Pourquoi Docteur : Qu’est-ce que la sarcopénie ?
France Pietri-Rouxel : D’un point de vue physiologique, nous sommes tous sujets à une diminution de la masse et de la force musculaire avec l’âge. On perd entre 1 et 2 % de la masse musculaire à partir de 25/30 ans. Cela peut être compensé avec de l’exercice d’endurance. Mais ce processus est bien en marche. Le nombre et la taille des fibres musculaires baissent jusqu’à 60 ans et cela s'accélère ensuite.
Cette diminution physiologique liée à l’âge peut être excessive chez certaines personnes et cela devient pathologique. Cette pathologie s’appelle sarcopénie. Elle a été déclarée maladie par l’OMS en 2016. Sa définition, revue en 2019, indique qu’il s’agit d’une maladie musculaire liée au vieillissement qui se caractérise par une perte excessive de la masse, de la force et de la qualité du muscle qui entraîne une altération de la performance physique.
Avec la sarcopénie, le risque de chute - premier risque de mortalité par accident chez les plus de 65 ans - est augmenté. Il y a aussi un allongement des temps d’hospitalisation et un risque accru de perte d’autonomie.
La sarcopénie est un enjeu de santé publique majeur. Environ 15 % des personnes de plus de 65 ans souffrent de sarcopénie. La prévision pour 2045 table sur une hausse des cas de 68 % avec environ 32 millions de personnes touchées dans le monde. Cette progression est liée au vieillissement de la population ainsi qu’à la hausse du taux d'obésité et à la sédentarisation des jeunes. En effet, si on ne fait pas d’exercice, le capital musculaire est moins important quand on commence à perdre de la masse.
Sarcopénie : "l’un des premiers signes est la perte de vitesse de marche"
Quels sont les signes de la sarcopénie ?
Une réduction de la vitesse de marche doit alerter. Par exemple, mettre plus de temps à aller et à revenir de la boulangerie qu’auparavant. Les premiers muscles impactés par la maladie sont ceux des jambes. Les quadriceps sont les plus atteints par la sarcopénie. C'est pourquoi l’un des premiers signes est la perte de vitesse de marche.
Toutefois, la principale plainte entendue chez les patients est la perte de force, car c’est ce qui les perturbe le plus dans leur quotidien. Ils remarquent, par exemple, avoir des difficultés à porter leurs courses ou un pack d’eau. Cette perte de force physique est vraiment exagérée par rapport à une personne du même âge qui ne serait pas sarcopénique. Les chutes et les difficultés à se relever de sa chaise ou de son fauteuil sont également des signes.
Comment est diagnostiquée cette maladie musculaire ?
Il faut savoir que la sarcopénie est très mal diagnostiquée. Les médecins traitants sont malheureusement peu formés sur la santé du muscle. Bien que nous soyons constitués de 40 % de muscles, il n’y a pas de module myologie spécifique. Les pathologies du muscle sont étudiées en même temps que la neurologie. De plus, la sarcopénie est une maladie méconnue du grand public. Les patients et leurs proches pensent souvent que les baisses de performance physique observées sont liées à l’âge. Ainsi, les patients arrivent souvent chez le médecin pour un alzheimer ou un diabète, et la maladie est découverte.
Autre problématique : le diagnostic est complexe car il est multifactoriel : il faut faire un IRM, un test de force, un test de marche puis corréler les résultats.
On s’est dit que pour régler “ce qui ne marche pas bien”, il suffisait d’augmenter le taux de GDF5.
Les causes de cette maladie qui entraîne une perte excessive de la masse et de la force musculaire restent assez méconnues, mais vous et votre équipe avez fait une découverte de taille récemment.
On sait qu’un muscle se contracte, car il y a une association en symbiose avec un motoneurone. Ce nerf, qui a une fonction motrice, est branché sur le muscle et permet le couplage excitation-contraction. Si ce mécanisme ne fonctionne pas bien, le muscle ne va pas bien. Ce “dysfonctionnement” peut être lié à une maladie neuromusculaire, une immobilisation prolongée ou au vieillissement.
