La chirurgie se veut de moins en moins invasive, moins douloureuse, avec le moins de cicatrice possible et une récupération des plus rapides pour le patient. C'est en ce sens qu'en 2005 est mondialement instaurée la chirurgie "NOTES" (Natural Orifice Transluminal Endoscopic Surgery) qui a permis aux chirurgiens d'accéder aux cavités internes du corps par les orifices tels que : la bouche, l'anus, le vagin, sans aucune incision externe. Tout se passe à l'intérieur du corps. Laissant ainsi quasiment aucune plaie, limitant le risque d'infection et un temps de convalescence réduit.
Héritière de cette technique mini-invasive, Dr Patricia Sylla a vu plus loin : réséquer des cancers profond du rectum ou du bas-côlon par une chirurgie dite "transanale". Rien de honteux à passer par l'anus pour retirer des lésions, des polypes ou des tumeurs cancéreuse pour éviter la case grande incision abdominale et ainsi préserver vos fonctions rectales et les organes environnant en tenant compte de la haute précision de cette technique mini invasive. Place à l'interview !
Pourquoi Docteur : Pourquoi pouvons-nous vous qualifier d’experte en chirurgie mini-invasive du cancer colorectal ?
Dr Patricia Sylla : J'ai fait deux spécialisations en chirurgie colorectale à New York et ensuite en chirurgie “minimally invasive”, où j'ai un peu développé mon répertoire avec le bariatrique et l’œsophage, la partie plus haute. Je me suis installée avec ma famille à Boston où j'ai pratiqué presque neuf ans. C'était une période très spéciale parce que j'étais complètement immergée dans la chirurgie par voie naturelle, je faisais partie des premiers essais en ce qui concerne l'accès minimo-invasif naturel au reflux à travers le vagin. Mon intérêt était de le faire à partir du rectum. J'étais vraiment très intriguée par cette voie d'accès parce qu'on avait toujours eu des problèmes de douleurs associées à la chirurgie colorectale traditionnelle, car même si c'est par laparoscopie ou robotique, il y a quand même des incisions. Il y a toujours un site d'extraction avec un risque d'infection et donc des difficultés de récupération. Et donc, j'étais vraiment très intriguée à l'idée de pouvoir accéder au rectum par la voie transanale.
"On a fait le premier cas au monde en Espagne en 2009"
Vous étiez l’une des premières à apporter cette technique de l’ablation par le rectum aux USA ?
Oui, nous avons fait le premier cas au monde en Espagne en 2009. J'ai passé presque 9 ans à entraîner des chirurgiens à travers le monde. Et donc, l'Ircad a été un énorme collaborateur dans le processus parce qu'ils étaient très impliqués. Puis, j'ai apporté cette technique à New York et j'ai continué. Nous avons fait une étude clinique multicentrique qui vient d'être publiée l'année dernière. Nous avons démontré l'efficacité et la sécurité de la procédure sur des patients à travers onze centres aux Etats-Unis. Cela avait déjà été validé en Europe et en Asie, mais aux Etats-Unis c'était plus complexe.
À quel moment l'Ircad rentre dans votre vie et quels ont été vos points de convergence ?
Au tout début, j'ai eu une chance incroyable quand j'étais encore en formation dans ma spécialité. J'ai reçu un Travel Fellowship Award, ils offraient un cours à l'Ircad, et donc j'ai choisi de venir à la fin de ma formation. J'étais déjà dans le laboratoire en train de développer la méthode expérimentale concentrée sur l'accès de l'anus, et Jacques Marescaux avec son équipe étaient très intéressés. Eux, ils travaillaient un peu plus sur la voie orale transgastrique et beaucoup sur le transvaginal. Ils ont réalisé le premier cas bien sûr, mais le rectal... ils n'étaient pas trop impliqués là-dedans, donc nous avons commencé à travailler un petit peu ensemble là-dessus. C'était la première fois que je testais le concept de chirurgie transanale et c'était les premiers au monde qui l'ont vu et qui ont m'ont encouragé à développer cette procédure.
C'est la partie magique de cette procédure ! Pour le patient, surtout pour le cancer qui est très bas.
Quel est l’avantage de la technique transanale dans le cadre d’un cancer du rectum, par exemple ?
