ACCUEIL > QUESTION D'ACTU > “Les enfants qui ont une sclérose en plaques ne doivent pas changer leur vie”

Semaine de sensibilisation à la SEP

“Les enfants qui ont une sclérose en plaques ne doivent pas changer leur vie”

Par Alexandra Wargny Drieghe

Zoom sur la sclérose en plaques de l’enfant et l’adolescent avec le Pr Deiva Kumaran, neuropédiatre à l’Hôpital Bicêtre et coordinateur du centre de référence des maladies inflammatoires rares du cerveau et la moelle (MIRCEM).

LanaStock/Istock

Pourquoi docteur : Quelle est la prévalence de la sclérose en plaques chez l’enfant ?

Pr Deiva Kumaran : D’après nos calculs effectués il y a environ trois ans en France, on a 0,66 enfant atteint de sclérose en plaques pour 100.000 enfants de moins de 18 ans. En comparaison chez l’adulte, c’est 197 cas pour 100.000 habitants. Concrètement, on prend en charge chaque année 40 à 50 nouveaux enfants avec une SEP. Et ce qu’il est important de savoir, c’est que les enfants de tout âge peuvent être atteints de sclérose en plaques.

SEP de l'enfant : "on peut la diagnostiquer dès la première poussée"

Les cas sont-ils plus nombreux que par le passé ?

On a eu l’impression d’une augmentation à une époque, car avant 2020, on calculait aux alentours de 20 à 30 cas par an. Mais je pense que c’est plutôt lié aux critères diagnostiques qui ont changé. Avant, on attendait deux poussées pour confirmer la SEP alors qu’aujourd'hui, on peut la diagnostiquer dès la première poussée.

On constate que les filles sont plus touchées que les garçons, comment l’explique-t-on ?

Chez les enfants de moins de 10 ans, il y a autant de filles que de garçons. Quand on passe au-dessus de 10 ans, et en particulier au-dessus de l’âge pubertaire, qui est autour de 12 ans, on retrouve beaucoup plus de filles que de garçons, comme c’est le cas chez l’adulte. Cela est très probablement lié au facteur hormonal.

Quels sont les signes cliniques de cette maladie auto-immune chez l'enfant ?

Une fois de plus, il y a des différences en fonction de l’âge de l’enfant. Au-dessus de 12 ans, les premiers symptômes correspondent aux atteintes des voies longues, c’est-à-dire des troubles de la marche ou de l’équilibre, des troubles de la sensibilité (par exemple la sensation que la main est lourde), et des troubles moteurs. Ensuite, en seconde position, il y a les atteintes des nerfs optiques, c’est-à-dire des troubles de la vision. Enfin, il y a les atteintes du tronc cérébral qui peuvent se caractériser par une paralysie faciale, des vertiges, ou encore des troubles de la déglutition et de la parole.

Chez les enfants de moins de 12 ans, et en particulier ceux en dessous de 10 ans, on a un tableau clinique un peu explosif qu’on appelle une “encéphalomyélite aiguë disséminée”, avec des enfants qui sont parfois dans le coma. Mais les signes essentiellement présents sont des troubles moteurs, des troubles sensitifs et des troubles de la conscience.

La forme la plus fréquente chez l’enfant est la même que chez l’adulte : c’est la forme “rémittente”.

Pourquoi le diagnostic de la SEP chez l’enfant est particulièrement difficile ?

Le diagnostic de la sclérose en plaques est plus difficile chez l’enfant car on procède à un diagnostic différentiel, c’est-à-dire qu’on doit d’abord éliminer toutes les autres maladies métaboliques qui peuvent mimer la SEP avant de pouvoir la diagnostiquer.

Comment évolue la pathologie ?

La forme la plus fréquente chez l’enfant est la même que chez l’adulte : c’est la forme “rémittente”. La maladie évolue par poussées qui durent plus de 24 heures, qui se caractérisent par une fièvre sans autres causes associées. Si on ne traite pas, cela peut s’estomper tout seul au bout de 48 heures, trois jours, une semaine ou un mois, et ensuite on “récupère”.

Après, il y a la forme dite “progressive” : ici on ne fait pas de poussées, l’état se dégrade progressivement sur le plan neurologique avec des lésions visibles à l’IRM. Cette forme-là est extrêmement rare chez l’enfant. Dans la littérature scientifique, on parle de 7 % des cas à peu près, mais c’est certainement beaucoup moins car on n’a aucune forme progressive actuellement identifiée dans notre cohorte au MIRCEM.

