rechercher la balance bénéfice-risque", ajoute-t-il.
"La catégorie socio-professionnelle a un impact sur la consommation des écrans"
Il souhaite que le travail de la commission aboutisse à "des recommandations faciles et applicables par les parents, les écrans étant déjà un objet de conflit dans les familles".
En rappelant que "la catégorie socio-professionnelle a un impact sur la consommation des écrans et que les catégories supérieures intègrent plus facilement les recommandations", Amine Benyamina souligne qu’il "va falloir être inventif pour que les messages soient reçus par les moins favorisés, qu’il faudra aller au-delà des informations qu’il est déjà possible de trouver sur ce sujet".
Et il livre pour conclure une réflexion personnelle à propos du numérique sur les écrans, "un outil fantastique qui a changé la vie mais dont l’usage par les enfants mérite d’être raisonné" mais qui l’incite à rappeler… "l’importance de continuer à se parler en direct !".