Luc Dupuis est Directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et Directeur de l’Unité Mixte Inserm UMR-S1329 "Neurosciences et Psychiatrie Translationnelles de Strasbourg" à l’Université de Strasbourg. Il a été lauréat en 2019 du Prix Bettencourt Coups d'élan pour la recherche française, créé par la Fondation Bettencourt Schueller.
Pourquoi Docteur : Qu’est-ce que la sclérose latérale amyotrophique, autrement appelée maladie de Charcot ?
Luc Dupuis : C’est une maladie neurodégénérative qui apparaît entre 50 et 65 ans et qui se manifeste par des symptômes moteurs : les patients perdent progressivement de la force, soit d’abord dans un membre, soit dans les muscles de la face, puis la paralysie progresse dans l’ensemble du corps. La SLA provoque le décès généralement dans les trois ou quatre ans après le déclenchement des symptômes. Une partie des cas de SLA sont génétiques, ce qui nous a permis de créer des modèles de souris atteintes de SLA génétique, qu’on étudie en laboratoire pour essayer de comprendre les mécanismes précoces de la maladie.
La perte de poids chez les patients atteints de SLA commence environ dix ans avant le début des symptômes.
Qu’avez-vous récemment découvert ?
Nous nous sommes aperçus que ces souris perdaient du poids avant d’avoir un symptôme moteur, de paralysie. C’est quelque chose que l’on constatait depuis longtemps chez l’humain, mais que l’on attribuait aux problèmes moteurs : les patients qui consultent sont déjà malades et ont perdu du poids parce qu’ils ont des difficultés à se nourrir ou se déplacer. Or, on s’est interrogé pour savoir ce qui était la poule et ce qui était l’œuf : la perte de poids est-elle préalable aux symptômes moteurs ou en est-elle la conséquence ? Après avoir mené de nombreuses études chez l’humain et la souris, on a constaté que la perte de poids chez les patients atteints de SLA commence environ dix ans avant le début des symptômes.
La perte de poids serait donc le premier symptôme de la SLA ?
Ce n’est pas un symptôme, car un symptôme est quelque chose dont on se plaint – et les patients ne s’en plaignent pas vraiment, sachant qu’elle n’est pas massive au début de la maladie (entre 2 et 5 kilos en moyenne). Mais la perte de poids est un signe avant-coureur de la SLA. Nous avons montré que plus elle est importante, plus la progression de la maladie est rapide : les patients qui vont perdre 4-5 kilos survivent moins longtemps que ceux qui vont perdre quelques kilos, et ceux qui ne perdent pas de poids vont avoir une maladie beaucoup plus lente.
Les patients atteints de SLA qui avaient bénéficié d’un supplément calorique ont survécu plus longtemps que ceux qui n’avaient eu qu’un placebo.
En agissant sur cette perte de poids, pourrait-on agir sur la progression de la maladie ?
Nous en sommes convaincus. Nous l’avons démontré sur des souris il y a deux décennies, et sur des humains – du moins une partie – il y a trois ans. Les patients atteints d'une forme de SLA progressant rapidement qui avaient bénéficié d’un supplément calorique (sous forme de lipides, de gras) ont survécu plus longtemps que ceux qui n’avaient eu qu’un supplément placebo (neutre en calories). Pour l’heure, on ne peut pas y voir de lien de causalité car l’effet n’a eu lieu que sur une partie des patients. Mais un deuxième essai clinique incluant uniquement des patients à progression rapide est en cours.
Pourquoi les patients atteints de SLA perdent-ils du poids ?
Nous avons constaté qu’une petite région du cerveau appelée hypothalamus, qui contrôle toutes les interfaces entre le cerveau et le reste de l’organisme (notamment la prise alimentaire et la dépense énergétique), était plus petite chez les patients atteints de SLA, et d’autant plus petite que le patient perdait du poids. Nous avons réussi à identifier un type de neurones qui disparaît, ou en tout cas est moins présent chez les patients les plus sévèrement affectés. La substance que produisent ces neurones retarde la perte de poids, et donc, quand on les redonne à la souris, elle ne perd plus de poids. Nous avons également constaté que cette région de l’hypothalamus joue également sur les troubles du sommeil, fréquents chez les patients atteints de SLA.
