Pourquoi Docteur : Le diagnostic de la sclérose en plaques est-il difficile à établir ?
Dr David Laplaud : Ça l’était il y a 30 ans, mais depuis l’imagerie par résonance magnétique (IRM), la SEP n’est pas très difficile à diagnostiquer. La question est plutôt : à quel moment doit-on penser à chercher la SEP ? Repérer la maladie peut s’avérer compliqué pour les patients ou les médecins généralistes qui ne sont pas spécialisés et qui ne vont pas toujours prendre en compte les signes et les plaintes du patient, et donc ne pas prescrire les examens qui aboutiront au diagnostic. D’où le risque, parfois, d’un retard diagnostique. Mais dès lors qu’on fait les examens IRM pour chercher spécifiquement la SEP, on la trouve.
De manière générale, ce sont les troubles sensitifs isolés qui fourvoient le plus d’erreurs et de retard dans le diagnostic de la SEP.
Quels sont les signes avant-coureurs de la SEP ?
Les signes les plus fréquents sont les troubles sensitifs : des fourmillements, des douleurs, des sensations de brûlures ou d’engourdissement, et en particulier dans les jambes. Cela survient chez des personnes plutôt jeunes : les cas commencent à partir de 13-14 ans, puis ils augmentent en fréquence avec un pic à l’âge de 30 ans, avant de diminuer en vieillissant. Certaines circonstances semblent augmenter la fréquence des signes, comme le post-partum. De nombreuses patientes, que j’ai interrogées pour faire le diagnostic, disent qu’elles avaient déjà senti des symptômes auparavant, comme des fourmillements, mais que ceux-ci avaient fini par passer. Or, avec le recul, on peut supposer que ces symptômes étaient les premiers de la SEP... De manière générale, ce sont les troubles sensitifs isolés qui fourvoient le plus d’erreurs et de retard dans le diagnostic.
Par ordre de fréquence, viennent ensuite les troubles visuels, causés par une névrite optique rétro-bulbaire, une inflammation du nerf optique. Ce qui pose peu de problèmes diagnostiques car, en principe, l’ophtalmologue va penser à la SEP et renvoyer le patient vers un neurologue. Tout comme les autres symptômes, tels que les troubles de l’équilibre ou urinaires, qui conduisent à mener des explorations et donc à diagnostiquer la maladie.
Critères, examens... Comment est actuellement diagnostiquée la SEP ?
Les premiers critères "modernes", qui remontent à 1997, se basent essentiellement sur les signes cliniques et les examens IRM : chez des patients qui ont fait un épisode aigu d’atteinte du système nerveux central, l’imagerie va mettre en évidence des lésions cérébrales. Il existe deux types de critères qui vont permettre de dire si ces lésions sont celles d’une SEP :
- Les critères de dissémination spatiale : il faut que cette inflammation du système nerveux central atteigne différentes structures dans le cerveau ou dans la moelle épinière ;
- Les critères de dissémination temporelle : il faut que ce soit un processus dynamique dans le temps, et non pas un seul et unique épisode de neuro-inflammation. On peut détecter si c’est évolutif en faisant d’autres IRM à d’autres moments (pour voir si de nouvelles lésions sont apparues entre les examens) ou en faisant une ponction lombaire. Quand les deux critères de dissémination sont remplis, le diagnostic de la SEP est posé.
Les derniers critères, qui datent de 2017, permettent de diagnostiquer avec davantage de sensibilité et très tôt, dès la première manifestation de la maladie. On peut même aujourd’hui aller plus loin et prédire le diagnostic chez des patients qui n’ont pas encore de SEP. Par exemple, chez un patient qui se plaint de maux de tête récurrents, l’IRM peut montrer des lésions typiques de la SEP. On ne parle alors pas de SEP, car il n’y a pas d’atteinte inflammatoire clinique (trouble sensitif, visuel...), mais le simple fait de tomber sur ces lésions nous indique que le patient risque très probablement de développer une SEP dans les prochaines années. Ce qui est crucial au tout début de la maladie car, dès lors qu’on sait qu’une personne est à risque, on peut rapidement mettre en place un traitement.
Si les traitements actuels s’avèrent très efficaces pour la forme rémittente de la SEP, ils ne le sont pas du tout, ou très peu, pour les formes progressives.
