Lorsqu’on vous demande d’imaginer une plage de sable fin, votre maison ou vos enfants, rien ne vous vient en tête… Vous avez même du mal à comprendre cette consigne ? Vous êtes peut-être touché d’aphantasie. Il s'agit de l'incapacité à créer des images mentales dans votre tête. Ce trouble a été mis en lumière par le professeur Adam Zeman de l'Université d'Exeter en 2015.
Près de 10 ans après sa première publication, l’expert britannique a passé en revue une cinquantaine d'études récentes sur l’aphantasie pour résumer les connaissances acquises au cours des dernières années. Sa méta-analyse est parue dans la revue Trends in Cognitive Sciences le 24 mars 2024.
Aphantasie : entre 1 % et 5 % de la population concernée
L’aphantasie touche environ 1 % de la population. Ce taux peut grimper à approximativement 5 % si on applique des “critères d'inclusion plus généreux”, selon le spécialiste. Son étude montre que ces personnes qui ne peuvent pas visualiser une image dans leur esprit, sont aussi moins susceptibles de se souvenir des détails d'événements personnels passés importants ou de reconnaître des visages. La sphère visuelle n’est pas la seule concernée. Créer d'autres types d'images, comme imaginer de la musique, peut aussi leur être compliqué.
Interrogée lors de ces travaux, l’aphantasique Mary Wathen a confié qu’elle avait par exemple du mal à jouer à des jeux de rôle avec ses enfants en raison de son incapacité à imaginer des objets qui ne sont pas présents. Elle a aussi des difficultés à se souvenir de faits ou de chiffres ou même à visualiser ses proches quand elle pense à eux. "J'ai trouvé assez triste d'apprendre que d'autres personnes peuvent évoquer l'image de leurs enfants lorsqu'ils ne sont pas là. J'adorerais pouvoir faire ça, mais je ne peux tout simplement pas – mais j'ai appris à compenser en prenant beaucoup de photos, afin de pouvoir revivre ces souvenirs à travers ces images."
Parmi les autres éléments découverts sur cette particularité par les chercheurs, les individus touchés d’aphantasie sont plus susceptibles d’exercer une profession scientifique. "La recherche indique que l’aphantasie n’est pas une entité unique, mais qu’elle comporte des sous-types. Par exemple, toutes les personnes atteintes d’aphantasie n’ont pas une mauvaise mémoire autobiographique ou des difficultés à reconnaître les visages, et chez une minorité de personnes, l’aphantasie semble être liée à l’autisme", ajoute le Pr Zeman dans un communiqué.
Aphantasie : quelles sont les causes possibles ?
Selon les données recueillies, l’aphantasie est souvent héréditaire, et pourrait donc avoir une base génétique. "L'analyse du professeur Zeman démontre que le fait que les individus souffrent d'aphantasie ou d'hyperphantasie – une imagination visuelle, particulièrement vive – est lié aux variations de leur physiologie et de leur connectivité neuronale dans le cerveau, ainsi qu'à leur comportement", indique l’étude.
"Malgré le profond contraste dans l’expérience subjective entre l’aphantasie et l’hyperphantasie, les effets sur le fonctionnement quotidien sont subtils : le manque d’imagerie n’implique pas un manque d’imagination. En effet, le consensus parmi les chercheurs est que ni l’aphantasie ni l’hyperphantasie ne constituent un trouble. Ce sont des variations de l’expérience humaine avec des avantages et des inconvénients à peu près équilibrés", précise l’expert dans le domaine.
Une opinion partagée par Mary Wathen. Elle aimerait également une meilleure prise en compte de cette particularité. "Je pense qu'il est vraiment important de faire prendre conscience que certaines personnes n'ont tout simplement pas cette capacité (à visualiser) – d'autant plus que l'utilisation de l'imagination visuelle est un moyen clé pour apprendre aux jeunes enfants à apprendre et à s'impliquer. Les enseignants du primaire doivent savoir que certains enfants ne sont tout simplement pas capables de visualiser et que c'est peut-être la raison pour laquelle ils ne s'engagent pas dans ce genre d'activités. Nous devons veiller à répondre aux besoins de tout le monde et encourager d’autres façons d’apprendre et de s’engager", ajoute la femme qui est incapable de visualiser une image.