Une forme entre les deux existe également, on l’appelle la “rémittente secondairement progressive”. C’est une forme rémittente avec des successions de poussées et de récupérations, mais au bout d’un moment, le patient récupère de moins en moins, jusqu’à ne plus récupérer du tout. Je ne vois jamais cette forme-là chez mes patients, mais c’est peut-être parce que je m’arrête au suivi à 18 ans.

SEP : "les enfants récupèrent beaucoup plus facilement et d’une meilleure façon"

Quelles sont les différences entre la SEP chez l’adulte et celle chez l’enfant ?

La maladie chez l’enfant peut être très active comparée à la SEP chez l’adulte : les enfants font beaucoup plus de poussées et à l’IRM, on voit beaucoup plus de lésions. Mais ce n’est pas parce qu’ils font beaucoup plus de poussées et qu’ils ont beaucoup plus de lésions que c’est beaucoup plus grave. En fait, les enfants récupèrent beaucoup plus facilement et d’une meilleure façon, notamment parce que les mécanismes immunologiques sont beaucoup plus efficaces quand ils sont “naïfs” d’infection ou autres.

Par ailleurs, une étude réalisée il y a plusieurs années en France, dans laquelle on a comparé les patients adultes qui ont débuté la SEP durant leur enfance et ceux qui l’ont débutée à l’âge adulte, a montré que quand on commence la maladie durant l’enfance, l’évolution vers la forme secondairement progressive met plus de temps à s’installer.

Quelle est l’espérance de vie de ces jeunes malades ?

Les enfants souffrant de sclérose en plaques ont souvent peur de mourir alors qu’on ne meurt pas de cette maladie, on meurt des complications. Chez les enfants, j’ai 0 % de mortalité.

On a pu montrer que certains traitements utilisés chez l’adulte sont en fait beaucoup plus efficaces chez l’enfant.

Quels sont les traitements actuellement disponibles pour les enfants ?

Aujourd’hui j’ai six traitements disponibles en fonction de la gravité de la SEP de l’enfant, dont plusieurs par voie orale, contre un seul en injectable il y a 18 ans ! Et ce n’est pas terminé car de très nombreux essais cliniques sont en cours.

Si la maladie n’est pas très active, on propose des traitements de première ligne, c'est-à-dire soit des injectables (les interférons ou l’acétate de glatiramère) ou des traitements par la bouche (le BG-12 ou diméthylfumarate et le tériflunomide). On choisit en fonction de l’enfant, mais une grosse majorité prend le traitement injectable.

Ensuite, grâce à de nouveaux essais cliniques, il y a un autre traitement par la bouche qui est le fingolimode. Ce traitement qui était déjà utilisé chez l’adulte montrait une efficacité de 53 % dans la réduction de la fréquence de poussée, mais chez l'enfant, cela monte jusqu’à 82 % de réduction. Actuellement, les autorités de santé nous indiquent qu'il faut l’utiliser comme chez l’adulte, c’est-à-dire dans les formes très très actives, mais pas dans les formes normales. Donc on se bat avec les agences de santé afin de pouvoir l’utiliser dès la première poussée.

D’autres traitements chez l’adulte pourraient-ils être utilisés chez l’enfant ?

Mieux encore puisqu’on a pu montrer que certains traitements utilisés chez l’adulte sont en fait beaucoup plus efficaces chez l’enfant… Donc c’est un peu dommage que les industriels mettent les enfants de côté lorsqu’ils font des essais cliniques, notamment parce qu’ils ont peur des effets indésirables ou d’autres éléments pouvant bloquer la mise sur le marché de leurs produits. En tant que professionnel de santé, je ne peux pas comprendre qu’un traitement qui est sûr et efficace chez l’adulte ne puisse pas être proposé chez l’enfant.

SEP : "les enfants sont valides, ils marchent et sont donc vraiment autonomes"

Au quotidien, comment gérer au mieux la maladie ?

Surtout, il faut essayer de continuer à vivre “normalement”, même si le quotidien sera forcément un peu bouleversé par les visites à l’hôpital, etc. Mais les enfants sont valides, ils marchent et sont donc vraiment autonomes. Il faut savoir que leur score EDSS, le score de handicap, ne dépasse pas 3 ou 4 en moyenne, et je n’ai que 8 % d’enfants qui vont au-delà de 4 [à partir de 4, sur une échelle de 0 à 10, la personne commence à avoir des difficultés pour marcher plus de 500 mètres sans aide ni repos, ndlr].

En pratique, il faut un sommeil correct, donc une santé mentale qui doit être très satisfaisante. À ce titre, on propose un accompagnement avec un psychologue ou pédopsychiatre car on retrouve 40 % de patients souffrant d’un syndrome anxio-dépressif. L’activité physique doit absolument être maintenue, en particulier parce que la fatigue est un symptôme majeur de la SEP, avec à peu près 40 % des enfants touchés. Or le fait d’être fatigué et de ne pas faire d’activité physique entraîne cette fatigue… C’est un véritable cercle vicieux qu’il faut éviter !