Une partie des patients atteints de SLA ont aussi des symptômes cognitifs proches de la démence fronto-temporale, une maladie proche.
Au-delà de la perte de poids et des troubles du sommeil, y a-t-il d’autres signes non moteurs qui peuvent annoncer la SLA ?
Il y en a un troisième type : les symptômes cognitifs, de démence. Les patients atteints de SLA n’ont pas de problèmes de mémoire comme ceux de l’Alzheimer, mais une partie d’entre eux ont des symptômes cognitifs proches de la démence fronto-temporale, une maladie proche de la SLA sur laquelle nous travaillons également : ils sont affectés dans leur façon de parler, leur débit verbal... Là encore, c’est très corrélé à la progression de la maladie : les personnes les plus altérées cognitivement sont celles dont la maladie évolue le plus rapidement.
En quoi mieux comprendre le circuit responsable de la perte de poids chez les patients atteints de SLA permettrait-il d’améliorer les traitements ?
Nous sommes en train d’étudier le problème de plusieurs façons. On examine notamment les circuits neuronaux, ce qui se passe dans le cerveau : si on a des neurones malades, on peut éventuellement corriger le problème en ciblant les neurotransmetteurs spécifiques, ce qu’on a déjà réussi à faire avec les souris. Par ailleurs, on sait que chez un patient, en moyenne, la moitié de ce qui provoque sa maladie est d’origine génétique, l’autre moitié étant d’origine environnementale (en premier lieu le vieillissement, la nutrition, l’exercice et les pesticides). Cette contribution génétique est plus forte dans la SLA que dans les autres maladies neurodégénératives comme l’Alzheimer ou Parkinson. La question se pose donc : pourrait-on identifier des gènes impliqués dans la perte de poids au cours de la SLA ? Car identifier cette origine génétique permettrait, là aussi, d’avoir de nouvelles cibles thérapeutiques, en agissant par exemple avec des traitements de thérapie génique pour ralentir la perte de poids.
La SLA ne se manifeste pas de la même façon en Chine ou en Europe : les patients chinois sont beaucoup plus jeunes et leur maladie progresse lentement, alors que les patients européens sont plus âgés et progressent plus rapidement.
Vos recherches pourraient-elles également permettre d’élucider d’autres maladies neurodégénératives ?
La perte de poids, les troubles du sommeil et les problèmes de démence ne sont pas du tout des symptômes spécifiques de la SLA, on les trouve aussi dans d’autres maladies neurodégénératives comme Alzheimer, Parkinson ou Huntington. Donc ce n’est pas impossible que ce qu’on est en train d’élucider dans la SLA puisse être impliqué dans ces autres pathologies.
A-t-on aujourd’hui des pistes concernant les causes ou du moins les facteurs de risque de la SLA ?
Il existe notamment un facteur de risque lié au sexe (les hommes sont davantage atteints que les femmes) et un facteur occupationnel (certains traumatismes crâniens peuvent favoriser la maladie, tout comme la pratique du sport à très haute intensité, chez les athlètes par exemple). Mais les facteurs de risque n’ont pas tous été identifiés. On sait que la SLA ne se manifeste pas de la même façon en Chine ou en Europe : les patients chinois sont plus jeunes et leur maladie progresse lentement sur une dizaine d’années, alors que les patients européens sont plus âgés et progressent plus rapidement. Cela fait partie des pistes de recherche : augmenter la diversité génétique des études pour essayer de comprendre ce qui détermine la progression de la SLA, et si certains gènes protègent contre la maladie, ou sont au contraire délétères. Cela permettrait de cibler spécifiquement les patients en fonction de leur profil.