Sous quelles formes peut évoluer la SEP ?
Il existe trois types de SEP. La forme "récurrente-rémittente", qui commence entre 20 et 40 ans et évolue par poussées, concerne 90 % des patients, dont trois femmes pour un homme. Plus grave, la forme "primitivement progressive" représente 10 % des cas et touche des personnes plus âgées, à partir de la quarantaine. Enfin, la SEP peut être rémittente à l’origine et évoluer, au bout de 15-20 ans, vers une forme "secondairement progressive" : il n’y a plus de poussées mais un handicap apparaît, souvent moteur. Évidemment, le pronostic n’est pas le même pour la forme rémittente que pour les formes progressives : si les traitements actuels s’avèrent très efficaces pour la première, ils ne le sont pas du tout, ou très peu, pour les autres. Cela dit, si on empêche la forme rémittente d’évoluer, on empêche la forme secondairement progressive de survenir. D’où l’intérêt de traiter précocement.
Plus tôt est posé le diagnostic, plus efficaces sont les traitements ?
Ce sont des traitements curatifs, au sens où ils vont empêcher la survenue d’événements cliniques et l’apparition de nouvelles lésions dans le cerveau et la moelle, et donc empêcher que le système nerveux central s’abîme davantage. Par conséquent, plus le traitement est administré précocement, plus il aura de chances d’être efficace. Il faut toutefois rappeler que nous ne sommes pas capables à l’heure actuelle de réparer les lésions : à partir du moment où il y a des signes cliniques présents, il n’est pas possible de revenir en arrière. Tout ce qui est perdu est perdu, d’où l’importance de ne pas perdre !
Le pronostic du patient, en termes de handicap, dépend aussi des capacités propres de chaque individu à réparer ses lésions cérébrales, au moins partiellement.
D'après l’Institut du cerveau, "la progression et le délai d’apparition du handicap irréversible varient aussi en fonction de la capacité de chaque personne atteinte à ‘réparer’ ses lésions cérébrales". Pouvez-vous expliquer ?
C’est notamment pour cette raison qu’on considère que la SEP est une maladie très hétérogène. Quand on autopsie le cerveau des patients qui en ont été atteints, on observe que des lésions se sont remyélinisées chez certains, mais pas chez d’autres, ou très peu. Le pronostic du patient, en termes de handicap, dépend donc aussi des capacités propres de chaque individu à réparer ses lésions, au moins partiellement. J’ai suivi un patient dont la SEP avait débuté à la fin des années 1980 et qui a finalement vécu une existence tout à fait normale pendant quarante ans sans aucun traitement. Ce n’est que récemment qu’il est revenu me voir, parce que sa gêne dans la jambe est revenue. A l’inverse, je suis une femme, atteinte de la SEP depuis une dizaine d’années, qui a été immédiatement traitée mais qui souffre aujourd’hui de difficultés pour marcher, pour travailler... Pourquoi de telles disparités selon les patients ? Peut-être qu’il y a des facultés de réparation différentes, ou peut-être aussi qu’il y a des maladies avec des inflammations ou des degrés d’inflammation distincts.
Y aurait-il donc autant de SEP que de malades de la SEP ?
De nombreux facteurs de mauvais ou de bons pronostics permettent tout de même de stratifier les patients, de sélectionner tel ou tel traitement en fonction de leurs profils. Chez certains malades, il est possible de prédire dès le premier événement clinique que la SEP risque d’évoluer très rapidement. On va donc administrer un traitement très puissant pour contrôler la maladie. Chez d’autres patients, qui ont peu de lésions et récupèrent bien, on va se contenter d’un traitement moins puissant.
Sait-on pourquoi les femmes sont-elles plus touchées que les hommes ?
Non, pas vraiment. Il y a la piste des hormones féminines, qui pourraient jouer un rôle sur le système immunitaire, mais c’est une déduction faite à partir des travaux sur des animaux. On ne sait pas comment cela fonctionne concrètement, et pourquoi les femmes sont plus à risque. Cela dit, dans la plupart des maladies auto-immunes, le sexe-ratio est en leur défaveur... Certaines touchent même quasi exclusivement les femmes.