Le bénéfice le plus important, surtout pour le cancer du rectum, c'est le fait que cette technique facilite la résection du rectum sans avoir, automatiquement et systématiquement, à enlever l'anus. C'est la partie magique de cette procédure ! Surtout pour le cancer qui est très bas. De façon traditionnelle : plus le cancer est bas, plus la chirurgie est difficile parce qu'il faut vraiment descendre en profondeur de l’anatomie, surtout chez les hommes qui ont un bassin très étroit et les obèses. Ce qui rend la chirurgie beaucoup plus complexe et de ce fait, nous voyons beaucoup de conversions “open”, c'est-à-dire que les chirurgiens commencent avec la voie laparoscopique ou robotique de façon sécuritaire. Et, à cause de la difficulté d’accès à la tumeur, finissent par abandonner. Dans ce cas de figure, ils finissent leur intervention avec l'incision classique abdominale. Ou dans le pire des cas, quand le cancer est vraiment très bas, c'est-à-dire lorsqu'on peut le sentir avec le doigt et qu'ils n'arrivent pas à descendre, ils disent au patient : “Je ne peux pas sauver le muscle de l'anus, je dois tout enlever”. C'est le “APR (Abdominoperineal Resection en anglais)”, et ça c'est catastrophique.
Pourquoi la résection abdominopérinéale (APR en anglais) est-elle un scénario de catastrophe ?
Parce que l'anus qui est en forme de tube est enlevé, et le rectum aussi. Le côlon, qui est plus haut, est coupé, puis sorti par la peau pour en faire une poche. Au lieu d’avoir un anus, il n’y a plus rien ! Ils appellent cela de façon familière le “barbie butt”, c'est à dire “les fesses d'une barbie”. Et quand nous regardons les détails, en général, c'est parce que les tumeurs étaient à 4 ou 5 centimètres de l'anus. Donc, quand les cancers sont très, très bas, cela devient de plus en plus compliqué de réséquer le tout sans compromettre la qualité de la chirurgie. D’autant plus qu’il s’agit de cancer, nous ne pouvons pas prendre de risque. Nous ne pouvons pas endommager le rectum parce qu'autrement, le cancer va revenir. Donc, la plupart des chirurgiens sont traditionnels : “je ne prends pas de risque, j'enlève tout, ainsi on est sûr qu'on guérit le patient de façon permanente.”
Nous pouvons commencer la dissection de façon très précise, nous ne sommes plus dans les suppositions.
Et finalement que vient changer la procédure transanale ?
Avec la procédure transanale, l'avantage le plus grand c'est que pour les cancers les plus bas, nous commençons par en bas, nous voyons le cancer, il est devant nous, tout est élargi parce que nous sommes sur des écrans HD 5K ou 4K et nous pouvons commencer la dissection de façon très précise, nous ne sommes plus dans les suppositions. La résection va se faire à l'endroit du cancer avec peut-être quelques tissus autour. On commence la dissection, ensuite nous allons à travers le muscle, on remonte et on joint la partie d'en haut. Donc en fait nous combinons la dissection d'en haut et d'en bas mais ça facilite la dissection, ça la rend plus facile parce que moi je fais la partie la plus complexe alors que l'autre chirurgien d'en haut il s'arrête quand ça devient dur, je rentre par en bas et quand on a fini, on ramène le côlon d'en haut pour le reconnecter à l'anus. Donc tout est fait de façon interne et nous sortons le rectum par en bas. Et la connexion se fait par l'agrafeuse ou bien avec des sutures de façon traditionnelle. Une suture et puis ensuite les tissus se recousent entre eux. C'est cela le concept de transanal.
Qu’est-ce qui vous anime dans votre spécialité ? Quel est votre moteur au quotidien dans cette discipline qui n’est pas évidente ?
La partie la plus satisfaisante est la gratitude des patients. Bien sûr il y a toujours des complications, et nous devons les rééduquer concernant les changements de la fonction défécatoire. Nous les surveillons pendant 5 ans pour des raisons oncologiques et on finit par devenir très proches avec ces malades. Moi je suis chirurgienne, j’adore opérer mais j’aime beaucoup le rapport avec mes patients surtout les patients atteints de cancer. Ce sont des relations très spéciales qui me maintiennent. J'encourage mes patients à utiliser les groupes sur les réseaux sociaux pour soutenir les patients atteints de cancer ayant des dysfonctionnements défécatoires qui comptabilisent plus d’une centaine de membres à travers le monde qui se connectent entre eux, s’échangent leurs expériences, leurs solutions pour vivre mieux.
Et la 2ème chose qui me motive c’est de voir tout ce développement technologique, les techniques endoluminales, les endoscopies avancées, et les instruments innovants qui nous permettent d’éviter une chirurgie abdominale complexe et défigurante.
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