"La maladie de Cowden est une maladie génétique rare. Elle provoque des hamartomes – c’est-à-dire des malformations tissulaires – multiples et disséminés. Ces derniers peuvent être bénins ou cancéreux. Cela peut ainsi aller du lipome à l'angiome, de la tumeur bénigne à la tumeur cancéreuse", explique Sophie Da Mota Gomes.
Si l’habitante du Val-d'Oise connaît aussi bien ce syndrome, c’est qu’elle est la personne sur 200.000 qui en est atteinte. Cette pathologie méconnue entraîne un risque accru de cancer du sein (+85 %), de cancer épithélial de la thyroïde ou encore de carcinome endométrial. "En plus de la thyroïde, des seins et de l’endomètre, la maladie peut aussi parfois toucher les reins", précise-t-elle.
Cowden : "mon estomac et mon intestin étaient remplis de polypes et de petites tumeurs"
Le syndrome de Cowden a fait sa première apparition dans la vie de Sophie alors qu’elle n’avait que 15 ans. "Un jour, en rentrant de courses avec ma mère, mon cou avait tellement gonflé qu’il semblait ne plus être là. Nous sommes allées voir notre médecin traitant qui m’a envoyé immédiatement faire une échographie et voir un chirurgien. Ce dernier m’a enlevé le côté gauche de ma thyroïde. Les examens ont révélé d’autres complications. J’ai dû faire des fibroscopies et une coloscopie : les médecins ont alors découvert que mon estomac et mon intestin étaient remplis de polypes et de petites tumeurs. Ils ne me donnaient que quelques semaines à vivre."
Sophie a été envoyée à Paris. Pour les docteurs, il s’agissait d’une polypose à surveiller. "Ils n’ont pas vraiment cherché plus loin", se souvient la patiente. Au cours des années suivantes, elle a continué à multiplier les aller-retours chez les spécialistes. “J’ai eu énormément d'opérations entre le début de la maladie et le diagnostic puisque chaque tumeur détectée était enlevée pour savoir si elle était cancéreuse ou pas", explique-t-elle. Finalement, c’est un chirurgien vasculaire qui l’envoie voir un généticien, près de 10 ans plus tard.
À la suite de ces examens, elle entend le nom "syndrome de Cowden" pour la première fois. Les tests ont également révélé qu’il s’agit d’une néo-mutation. C’est-à-dire qu’aucun de ses parents n’était porteur de la maladie génétique. La mutation est apparue spontanément.
"Avec la maladie de Cowden, on parle quand même de cancer"
Pourquoi une errance médicale si longue ? "Beaucoup de médecins ne connaissent pas la maladie de Cowden. En consultation, on doit leur expliquer ce que c’est, et cela, avec leur vocabulaire médical. Ce n'est pas toujours simple." Par conséquent, pour faire connaître le syndrome et favoriser le dialogue avec les professionnels de santé, Sophie a créé l’association PTEN Officiel France en 2021 avec Delphine Chouani et Christiane Bonnet.
"Avec la maladie de Cowden, on parle quand même de cancer. Il est donc important d’avoir un dialogue serein et pédagogue avec les médecins. Notre association milite entre autres pour l'intégration de psychologues dans les équipes. Cela nous permettrait d’apprendre à gérer la maladie et à faire face aux risques de cancer. Il est important d’avoir une bonne équipe."
En effet, il s’agit d’une pathologie compliquée pour les patients. "Le lundi, tout va bien et le vendredi, on vous découvre un cancer. Les diagnostics peuvent aller très vite." Les malades doivent régulièrement faire des analyses. "Il est parfois épuisant de suivre tous les examens nécessaires à faire. En 25 ans, j’ai eu deux phases de deux ans où j’ai tenté de laisser de côté la maladie : quand je suis partie en Erasmus - J’avais besoin qu’on ne me parle pas d'hôpital pendant un an – et durant l’épidémie de la Covid-19. J’avais peur de rentrer dans un hôpital."
Cowden : "j’ai vécu les meilleurs mois de ma vie pendant ma grossesse"
Si la maladie n’a pas toujours été facile à vivre pour Sophie, elle n’a jamais fait taire son désir de maternité. “Malgré le désaccord des médecins, je suis tombée enceinte naturellement. Avec mon mari, on a voulu savoir si le bébé avait la maladie. À 12 semaines de grossesse, j’ai fait une biopsie de trophoblaste pour savoir s’il avait la maladie." Après un mois d’attente angoissant où tous les scénarios passent dans la tête, une bonne nouvelle attend Sophie et son époux : leur petite fille n'est pas porteuse de la mutation génétique responsable de la pathologie.
