Les premiers signes remontent en 2012, alors qu’il était étudiant en faculté d’histoire. "Je me suis rendu compte que j’avais des fourmis dans les pieds, persistantes. Elles n’ont pas disparu pendant toute une semaine, se souvient Vincent*, aujourd'hui âgé de 33 ans. Mes pieds étaient comme insensibilisés, je les sentais mais je ressentais une gêne persistante, comme celle quand on se réveille après avoir dormi sur son bras. Ce que j’ai compris après coup, c’est que cela devait être la première poussée."
Dans un premier temps, le jeune homme ne s’est pas inquiété et a gardé ces fourmis pour lui, pour la simple et bonne raison qu’elles ont fini par s’éclipser. "Mais la gêne est revenue. J’ai donc consulté mon généraliste qui m’a envoyé aux urgences pour faire une IRM." Urgences et IRM faisant rarement bon ménage, on le renvoie chez lui, mettant ses troubles sensitifs sur le compte du stress lié à ses examens. "Finalement, au bout d’un an, sur conseil de mon oncle médecin, j’ai consulté un neurologue." Quelques tests plus tard, le diagnostic tombe, c’est un début de sclérose en plaques. "J’ai la version 'sympa', la plus répandue, celle qui fonctionne par poussées, pas celle qui te met en fauteuil en une décennie." En langage scientifique, la SEP récurrente-rémittente, pas la SEP progressive (qui concerne 15 % des cas).
"J’ai la version 'sympa' de la SEP, celle qui fonctionne par poussées"
22 ans, c’est évidemment très jeune pour apprendre qu’on est atteint d’une maladie potentiellement grave, d’autant que l’âge moyen d’apparition des symptômes (picotements, engourdissement, faiblesses musculaires, troubles visuels, moteurs...) est de 30 ans, et même au-delà chez les hommes. Pourtant, pour Vincent, "c’était plutôt un soulagement". "J’étais content d’avoir le diagnostic, de comprendre enfin pourquoi j’avais des fourmillements dans les pieds et les jambes tout au long de la journée. Et puis, j’ai très vite été mis sous traitement." En l’occurrence sous immunomodulateurs, des médicaments destinés à réguler le système immunitaire et ralentir la progression du handicap. "Une injection toutes les deux semaines. Pas trop contraignant", selon lui.
Aujourd’hui, après plus de dix ans de piqûres, les symptômes semblent heureusement stagner et se cantonner aux premiers. "J’ai globalement moins de sensations dans les jambes, et surtout les pieds (pour l’anecdote, avant j’étais très chatouilleux des pieds, aujourd’hui plus du tout...) mais sinon, rien à signaler dans les autres parties du corps." Reste néanmoins cette sensation d’épuisement chronique, que décrivent la plupart des patients atteints de SEP. "Je suis vite fatigué, par la maladie mais aussi par le traitement. Les deux jours suivant la piqûre sont particulièrement compliqués. C’est une fatigue globale, je peux dormir 12 heures par nuit et me sentir quand même fourbu au réveil. Mais de là à savoir si c’est spécifiquement lié à la SEP... Je connais beaucoup de trentenaires qui sont constamment épuisés alors qu’ils ne sont pas malades ! (rires)"
"Je suis vite fatigué, par la maladie mais aussi par le traitement"
Il y a six ans, Vincent s’est lancé dans un périple de plusieurs mois à vélo sur les routes des Etats-Unis. Une manière de se prouver à lui-même qu’il était encore capable de mettre son corps à rude épreuve ? "Je ne l’ai pas conscientisé comme ça à l’époque, mais peut-être que c’était lié, je me pose de temps en temps la question." Toujours est-il que sa maladie est parfois une source de motivation pour faire des choses aujourd’hui, avant, peut-être, de ne plus pouvoir demain. Il en sait quelque chose, en tant que journaliste freelance vidéo travaillant des deux côtés de l’Atlantique. "Récemment, par exemple, je devais aller en Alabama pour un reportage et, objectivement, je n’en avais pas follement envie. Mais je me suis dit : 'Peut-être que dans dix ans, tu marcheras en béquilles et tu ne pourras plus porter tout ton matériel et exercer ton métier, donc fais-le tant que tu peux le faire, tu dormiras la semaine prochaine.' Il m’arrive d’avoir ce genre de réflexion, mais j’y pense sans le formaliser, sans pensée morbide."
"Je ne m’imagine pas en béquilles ou en fauteuil dans l’avenir"
Fauteuil, béquilles... Comment vit-on avec cette probabilité qu’un jour peut-être, la pathologie s’aggrave en handicap irréversible ? S’il y "pensai[t] au début", le Breton d’origine, d’un naturel plutôt "nonchalant", ne se dit "plus tellement anxieux". Pas vraiment d’épée de Damoclès au-dessus de la tête, comme le confirment d’ailleurs une fois par an une IRM de contrôle et une consultation chez son neurologue. "Mes symptômes stagnent depuis tellement longtemps que je fais peut-être partie des cas qui ne font qu’une seule poussée ou qui réagissent très bien au traitement. Je ne me rends presque même plus compte de la gêne dans les jambes et les pieds, et je gère la fatigue. Donc je ne m’imagine pas en béquilles ou en fauteuil dans l’avenir. Je vis plus ou moins comme si ce n’était pas là." A tel point qu’il ne songe même pas, du moins pour l’instant, à demander une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). "Je le ferais sans doute le jour où je serais en CDI, car cela permet d’avoir des horaires aménagés. Mais mon degré d’invalidité n’est peut-être pas suffisant pour avoir une RQTH !"
"Pour être tout à fait honnête, j’ai un peu le sentiment de l’imposteur car j’ai peu de symptômes. A côté de mon cas, je vois des gens atteints de SEP qui se rapprochent de mon âge et qui sont dans des situations bien pires que la mienne, où la marche commence à être difficile. Mais en fait, je ne me dis pas ‘Ça pourrait être moi dans 5 ans’, mais plutôt 'ah bah je n’ai vraiment pas grand-chose moi !', comme un bienheureux." Chanceux dans son malheur, en quelque sorte ? "Je ne considèrerais même plus ça comme un malheur. C’est simplement quelque chose qui fait partie de moi..."
*Le prénom a été modifié