"J’ai eu mes règles à 11 ans. Dès leur apparition, elles ont toujours été accompagnées de douleurs dans le bas du ventre, qui s’étendaient au dos. Plus les mois passaient, plus j’avais mal. Par exemple, il m’arrivait de ne pas pouvoir jouer avec mes copines et de rester au lit pendant une semaine", confie Judy, qui est aujourd’hui âgée de 23 ans. Face aux dysménorrhées de la jeune fille, sa mère décide de prendre un rendez-vous chez un gynécologue, qui lui prescrit un anti-inflammatoire non-stéroïdien (Antadys). "À cette époque, tout le monde pensait que ce médicament était efficace pour soulager les douleurs menstruelles. Cependant, à mes 12 ans, il ne faisait plus effet sur mon corps."
Ainsi, celle qui est aujourd'hui devenue auxiliaire de crèche souffrait constamment. "J’avais beaucoup d’absences en cours et de mauvaises notes, car il était impossible de me concentrer à cause des douleurs. De plus, je somnolais puisque les traitements que je prenais, même s’ils ne fonctionnaient pas, m’endormaient." Sa mère ne lâche pas l’affaire et prend la décision de consulter différents praticiens. Ces derniers lui demandent de faire une imagerie par résonance magnétique (ou IRM). "Cet examen n’a rien révélé. Pourtant, j’avais toujours mal, mais je ne savais pas ce que j’avais. Les médecins m’ont dit que c’était normal d’avoir des douleurs et que toutes les femmes vivaient ça", se souvient la patiente.
"Dans mon cas, le tissu endométrial est un peu partout : estomac, ovaires, intestin, reins, dos…"
C’est à ses 17 ans qu’elle comprend que ses douleurs sont anormales. "En 2017, j’étais en BTS. À cause de mes douleurs, j’allais souvent voir l’infirmière, qui avait fait une formation spécialisée dans l’endométriose et s’était réellement inquiétée pour moi. Grâce à elle, plusieurs aménagements, comme les cours en ligne ou en visioconférence, ont été mis en place pour moi mais aussi pour mes neuf autres camarades qui avaient des dysménorrhées. De plus, elle m’a recommandé plusieurs spécialistes qui pensaient être au clair sur cette maladie gynécologique", dont 10 à 15 % des femmes en sont atteintes en France.
En décembre, la Parisienne fait une batterie d’examens. Verdict : elle souffre d’endométriose et plusieurs zones corporelles sont touchées. "Cette pathologie est définie par la présence, en dehors de l’utérus, d’endomètre (c’est-à-dire de fragments de muqueuse utérine). Ces cellules, qui migrent, s’accrochent à d’autres organes, ce qui provoque une inflammation et ainsi des douleurs pendant ou en dehors des règles. Dans mon cas, le tissu endométrial est un peu partout : estomac, ovaires, intestin, reins, dos…"
Au début de l’année 2018, elle est orientée vers différents spécialistes, qui lui apprennent qu’elle est atteinte d’une forme sévère d’endométriose. Judy présente les "cinq gros symptômes" de la pathologie : des douleurs pendant ses règles qui durent une semaine et dont le flux est abondant les quatre premiers jours, la dyspareunie (des douleurs pendant les rapports sexuels), une incapacité à bouger et à se déplacer en cas de douleurs, des vomissements et des nausées ainsi que des étourdissements. En outre, elle souffre de maux de dos, de brûlures d’estomac, d’une fatigue chronique et a des reins plus sensibles. "Je tombe aussi très souvent malade. Étant donné que mon corps se bat déjà contre l’endométriose, mes défenses immunitaires sont moins nombreuses à combattre les infections", déplore la vingtenaire.
Endométriose : "J’ai essayé au moins sept pilules qui n’ont pas fait effet"
Pour traiter cette affection, les professionnels de santé lui prescrivent un traitement hormonal. "J’ai essayé au moins sept pilules, qui n’ont pas fait effet et ont provoqué soit des spotting (à savoir des saignements vaginaux survenant en dehors de la période des menstruations), soit des règles abondantes durant une à trois semaines. Malgré cela, les médecins m’ont dit de faire preuve de patience, mais je n’en pouvais plus d’avoir sans cesse mal ! Personne ne pouvait comprendre ce que je ressentais… Ça brûlait, ça piquait, j’avais l’impression que ma peau se tordait, j’avais des contractions aussi. C’était un mélange de sensations que je ne peux pas expliquer", s’exclame la patiente.