Il ne faut pas que ce diagnostic soit la fin du monde.

Et quels conseils pourrait-on donner aux parents de ces enfants ?

En tant que parent, le plus important, bien sûr, c’est d'accompagner son enfant durant cette épreuve qui est assez complexe. Certains parents ne souhaitent pas le dire à l’enfant, de peur de le froisser ou de casser leur avenir, etc. Mais je ne pense pas que cela soit une bonne idée, donc quand je fais le diagnostic, c’est toujours en présence des parents et de l’enfant ou l’adolescent.

Pour les parents, c’est également important de ne pas minimiser les choses : c’est normal d’être triste que son enfant ait une SEP et c’est normal aussi que l’enfant puisse voir que ses parents sont tristes. Mais il ne faut pas non plus tomber dans l’excès inverse, il ne faut pas que ce diagnostic soit la fin du monde, car je rappelle que c’est l’une des maladies chroniques pour laquelle on a le plus de recherche possible. Certes, on n’arrive pas à guérir de la maladie, mais on arrive à la contrôler.

Un autre point important : il faut accompagner l’enfant tout en préservant son autonomie. Il faut le laisser vivre sa vie et le surveiller quand il en a besoin. Pour cela, c’est important d’instaurer un dialogue, une relation de confiance, afin que l’adolescent ne cache pas les choses quand il fait une poussée, ce qui arrive parfois pour préserver la famille. Et la communication doit également être construite avec les autres frères et sœurs afin qu’ils comprennent ce qu’il se passe.

Au niveau scolaire, ces enfants peuvent-ils continuer à aller “normalement” à l’école ?

Bien sûr, et je le répète, les enfants qui ont une sclérose en plaques ne doivent pas changer leur vie. Il faut juste aménager un peu leur temps, notamment pour gérer la fatigue et la vitesse de traitement qui peut être moins efficace par rapport aux autres. Par exemple, pour les examens, si un adolescent fait une poussée juste avant, il peut demander le tiers temps ou l’aide d’un secrétaire pour écrire à sa place. On voit aussi qu’à l’annonce de la maladie, les résultats scolaires baissent un peu, mais au bout de deux ans environ, ils remontent.

Surtout, il ne faut pas non plus que la maladie change quoi que ce soit aux projets professionnels de l’enfant. De nombreuses personnes occupent des postes extrêmement importants avec une SEP… même ministre !

Un enfant souffrant de SEP peut avoir des difficultés à se confier, que proposez-vous en plus des thérapies classiques ?

Une journée de la SEP de l’enfant et l’adolescent est organisée une fois par an, et cette année elle a lieu le 1er juin. On l’organise à Disney Land pour donner l’envie aux jeunes de venir, car en général, ils sont inquiets de rencontrer d’autres personnes beaucoup plus malades qu’eux. Mais finalement, le fait de discuter en présentiel avec d’autres adolescents les rassure énormément.

En plus, nous faisons des webinaires sur différents thèmes : la scolarité, la sexualité, la mort… Autant de sujets qui peuvent être difficiles à aborder pour ces adolescents, et qui le sont plus facilement grâce au web.

Vu l’avancée de la Science, je pense qu’on arrivera un jour à guérir de la maladie.

En tant que professionnel de santé impliqué auprès de ces jeunes, qu’espérez-vous pour l’avenir ?

Il faudrait une meilleure compréhension de cette maladie, car j’ai l’impression que l’éducation nationale notamment, n’a pas encore compris que la sclérose en plaques existe… Effectivement, il n’y a aucun signe visible, les enfants ne sont pas en fauteuil roulant, mais pourtant, la fatigue peut être très présente et il faut la respecter. Donc, notre objectif maintenant, c’est faire de l’information, il faut que les enseignants soient formés ! Par ailleurs, et ce n’est pas le cas pour toutes les facultés, mais plusieurs adolescents me disent qu’après le bac, c’est un parcours du combattant pour trouver une faculté qui accepte un aménagement. Et je trouve assez surprenant que cela soit encore le cas aujourd’hui ! Le deuxième aspect sociétal qu’il faudrait faire évoluer, c’est l’insertion professionnelle de ces enfants qui sortent de l’école, car pour ce genre de maladie neurologique un peu fluctuante, avec des poussées, il faut comprendre qu’on peut être parfois absent.

Pour ce qui est de la recherche, vu l’avancée de la Science, je pense qu’on arrivera un jour à guérir de la maladie.