- Hassan, atteint de schizophrénie, a fait sa première crise en 1993. Il a ensuite régulièrement eu des épisodes qui nécessitaient une prise en charge. Il a été hospitalisé tous les ans, jusqu'en 2002.
- C'est en 2002 que le diagnostic de schizophrénie paranoïde est officiellement posé.
- Aujourd'hui rétabli, il est devenu médiateur de santé pair en 2020. Il partage son expérience avec des patients pris en charge pour les aider à comprendre leur maladie.
"La schizophrénie est une maladie psychique chronique complexe qui se traduit schématiquement par une perception perturbée de la réalité et des manifestations productives (idées délirantes ou hallucinations) et passives (isolement social et relationnel)", note l’Assurance Maladie.
Lorsqu’on demande à Hassan Meghzila de décrire son trouble avec ses propres mots, il explique pour sa part qu’il s’agit d’une "personne en souffrance qui s’est créé un scénario de toute pièce dans sa tête grâce à des lectures ou les connaissances acquises pendant sa jeunesse pour se protéger d’un traumatisme".
Schizophrénie : "je pensais que j’étais l’enfant caché du roi du Maroc"
La schizophrénie est apparue dans la vie d'Hassan en 1993 au moment d'une peine de cœur. L’homme qui n’avait alors qu’une vingtaine d'années a plongé petit à petit dans une dépression sévère. Puis doucement, il a sombré dans "un monde étrange et hallucinatoire". "Il était peuplé d’hallucinations visuelles, auditives, et même olfactives", se souvient-il.
"Une de mes premières hallucinations était visuelle. Je jouais aux dames et il y avait une aura noire autour de l’ami que j’affrontais à chaque fois qu’il fronçait les sourcils. Cela revenait à la normale quand son regard changeait." D’autres se sont succédées : "Une autre fois, j'étais allongé chez moi. Il était environ cinq heures du matin et j’ai entendu en stéréo comme si tout le bâtiment avait accouché en même temps. Il y avait des centaines de cris de bébé. Je me suis levé en sursaut et je me demandais ce qu’il se passait. C’était hallucinant, si je peux me permettre le jeu de mots."
En plus des hallucinations, Hassan a connu pendant cette première crise des nuits sans sommeil où il finissait par errer dans la rue. "Deux semaines après, j’étais à bout de force. À cette époque, j’allais souvent au centre des jeunes de mon quartier. Un éducateur spécialisé en voyant mon état a eu le courage de m'emmener à l'hôpital. Cela a été ma première hospitalisation." La première d’une longue liste. Entre 1993 à 2002, il a été hospitalisé chaque année à cause de ses crises.
À chacun de ses épisodes psychotiques, Hassan avait sensiblement le même scénario basé sur la persécution. "Je pensais que j’étais l’enfant caché du roi du Maroc, que j’étais riche, que mes parents étaient en réalité une famille d'accueil. On m’avait mis là, car j’étais un enfant illégitime et qu’en fait, j’aurais dû vivre dans un palais."
Troubles psychiques : "le corps et l’esprit partent en voyage tous les deux"
Hassan a aussi connu des voyages pathologiques. Dans un état dissociatif, il partait, généralement après un conflit familial, sans argent, sans préparatif et sans but. "J’ai ainsi été au Maroc, en Italie et en France. Finalement, j’ai beaucoup voyagé, mais je ne me souviens plus beaucoup des paysages croisés. Le corps et l’esprit partent en voyage tous les deux", confie le cinquantenaire.
Ses périples pouvaient aller de quelques jours à plusieurs semaines. "Le plus long a duré un mois, je suis parti au Maroc sur une idée délirante. Mon père m’a retrouvé et a essayé de me faire sortir de mon délire." Pendant ce voyage pathologique, il a tenté d’aller de Marrakech jusqu’à Casablanca. "J’ai d'abord pris un train puis j’ai voulu continuer à pied. J’ai refait ce trajet en voiture, il y a environ deux ans alors que j’étais rétabli. En parcourant la route, je me suis demandé comment j’avais fait. Il y a 200 km, des déserts et la route est dangereuse. J’ai dû profiter de l’hospitalité marocaine et ne faire en réalité que 50 km à pied, mais je me pose encore des questions", confie-t-il.
