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Psychiatrie

Débarquement : comment appréhendait-on le trouble de stress post-traumatique en 1944 ?

Par Mathilde Debry

Alors que se déroule le 80ème anniversaire du Débarquement, des spécialistes du trouble de stress post-traumatique (TSPT) expliquent comment cette maladie était traitée au sortir de la seconde guerre mondiale.

olrat / istock.
Le professeur de psychiatrie Eric Bui et son équipe reviennent, à l'occasion du 80ème anniversaire du Débarquement, sur les origines du trouble de stress post-traumatique (TSPT).
Au sortir de la seconde guerre mondiale, on ne parlait pas de trouble de stress post-traumatique mais plutôt de "choc des obus" ou de "fatigue au combat", expliquent les experts.
"L'horreur du combat n'était pas considérée comme une cause indépendante majeure de problèmes psychologiques", ajoutent les spécialistes.

En 1944, le concept de trouble de stress post-traumatique (TSPT) n’existait pas encore, mêmes si les symptômes étaient les mêmes qu’aujourd’hui. On parlait alors plutôt de "choc des obus" (en anglais "shell shocked").

Trouble de stress post-traumatique (TSPT) : "le choc des obus"

"Le médecin britannique Charles Myers, auteur du premier article sur le « shell shocked » en 1915, avait émis l'hypothèse que ces symptômes étaient le résultat d'une lésion physique", explique Eric Bui, professeur de psychiatrie à l’UFR Santé de l’UNICAEN. "Il supposait que l'exposition répétée à des explosions pouvait causer des traumatismes cérébraux responsables de cet ensemble inhabituel de symptômes. Mais rapidement, son hypothèse a été abandonnée", ajoute-t-il.  

L’historien Jay Winter estime qu'au moins 20 % des soldats américains ayant servi pendant la seconde guerre mondiale ont souffert du "choc des obus" , bien que les chiffres ne soient pas très précis à cause de la réticence des médecins de l'époque à attribuer aux anciens combattants un diagnostic psychiatrique qui pouvait avoir une incidence sur l'indemnisation de leur invalidité.

Trouble de stress post-traumatique (TSPT) : "fatigue au combat"

L’autre terme aussi couramment utilisé au sortir de la seconde guerre mondiale pour définir le trouble de stress post-traumatique était celui de "fatigue au combat" (en anglais "combat fatigue"). "Il reflétait la théorie dominante selon laquelle une fois qu'un soldat n’était plus au front et bénéficiait d'un temps de repos et de relaxation, son traumatisme de guerre disparaissait", indique Eric Bui et son équipe.

La théorie dominante pour expliquer les traumatismes de guerre était à l’époque basée sur l'analyse freudienne. Selon cette approche, la principale raison pour laquelle un ancien combattant avait des problèmes psychologiques après la guerre était que les sentiments d'anxiété et d'hostilité infantiles avaient été réprimés jusqu'à ce que la névrose sous-jacente soit réveillée par la guerre.

"L'horreur du combat n'était pas considérée comme une cause indépendante majeure de problèmes psychologiques. On partait du principe que le soldat ou l'ancien combattant était déjà émotionnellement défectueux avant la guerre", détaille le psychiatre. "La détresse mentale étant rarement considérée comme liée au service, l'ancien combattant n'avait souvent pas droit aux prestations de l'Administration des vétérans", poursuit-il.

Les vétérans américains de la seconde guerre mondiale qui présentaient de graves problèmes mentaux et comportementaux étaient souvent placés dans des hôpitaux de l'Administration des vétérans (VA).

"C'est Abram Kardiner, un clinicien travaillant dans la clinique psychiatrique du Bureau des vétérans des États-Unis, qui a repensé le traumatisme de combat sous un angle beaucoup plus empathique", développe le spécialiste. "Dans son ouvrage « The Traumatic Neuroses of War » (Les névroses traumatiques de la guerre), Kardiner a émis l'hypothèse que ces symptômes provenaient d'une blessure psychologique plutôt que du caractère « défectueux » d'un soldat", termine Eric Bui.

Trouble de stress post-traumatique (TSPT) : incidence, symptômes et définition

Aujourd’hui, on estime que 3,5 % des Américains et que 1 Français sur 10 sont affectés chaque année par le trouble de stress post-traumatique. Environ 20 % des soldats en retour de mission sont touchés par la maladie.

Le trouble de stress post-traumatique est un trouble psychiatrique qui peut survenir chez les personnes qui ont vécu ou été témoins d'un événement traumatique, d'une série d'événements ou d'un ensemble de circonstances. Les exemples comprennent les catastrophes naturelles, les accidents graves, les actes terroristes, la guerre/combat, le viol/agression sexuelle, les traumatismes historiques, la violence entre partenaires intimes et l'intimidation.

Il faut penser à un trouble de stress post-traumatique lorsque la personne se plaint de trois grandes catégories de problèmes :
- elle revit continuellement la scène traumatique en pensées ou en cauchemars (signes de reviviscence) ;
- elle cherche à éviter tout ce qui pourrait lui rappeler de près ou de loin le traumatisme (signes d’évitement et d’engourdissement émotionnel) ;
- malgré l'absence de danger imminent, elle est fréquemment aux aguets et en état d'hypervigilance.