Anis Nasr, diabétique de type 1, est éducateur sport santé expert à l'hôpital Cochin et à la maison du diabète. Il utilise ainsi son expérience et ses connaissances pour organiser des ateliers d'activité physique ayant une visée d'éducation thérapeutique du patient. Ces derniers sont construits pour (re)donner le goût de l'exercice, mais surtout les outils pour devenir autonome dans sa pratique. Le spécialiste revient sur l'importance de l'activité physique et de l'hygiène de vie pour lutter contre le diabète.
Pourquoi Docteur : Pourquoi l’activité physique est-elle essentielle pour les diabétiques ?
Anis Nasr : Pour toutes les pathologies chroniques, l'activité physique est un traitement non médicamenteux et thérapeutique. Chez les diabétiques en particulier, elle permet d’améliorer la qualité de vie, de favoriser la perte de poids et de protéger en préventif les organes qui peuvent être impactés par la glycémie.
Quand j’établis le programme d’activité physique avec le patient, on se base entre autres sur les organes touchés par le diabète et les activités pouvant les protéger. Par exemple, cette maladie peut entraîner une fonte de masse musculaire chez certaines personnes, et faire du renforcement musculaire va la stabiliser. Par ailleurs, cela augmente les réserves de glycogène musculaire (glucides complexes stockés dans les muscles), et ainsi par effet domino la sensibilité à l’insuline. Si c’est le cœur qui est impacté, il faut privilégier les activités d’aérobie comme la zumba, la natation, le vélo, la marche ou la danse. L’aérobie englobe tous les sports avec lesquels l’oxygène est utilisé comme énergie. Elle améliore les fonctions cardio-respiratoires du patient, donc le cœur va être mieux protégé.
Bien sûr, l’activité physique doit être couplée avec des conseils hygiéno-diététiques pour aider à réguler la glycémie et le poids. On a parfois vu des patients avoir un diabète réversible grâce à une alimentation équilibrée et une activité physique régulière. Par contre, s’ils ne les poursuivent pas seuls dans leur quotidien, le diabète peut revenir.
Autre bénéfice : quand on fait du sport, on sécrète des hormones du plaisir. Ainsi, il y a aussi une amélioration de la santé psychologique ou encore de la confiance en soi. On se sent mieux, voire une autre personne. Cela a vraiment un impact énorme chez le patient.
Peur de l’hypoglycémie : "c’est véritablement le premier frein à l’exercice"
Bien que les bienfaits de l’activité physique soient connus, certains diabétiques ont du mal à l’intégrer à leur quotidien. Quels sont leurs freins ?
Lors de mes ateliers, les diabétiques évoquent souvent la peur de faire une hypoglycémie lors de leurs séances d’activités physiques. C’est véritablement le premier frein à l’exercice pour eux. L’autre, c’est la représentation de l’activité physique en elle-même. Les patients ont tendance à se projeter dans ce qu’ils ont connu par le passé. Leur mémoire sélective va mettre en avant tous les mauvais moments qu’ils ont passés aux cours de sport ou les représentations négatives qu’ils en ont. Par exemple, la fameuse montée à la corde au collège.
Mais en réalité, l’activité physique n’est pas liée à la recherche de performance comme le “sport”. Il s’agit d’être le moins sédentaire possible et de se mouvoir grâce à tous les gestes du quotidien. Dans mes ateliers, je leur apprends ainsi comment améliorer leur qualité de vie en étant actif d’une manière adaptée à leur santé et leur capacité personnelle. Il faut aussi que cela soit thérapeutique. C’est-à-dire que l’on doit voir le bénéfice de cette dépense énergétique, de ce mouvement, dans la gestion de la glycémie au quotidien.
Le manque de motivation, la fatigue, la flemme peut être un autre problème. C’est pourquoi je construis avec eux un programme adapté à leur vie professionnelle et à leur vie personnelle. On se base vraiment sur tout : leur traitement, les pathologies associées, leur vie, leurs goûts…
Quels conseils donneriez-vous aux diabétiques pour surmonter ces freins ?
Pour les patients qui ont peur de l’hypoglycémie, il faut en premier lieu savoir d'où ça vient : est-ce que c’est lié à une mauvaise adaptation du traitement ? Est-ce que cela vient d'une mauvaise pratique ? Par exemple, une de mes patientes qui avait un traitement sous multi-injections, ne connaissait pas ses ratios de glucides et d’insuline. Dès qu’elle ingérait un aliment, les doses d’insuline qu'elle prenait, étaient trop élevées et elle avait des hypoglycémies quand elle allait marcher ou faisait une activité de loisir comme jardiner. Quand son traitement a été mieux adapté à ses besoins, elle a pu faire de l’exercice sans crainte.
De plus, il faut savoir que quand on fait une activité physique, il y a une dépense énergétique. Quand elle est modérée, elle va faire baisser le taux de glucose. En revanche, lorsqu’elle est intense, ce dernier grimpe. Mais, la réponse du corps est différente pour chaque patient. Il faut ainsi repérer celle qui fait grimper et celle qui fait baisser sa glycémie. Par exemple, le patient peut se dire : je suis davantage une personne qui marche, qu’une qui fait de la musculation. Je recommande de faire un tableau pour noter les effets des différentes activités sur sa glycémie afin de mieux la comprendre.
