Pourquoi docteur - Dans un premier temps, pourriez-vous définir ce qu’est la charge médicale ?
Dr Julie Salomon - On connaît tous la charge mentale qui est le poids cognitif que représente ce qu’on doit planifier, gérer ou faire. Lorsqu'on évoque la "charge médicale", on parle de ce poids pour le seul sujet de la santé.
Tout d'abord, il y a "la charge logistique de santé", qui représente le temps organisationnel consacré à la santé pour soi et ses proches (prise de rdv, gestion des trajets, du temps, des abonnements sécu et mutuelle, des médicaments...).
Ensuite, il y a la "charge mentale de santé", impliquant la nécessité de prévoir les suivis, d’anticiper les renouvellements de traitements, de gérer les besoins urgents, et donc de penser très souvent à ces problématiques.
Enfin, il y a la "charge médicale économique", représentant le budget alloué à ces besoins sanitaires.
Existe-t-il des chiffres pour quantifier ce phénomène ?
Il y a deux ans, Qare a initié avec OpinionWay une étude sur ce sujet, dévoilant des résultats plutôt significatifs ! En ce qui concerne le temps dédié aux tâches médicales, l'enquête a révélé que les femmes, en particulier celles de moins de 50 ans avec des enfants, y consacrent systématiquement plus de temps que les hommes. Par exemple, 33 % des femmes s'occupent régulièrement des aspects administratifs liés à la santé pour elles-mêmes et leur foyer, comparé à 24 % chez les hommes. De même, 21 % des femmes déclarent se tenir régulièrement informées sur les sujets de santé, contre 15 % chez les hommes. Nous avons pu noter également qu'un quart des hommes admettent ne jamais accomplir cette tâche, tandis que seulement 9 % des femmes font de même.
Constatez-vous des faits similaires dans votre pratique quotidienne ?
Oui. Du côté de Qare, une observation notable réside dans la prédominance des femmes parmi nos patientes. En effet, 61 % des adultes recourant à nos services sont des femmes, et les mères représentent 75 % des consultations pédiatriques en ligne. Entre 26 et 35 ans, les femmes effectuent 1,6 fois plus de téléconsultations que leurs homologues masculins, marquant ainsi la disparité la plus significative constatée chez nous.
Comment expliquer ces disparités ?
Ces disparités s'expliquent d’abord par les différences physiologiques entre les sexes, telles que les menstruations, la contraception et la grossesse, qui poussent les femmes à plus consulter tout au long de leur vie.
Par ailleurs, les problèmes de santé spécifiques aux hommes ont tendance à se manifester plus tard dans la vie.
Les inégalités peuvent aussi être renforcées par des biais de genre au sein des politiques de santé publique. Par exemple, la recommandation initiale de vacciner uniquement les filles contre le papillomavirus, bien que le virus puisse également entraîner des complications graves chez les garçons, est orientée.
Enfin, même si de plus en plus de papas s’impliquent dans la prise en charge des enfants, il y a des milieux socio-économiques et culturels dans lesquels la répartition des tâches repose encore essentiellement sur les femmes. Ce n’est pas forcément un tabou, mais les gens prennent cela comme une norme et ne la remettent pas en question.
Quelles sont les répercussions de la charge médicale sur la vie des femmes ?
40 % des femmes ont déjà été contraintes d'annuler des activités de loisirs afin de prendre soin de la santé de leurs proches, tandis que ce chiffre s'élève à seulement 28 % pour les hommes. Cette tendance est particulièrement marquée chez les jeunes mères de famille âgées de 25 à 34 ans, où 20 % déclarent fréquemment sacrifier leur vie sociale et personnelle pour veiller à la santé de leurs proches, comparativement à seulement 4 % des hommes.
Pensez-vous que les outils numériques peuvent jouer un rôle pour alléger la charge médicale des femmes ?
Oui, dans le sens où les femmes ont compris comment ces outils peuvent leur être utiles pour gérer la charge médicale qu’elles portent. En effet, 83 % des femmes de moins de 50 ans estiment qu'ils simplifient les démarches de santé, la même proportion considérant qu'ils apportent un gain de temps.
Il est aussi intéressant de noter que cette reconnaissance du potentiel des outils numériques n'est pas exclusivement celle des femmes. En effet, 60 % des pères de famille estiment que la téléconsultation facilite une répartition plus équitable des responsabilités liées à la santé.
Outre le numérique, voyez-vous d’autres solutions pour alléger la charge médicale des femmes ?
Il serait – je pense – judicieux de générer une plus grande implication des hommes dès la grossesse via les institutions, en incitant par exemple systématiquement les futurs papas à participer aux visites médicales, à être destinataires des courriers médicaux et des convocations à faire consulter leur progéniture (visites de dépistage / prévention), à être désignés comme co-responsables sur les cartes Vitales, ou encore à partager les comptes enfants sur les dossiers numériques (Assurance maladie, DMP, etc...).
Est-ce que la charge médicale est un sujet que vous abordez avec les parents que vous recevez ?
Oui, surtout quand il y a un enjeu de fatigue maternelle et de volume d’obligations prévisible ou effectif (rendez-vous médicaux ou paramédicaux, médicaments à récupérer et à administrer plusieurs fois par jour, remboursements à obtenir, etc... ).
Conseillez-vous aux parents de parler de la charge médicale entre eux ?
Indirectement oui, en les invitant à mieux la répartir.
Est-ce selon vous une bonne chose que la charge médicale soit encore majoritairement portée par les femmes ?
Non, car il n’y pas de raison à cela. Il faut vraiment faire évoluer les choses, sans pour autant précipiter une répartition qui serait mal assumée et donc mal remplie. Comme tout changement, il faut amener les hommes à y trouver un intérêt et à s’approprier ce rôle pour qu’ils l’assument efficacement... Et pourquoi pas, avec un peu de plaisir !