Pourquoi docteur : Qu’est-ce que la procrastination ?
Khadija El G. : La procrastination dans le jargon sociétal tel qu'on l'entend, on a l'impression que c'est la flemme, une forme de paresse. Mais en fait, cela va bien au-delà de la paresse. Si l’on suit la définition de Steel Piers, un psychologue canadien, qui a œuvré et fait des recherches sur le sujet, il s'avère que ce n'est pas du tout de la paresse. C'est un comportement délibéré, une action que l'on va retarder, mais qui va avoir des conséquences négatives.
De quelles conséquences négatives s’agit-il ?
On va se mettre délibérément dans une situation stressante, où on sait qu'on va devoir fournir un effort qui va nous demander un surplus de concentration, d'activité, etc. C'est l'arbre qui cache un peu la forêt car cela va provoquer aussi de l'anxiété.
Pourriez-vous nous évoquer une situation concrète ?
Oui, par exemple, si je dois déménager mon garage, à terme c'est quelque chose qui me concerne moi. Il n'y a pas forcément d'incidence, c'est-à-dire qu'il n'y a personne qui attend cette action-là, si ce n'est moi. Mais effectivement, je vais peut-être davantage procrastiner et me dire je le ferai plus tard, etc. Malgré tout, il n'y a pas de coût psychologique derrière, dans le sens où, lorsque l'on est dans un travail ou lorsqu'on est dans une situation scolaire, il y a quand même une deadline. Et cette deadline, elle nous met un peu dans une situation d'urgence.
"C'est quelque chose qui ne va pas s'arrêter tant qu'on ne le fait pas"
Est-ce un mal psychologique ?
C'est un mal psychologique à partir du moment où, comme je le disais, cela procure et génère de l'anxiété. Cela va aussi générer des schémas particuliers d'évitement, qui ne sont cependant pas dans le déni parce qu'on a conscience de ce qui est en train de se générer pour nous, à savoir j'ai une tâche à faire, j'ai mon mémoire à rendre, j'ai mon rapport de travail que je dois déposer sur la table à telle heure... Donc c'est quelque chose qu'on va avoir en toile de fond, comme un fil rouge finalement qui est là et qui ne va pas s'arrêter tant qu'on ne le fait pas. Cela est néfaste car à chaque fois on va être dans des schémas spécifiques, soit de stratégie d'évitement, soit d'apaisement du stress en faisant quelque chose de l'ordre du plaisir, ou en trouvant quelque chose qui va venir calmer cette situation-là en se disant finalement qu'on a autre chose à faire, comme s'occuper des enfants, faire le ménage, etc.
Quelles sont les personnes les plus enclines à procrastiner ?
Nous n’avons pas encore déterminé clairement s'il y avait des profils types, si oui ou non on est plus enclin à être procrastinateur. Je pense que c'est lié aussi à notre environnement, avec nos croyances qui sont internalisées. Exemple, si moi j'ai la croyance que j'ai besoin d'être dans le feu, dans l'urgence pour terminer un rapport, un mémoire, un compte-rendu, si j'ai cette croyance que je suis très productive dans ces moments-là, je vais l'internaliser, et au final, je vais avoir tendance aussi à procrastiner, à me dire, de toute façon, étant donné que je sais que je m'en sors à chaque fois un peu sur le fil du rasoir, je vais avoir tendance à reproduire ce fonctionnement. Donc c'est aussi peut-être lié à des schémas de fonctionnement interne.
"Si j'ai la croyance que je suis hyper productive, lorsque je suis dans le speed, forcément à chaque fois je vais le réitérer"
Comment lutter contre la procrastination ?
Pour lutter contre cela, je crois qu'il y a une question très importante à se poser : pourquoi je dois le faire ? Quel est le sens de ce travail ? Pourquoi est-ce que finalement je le fais, ce job-là ? Qu’est-ce qui m'attend, est-ce-que c'est pour moi ? Est-ce-que c'est pour l'autre ? Quel en est le sens ? Ensuite, il faut venir un petit peu séquencer cette activité-là, c'est-à-dire si demain je sais que j'ai un rapport à rendre et qu'il me faut 50, 100 ou 200 pages, je sais pertinemment que je vais me mettre dans le mal. La question est “pourquoi est-ce qu'à chaque fois je m'inflige cela ?”. Il faut réfléchir à son comportement, essayer de s'étudier soi-même, s'auto-analyser. Si j'ai la croyance que je suis hyper productive, comme je disais tout à l'heure, lorsque je suis dans le speed, forcément à chaque fois je vais le réitérer. En revanche, si je pars en amont, je vais essayer quand même de changer ce fonctionnement-là et de voir comment je m'en sors.
Et sur les tâches du quotidien, comment lutter ?
Dans la vie quotidienne, effectivement, à quel moment, par exemple, je laisse traîner cette pile de linge qui m'attend alors que je sais très bien que si je ne fais rien, je vais me retrouver avec une grande pile et je ne vais pas arriver à terminer tout cela, ou cela va me prendre une journée entière alors que si je le faisais de manière séquencée, cela serait plus pratique. Il y a effectivement la question de la fatigabilité. Nous sommes dans une société où on est hyper stimulé, hyper surchargé aussi en termes d'activité. Donc on n'a pas le temps de se poser et de réfléchir à ses propres besoins et de se dire « Ok, peut-être que je vais faire les choses différemment », trouver une organisation plus souple par rapport à ce qu'on fait habituellement. Il va y avoir des moments où j'aurai peut-être plus d'énergie et c'est OK, il y en aura d'autres où j'en aurais moins et c’est OK aussi. Le tout est de réapprendre à se recentrer sur ses besoins.
"On ne sait pas être dans l'être"
Comment se recentrer ?
Il y a un moment donné, je crois qu'il faut qu'on nous apprenne à nous recentrer ! Quelle énergie j'ai ? Quels sont mes besoins ? De quelle manière je me concentre ? Il ne faut pas être tout le temps dans la productivité. Il faut apprendre à être dans l'être. On nous apprend toujours à faire : faire la vaisselle, faire les tâches ménagères, faire son sport, faire du travail. Donc, on ne sait pas être dans l'être. C'est-à-dire simplement, apprendre à se remettre au centre et à se dire, OK, maintenant, de quoi ai-je besoin ? De quoi ai-je envie? Qu'est-ce qui fait sens pour moi ? Et petit à petit, réapprendre à s'écouter aussi en termes d'énergie, de besoins émotionnels, de besoins physiologiques. Peut-être que parfois, j'aurais plutôt besoin de dormir que de faire ou produire.