Une équipe franco-italienne a démontré pour la première fois en 2013 que l’organisme a un système en place pour lutter contre l'atrophie excessive. Elle a découvert que si l’activité de la protéine GDF5 est stoppée, le muscle disparaissait. Elle joue ainsi un rôle dans le maintien de la masse musculaire.
Mon équipe et moi, nous nous sommes demandé quel est le chaînon manquant entre le muscle qui ressent qu’il y a une altération électrique et ce GDF5 qui vient lutter contre l’atrophie. Nous avons alors identifié une protéine appelée CaVβ1E. Elle est normalement exprimée au niveau de l'embryon, et peu présente chez l’adulte. Toutefois dans certaines conditions notamment de dénervation, elle va s’exprimer à nouveau et activer l’expression du GDF5 pour contrer la perte musculaire.
Dans une étude avec des souris, on a démontré que ce lien CaVβ1E/ GDF5 n’était plus aussi efficace en vieillissant et que l’atrophie excessive ne peut plus être empêchée. On a aussi identifié l’analogue de CaVβ1E humain et montré une corrélation entre l’expression de CaVβ1E dans les muscles humains et le déclin de la masse musculaire lié à l’âge.
Face à ces résultats, on s’est dit que pour régler “ce qui ne marche pas bien”, il suffisait d’augmenter le taux de GDF5 car c’est une protéine circulante et facile à administrer. Nous avons réalisé une synthèse chimique de cette protéine - un peu comme l’insuline - et on l’a administré à des souris âgées pendant 4 mois. On a observé chez elles une augmentation de la masse, de la force et on avait une préservation de la jonction neuromusculaire. Cela ne permettait pas de guérir la sarcopénie lorsqu’elle était installée, mais cela évitait son aggravation, si le produit était administré à ses débuts.
Est-ce que cette découverte est utilisée en clinique ?
Il reste de la recherche. Nous sommes actuellement en train de définir la dose et les meilleures voies d’administration. On espère - si tout va bien - que des essais cliniques phase 1 puissent avoir lieu en 2026.
Nous comptons aussi étudier si le GDF5 peut être utilisé contre les maladies neuromusculaires comme la myopathie de Duchenne ou la SLA qui est une pathologie des motoneurones. Il pourrait aussi y avoir une application pour les patients en réanimation. En effet, quand les personnes sont placées sous respirateur, le diaphragme qui est aussi un muscle, s'atrophie. La récupération est très longue si cela survient.
L’idée de réponse compensatoire à l’atrophie - même si elle a été découverte en 2013 - reste assez nouvelle. On est vraiment pionnier dans le fait de pouvoir utiliser ce mécanisme compensatoire dans une application pour le muscle vieillissant ou malade.
“Il faut faire attention à ses muscles toute sa vie”
Auriez-vous des conseils à donner pour prendre soin de ses muscles et prévenir les effets du vieillissement ?
Il faut faire attention à ses muscles toute sa vie. Comme la masse musculaire diminue à partir de 25/30 ans, autant partir d’une masse musculaire un peu plus importante. L’exercice de résistance - ce que font aujourd'hui de plus en plus les jeunes en salle - est un des meilleurs moyens pour limiter la perte de masse musculaire liée à l’âge. Même si la dégradation aura lieu, elle sera moins grave.
Néanmoins, pour aider les muscles à rester en bonne santé, on n’est pas obligé de faire des efforts importants. Il suffit juste d’être actif. On l’oublie souvent, mais la marche est une activité physique.
Par ailleurs, la danse est particulièrement recommandée pour les personnes âgées. Elle fait faire de l'activité physique, et elle est également bénéfique pour la mémoire, la tonicité, la coordination ou encore le taux d’inflammation.
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