Les diabétiques peuvent aussi voir l’évolution de leur glycémie grâce au contrôle de glucose régulier ou permanent avec un capteur de glycémie comme le Freestyle Libre 2 pendant les repas… mais aussi pendant et après l’activité physique. Il ne faut pas oublier l’après, en effet. C’est là que la glycémie est susceptible de chuter ou de grimper.
Néanmoins, les patients peuvent avoir du mal à expliquer ou utiliser efficacement ces chiffres. C’est pourquoi, il ne faut pas hésiter à demander de l’aide, auprès de son médecin ou des Maisons du Diabète et de l'Obésité près de chez soi. Des ateliers comme les miens aident à la reprise d’activité et à l'acquisition d'une pratique autonome. Ils accompagnent les diabétiques pour qu’ils comprennent leur maladie et trouvent le programme le mieux adapté à eux. Il y a un travail d’équipe avec les médecins qui adaptent les dosages du traitement, les éducateurs sport santé comme moi qui définissent la fréquence, les types d’exercice et le nombre de séries à faire ou encore la diététicienne qui va mettre en place le régime à suivre et l'adapter au changement d’hygiène de vie. Les conseils sont mis en place avec eux, car c’est le patient qui est au centre du changement. C’est à lui de décider s’il veut ou peut faire les choses. On ne force pas, car si on force : il va dire oui pour faire plaisir, mais la motivation ne sera pas là et il va lâcher.
"Il faut avoir conscience que la perte de motivation peut survenir"
Et comment garder la motivation ?
La motivation peut venir de plusieurs facteurs. Elle peut être intrinsèque, c'est-à-dire que le patient est motivé, car il veut améliorer sa qualité de vie et sa santé. Elle est souvent là au début. Mais elle est difficile à maintenir à long terme. On a ainsi tendance ensuite à se rattacher à une motivation extrinsèque : par exemple les enfants, la famille, le conjoint. Les aidants ont un rôle important dans la reprise et le maintien de l’activité physique. L’encouragement permet de motiver la personne et de la faire revenir ou la maintenir sur les rails.
Pour nourrir la motivation, il est aussi important de se concentrer sur les améliorations obtenues grâce à une pratique régulière : meilleure qualité de vie, bien-être… Bien sûr, de temps en temps, il y a une baisse de motivation et d'assiduité, mais cela fait partie du parcours du patient. Il faut avoir conscience que la perte de motivation peut survenir. Cela peut venir de plein de choses : aspect familial (divorce, décès, dispute), travail (stress, perte…). Il faut alors remobiliser les souvenirs concernant les bienfaits survenus pour qu’il reparte à l’action.
"Des exercices adaptés à son diabète déséquilibré par le biais de la pétanque"
Certaines activités sont-elles conseillées pour une remise à l’activité physique ?
Les choses les plus simples sont souvent les meilleures. La marche rapide est recommandée. C’est bon pour le cœur, pour la respiration, pour les membres supérieurs et inférieurs (car il y a des flexions de hanches et de genoux, chevilles). Le patient peut réguler sa glycémie par la marche. L’avantage, c'est que l’on a des résultats très rapidement. L'inconvénient : c’est qu’il faut modifier les programmes régulièrement (tous les trois mois) parce que le corps s'habitue et il ne se passe plus grand chose si on garde le même rythme.
On peut aussi faire du combiné. C'est-à-dire du travail musculaire pour augmenter la masse musculaire puis un travail aérobie pour régler la glycémie et essayer de la faire baisser. L’activité physique est vraiment adaptée à chaque personne. C’est particulièrement recommandé pour les diabétiques de type 2 qui ont souvent des problèmes métaboliques (obésité) ou encore d’autres pathologies comme l’arthrose, les tendinites, les maladies cardiovasculaires…
Lors de nos ateliers, on fait attention à mettre en place un sport préventif adapté à la personne à son traitement bien sûr, mais aussi à son plaisir. Par exemple, j’avais un patient qui n’aimait pas l’activité sportive, mais il adorait la pétanque. Donc, on a mis en place des exercices adaptés à son diabète déséquilibré par le biais de la pétanque. Quand il jouait, c’est toujours lui qui allait chercher le cochonnet, il faisait les aller-retour pour compter les points. Quand il envoyait ses boules, il devait faire une flexion de hanche pour travailler les squats. Il fait des mouvements avec les boules pour faire travailler les biceps et les triceps, les épaules, les dorsaux. Et il devait faire ce programme tous les jours. Et il a tenu grâce à cette pratique plaisir au quotidien.
Nos programmes d’activité physique pour diabétiques sont un suivi sur le long terme et pluri-disciplinaire. En effet, si on parle de traitement, il faut parler alimentation, si on parle alimentation, on parle de bien-être. On doit avant tout s’adapter aux besoins de chaque personne diabétique et leur apprendre à rester actif même sans le groupe.