Afin de trouver une solution pour soulager ses douleurs, elle fait le tour des hôpitaux de Paris avec sa mère. Dans le premier établissement, les praticiens lui disent que ces douleurs sont liées à son surpoids et qu’elle doit ainsi perdre quelques kilos. "Je ne comprenais pas ce raisonnement, donc nous sommes allés dans un autre hôpital. Une des gynécologues m’a prescrit une pilule et du Neurontin, un médicament utilisé pour traiter les douleurs persistantes causées par des lésions des nerfs. Je devais les prendre tous les jours, mais au bout d’un moment, ils n’étaient plus efficaces. J’ai alors augmenté les doses sous les conseils de la spécialiste. Problème : ce traitement très puissant me faisait sans cesse vomir. Je lui en ai donc parlé, mais elle ne m’a pas écoutée", explique l’auxiliaire de crèche, qui n’a désormais plus de gynécologue et est uniquement suivie par son médecin traitant.
Durant l’adolescence, "j’étais stressée, anxieuse et j’ai même souffert de dépression"
À cette période-là, son employeur et ses collègues ne sont pas du tout au fait sur l’endométriose et lui reprochent alors ses nombreuses absences. "Ils ne comprenaient pas que ça ne me faisait pas plaisir de ne pas travailler. Quand j’étais en arrêt, je n’étais pas payée, car il n’existait pas de congé menstruel. Heureusement que je vivais chez mes parents et qu’ils m’aidaient pour financer mes frais de santé, car malheureusement, ce n’est pas le cas pour tout le monde et l'accès des femmes au statut d'affection longue durée (ALD) est difficile à obtenir."
La vie sociale de la Parisienne en prend également un coup. "Étant donné que la fréquence et la durée des douleurs sont variables, on ne peut rien prévoir, par exemple des soirées avec des amis, car on ne sait pas à quel moment elles arrivent. Pendant une bonne période de mon adolescence, j’ai arrêté de vivre et ça me tuait. J’étais seule, très triste, je pleurais souvent, j’étais stressée, anxieuse et j’ai même souffert de dépression." Avec du recul, la vingtenaire estime que rester seule n’est pas la "meilleure chose à faire". "Quand on est au plus bas, il faut être entourée. Même si l’on est allongée dans son lit, ça fait toujours du bien d’avoir quelqu’un à côté de nous ou au téléphone. Ça nous ramène à la vie."
"Ma psychiatre ne me jugeait pas et ne me regardait pas avec de la pitié, ce qui est très désagréable"
Après cette période sombre, elle s’est, pendant très longtemps forcée à sortir. "Je savais que sans contact avec mes copines, je ne pouvais pas avoir de vie sociale alors que j’avais envie d’en avoir une." En grandissant, la jeune femme avoue s’être rendu compte que le fait de se forcer avait des limites, surtout au niveau de son organisme. C’est à ce moment-là qu’elle décide de sensibiliser son entourage à l’endométriose. "Je voulais que mes amies comprennent que je ne pouvais pas sortir, car je ne pouvais pas bouger et non parce que je n’en avais pas envie ! Je me suis donc bien informée sur ma maladie et ensuite je leur ai envoyé et partagé des documents. Certaines ont rapidement compris ma souffrance, en particulier lorsqu’elles me voyaient en pleine crise."
Durant ces moments difficiles, sa psychiatre l’a également bien aidé. "Elle m’a appris à continuer à vivre en me donnant des astuces pour mieux gérer et calmer la douleur. Par exemple, le fait d’avoir toujours une petite bouillotte avec moi ou l’utilisation d’un électrostimulateur qui n’est malheureusement pas remboursé. Cette spécialiste m’a aussi conseillé d’occuper mon esprit durant les douleurs en dessinant, en lisant un livre ou en continuant à préparer à manger. Ce sont des choses qui semblent être simples, mais en cas de crise, c’est dur à faire." Avec cette professionnelle, Judy a aussi pu complètement se livrer. "J’ai pu parler à cœur ouvert, car elle ne me jugeait pas et ne me regardait pas avec de la pitié, ce qui est très désagréable. De plus, avant d’être suivie par une psychiatre, je me disais que j’étais une incapable alors que ce n’était pas le cas. J’avais juste un handicap que je n’ai pas choisi d’avoir !"
Endométriose : "un dérivé de l’opium" et parfois "du CBD" pour soulager ses douleurs
Aujourd’hui, la patiente combine les astuces de sa psychiatre et un médicament prescrit par son médecin généraliste pour atténuer ses douleurs. "Il s’agit d’un dérivé de l’opium que je dois prendre uniquement deux fois par jour, car il y a des risques élevés d’overdose en cas de fortes doses. Ce traitement me soulage réellement, mais il m’endort. De temps en temps, je consomme aussi du cannabidiol (CBD) sous forme d’huile, de gummies, de baume de massage ou en infusion." Grâce à ses différents remèdes, l’auxiliaire de crèche a retrouvé une vie sociale et est moins absente au travail. "Mon employeur actuel est très très compréhensif. Lors de l’entretien, je l’ai prévenu que je souffrais d’endométriose. Il a alors mis en place un système pour pouvoir me remplacer directement lorsque je suis en arrêt maladie à cause de mes douleurs."