"Tout s'est très bien passé pendant le reste de la grossesse. Franchement, j'ai vécu les meilleurs mois de ma vie. Je n'ai jamais été malade. Je n'étais pas fatiguée. Cela a vraiment été les meilleurs mois de ma vie." Et bébé était déjà très présent dans le quotidien de Sophie. “C’est peut-être parce qu’on a une hypersensibilité aux niveaux des tissus, mais j’ai senti ma fille dès le début, le premier mois, alors que je n’avais aucun symptôme de grossesse."
"Je me suis résignée à faire une mastectomie et une hystérectomie subtotale"
Toutefois, la maladie n’a pas stoppé ses attaques pour autant. "Durant ma grossesse, j’ai eu le sentiment qu’un symptôme était en train d’apparaître. J’en ai parlé avec des professionnels de santé, ils m’ont répondu, on verra plus tard. Après la naissance, j’ai demandé à passer une IRM. On a alors découvert que la maladie se développait dans le cerveau. J’ai des tumeurs et des malformations artério-veineuse. Je dis maintenant que j’ai mes copines dans ma tête".
Au total, Sophie a connu 4 alertes AVC. "Mon corps en a pris un coup", reconnaît-elle. De plus, son hyperplasie endométriale - un des troubles favorisés par la maladie de Cowden - a empiré après l’accouchement. "Sur un mois, j’avais 25 à 26 jours de règles. J’avais poches de fer sur poches de fer. Mais rien ne fonctionnait." Épuisée par les pertes de sang et les soucis de santé, Sophie ne tenait plus debout. Par ailleurs, les hamartomes ont continué de se multiplier. "En comptant les deux seins, j’avais plus de 70 tumeurs. Ainsi, en 2015, je me suis résignée à faire une mastectomie et une hystérectomie subtotale, et ainsi à renoncer à ma poitrine et à une possible autre maternité."
Ces deux opérations ainsi qu’une reconstruction mammaire ont été programmées en même temps. "Je suis rentrée au bloc à 7 heures du matin et j’en suis sortie à 20 heures. Je ne savais pas si j’allais en sortir vivante tellement j’étais faible."
Si ces chirurgies avaient pour objectif de lui offrir plus de sérénité, les problèmes de cicatrisation se sont multipliés. "Je faisais infection sur infection. Je n’avais plus de force dans les bras. J’ai été réopérée au moins six fois."
Ehlers-Danlos Hypermobile : "J’ai me suis dit : je ne suis pas folle"
En plus de ce problème récurrent de mauvaises cicatrisations, la jeune maman a vu apparaître "des douleurs et une fatigue chronique de plus en plus ingérables". Toutefois, les spécialistes consultés ne lui apportent aucune réponse.
"J’ai vu beaucoup de médecins à cette époque. Ils me disaient tous que cela se passait dans ma tête. Ils m’ont d’ailleurs fait énormément douter. Mais j’ai la chance – depuis la naissance de ma fille – d’avoir un médecin traitant exceptionnel qui m’a dit "écoute ton corps, il ne t'a jamais trahi". Il m’a convaincu de poursuivre les examens."
Après sept années de recherches et de tests, Sophie a découvert l’origine de ses nouveaux troubles inexplicables. Elle est également atteinte du syndrome Ehlers-Danlos Hypermobile. Cette pathologie s'accompagne principalement d'une hypermobilité, d’une fragilité cutanée et d’une tendance hémorragique. S’il a entraîné de nouveaux traitements et de soins à suivre, ce diagnostic a aussi été un soulagement pour la patiente peu entendue par le monde médical jusque-là. "J’ai me suis dit : je ne suis pas folle. J’ai vraiment quelque chose."
Autre problématique pour les personnes atteintes de maladies rares. Leur immunité est souvent plus fragile. “En octobre 2022, j’ai eu la Covid-19. Elle s’est transformée en Covid long et maintenant, j'ai un syndrome post-Covid. Je suis en cours de traitement, car je respire très mal.” Et pour elle aujourd'hui, ces troubles respiratoires post-Covid sont les plus difficiles à supporter, parce qu'elle a appris “à gérer ses douleurs” depuis des années.
Mais, Sophie ne s’avoue pas vaincue. "Il ne faut jamais perdre espoir. J’ai ma fille et mon mari qui me permettent de rester motivée tous les jours ainsi que mon combat pour faire connaître la maladie de Cowden au plus grand nombre, avec l’association."