"C’est en 2002 qu’on m’a diagnostiqué une schizophrénie paranoïde"
Si Hassan a été très souvent hospitalisé après 1993 en raison de ses nombreux épisodes, il lui a fallu plusieurs années pour avoir un diagnostic. "C’est en 2002 qu’on m’a diagnostiqué une schizophrénie paranoïde. C'est-à-dire que j’avais surtout des symptômes de persécution. Dans les films, ils parlent de dédoublement de personnalité, mais ce n’est pas ça. La personnalité se déstructure et se reconstruit dans un univers où elle peut vivre. C’est une façon de se protéger de la réalité."
Avoir enfin un mot à mettre sur les troubles qui perturbaient son quotidien ainsi que ses relations avec son entourage, a été un soulagement pour Hassan. "On m’a dit que c’était incurable. Je me suis dit, on va faire avec au moins je sais ce que j'ai."
Si lors de cette conversation avec le médecin, il y a vingt ans, c'est la première fois que Hassan se souvient avoir entendu le nom de sa maladie, il reconnaît qu’il est possible qu’il ait été prononcé en sa présence avant. "Quand j’ai consulté mon dossier médical, j’ai vu que lors de la première hospitalisation, l'équipe avait déjà un soupçon à cette époque. Il était écrit : ‘il se pourrait que cela soit les prémices d’une schizophrénie’, soit on me l’a dit et j’étais dans un état qui ne m’a pas permis de l’entendre, soit on ne me l’a pas dit à l’époque. Je ne saurais le dire."
Schizophrénie : "Je n’ai plus de crises désormais"
Après ce diagnostic officiel, un traitement de nouvelle génération contre la dépression et les troubles psychotiques lui a été prescrit. S’il est difficile de parler de guérison avec la schizophrénie, Hassan est rétabli. "Je n’ai plus de crises désormais. Je suis suivi par un psychiatre tous les deux mois, mais je ne prends plus de médicaments depuis trois ans."
"Avec l’accord de mon médecin, j’ai stoppé les médicaments, car j’avais un désir d’enfant avec ma compagne et les tests laissaient penser qu’ils pouvaient impacter la qualité du sperme. Et finalement, je ne l’ai pas repris depuis, car je n’ai présenté ni symptômes positifs, ni négatifs, ni hallucinations depuis l'arrêt."
Pour maintenir cette stabilisation du trouble, Hassan fait toutefois attention à plusieurs points de son hygiène de vie : avoir un cycle du sommeil régulier, faire de l’exercice et manger sainement. "J'évite les produits transformés, tout ce qui contient des perturbateurs endocriniens pouvant impacter le microbiote, je mange du sucre avec modération et bannis les édulcorants pour éviter de perturber l’équilibre hormonal. Je mange en priorité des produits naturels, des plantes, des légumes et des fruits."
Ces astuces apprises du corps médical ou de ses propres recherches, celui qui était auparavant gardien de musée, les partage dorénavant avec d'autres malades. Il est, en effet, devenu médiateur de santé pair en 2020.
Médiateur de santé pair : "On partage notre expérience du rétablissement avec les patients"
"Cela faisait un moment que j’avais envie de changer de métier pour aller vers l’aide à la personne. Mais je ne trouvais pas de pont possible entre la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière, car je n’avais pas de diplôme dans le médico-social", explique Hassan. C’est son psychiatre qui lui apporte la solution lors d’une séance.
"Il m’a alors parlé du métier de médiateur de santé pair. Les établissements médico-sociaux ou centres hospitaliers, nous engagent sur notre expérience du rétablissement. Elle peut être soit liée à un trouble psychiatrique, soit à un parcours de rue, soit à une addiction. On partage notre expérience avec les patients : on les aide à comprendre ce qui leur arrive et comment ils peuvent lutter contre leurs troubles."
Hassan s’épanouit totalement dans cette nouvelle profession. "Si j’avais su plus tôt que je pouvais faire ce métier grâce à mon expérience, je l’aurais fait bien avant sans hésiter."
En plus d’apporter son soutien aux personnes ayant des troubles psychologiques, il a décidé de participer aux journées de la Schizophrénie du 16 au 23 mars 2024, pour sensibiliser le grand public à cette maladie et combattre la stigmatisation qui l’entoure. "Les films ne nous aident pas à réduire les préjugés, on y voit beaucoup de choses fausses ou négatives sur la schizophrénie. Ils ne parlent jamais des gens qui s’en sortent", déplore-t-il.
Et pourtant entouré par des professionnels de santé et ses proches, un rétablissement peut être possible. Hassan en est la preuve. "Oui, parfois, on n’est pas au top et les humeurs peuvent être fluctuantes, mais on peut se stabiliser. Je suis fier de m'être rétabli malgré toutes les difficultés. Il faut avoir confiance", conclut Hassan.