Dans cette interview exclusive, Yahya El Mir partage les détails techniques et les implications cliniques de cette nouvelle méthode de diagnostic par la salive, qui pourrait transformer la prise en charge de cette maladie neurodégénérative.
Pourquoi docteur : Dans quel contexte avez-vous décidé de développer ce test pour la maladie de Charcot ?
Yahya El Mir : Tout a commencé avec une première rencontre. Le Dr Philippe Codron m’avait proposé une étude clinique utilisant notre technologie. Je lui ai immédiatement donné mon accord. Une seconde rencontre bouleversante, et qui restera un moment mémorable de ma vie, c'est celle d'Olivier Goy qui m’a complètement converti à cette cause. Nous avons une responsabilité collective d’intensifier la recherche pour mieux comprendre cette maladie terrible et trouver des solutions.
Parce que le diagnostic est difficile à réaliser, il est souvent tardif. De plus, la maladie est très différente d’une personne à l’autre. Lorsque la SLA est diagnostiquée et annoncée aux patients et à leur entourage, les intervenants de la prise en charge médicale et sociale doivent composer avec une maladie déjà avancée.
Par ailleurs, cette difficulté de poser le diagnostic rend plus difficile l’organisation des essais cliniques et ralentit les progrès de la recherche.
C’était donc avec beaucoup de sens que nous collaborons avec les médecins neurologues pour appliquer la technologie Ziwig aux questions qu’ils souhaitent résoudre.
Les trois grands enjeux en recherche sont : une meilleure compréhension de la maladie, l’identification de marqueurs diagnostics et pronostics, et bien sûr, le développement de traitements.
Quels sont les enjeux principaux de la Recherche pour cette maladie ?
Actuellement, les trois grands enjeux en recherche sont : une meilleure compréhension de la maladie, l’identification de marqueurs diagnostics et pronostics, et bien sûr, le développement de traitements.
C’est une maladie qui diffère d’un patient à l’autre, avec en particulier une espérance de vie très variable, de quelques mois à plusieurs années, et nous ne savons pour le moment pas pourquoi.
La grande variété d’expressions cliniques de la maladie, et les difficultés diagnostiques pénalisent le développement de traitements.
La génétique ne permet pas de prédire la maladie ?
Dans 10 % des cas, la SLA est d’origine purement génétique, liée à des gènes de mieux en mieux connus. Dans 90 % des autres cas, la cause demeure inconnue. Il s’agit probablement d’un terrain multigénique individuel combiné à de nombreux autres facteurs environnementaux.
Une étude clinique est en cours sur 600 personnes dans une vingtaine de centres.
Comment expliquez-vous les difficultés rencontrées dans le traitement et le diagnostic de la SLA ?
Ces difficultés sont indiscutablement liées à la très grande hétérogénéité clinique des patients, et au diagnostic souvent tardif de la maladie. Il existe en effet une importante variabilité phénotypique chez les patients atteints de SLA, qui porte sur plusieurs aspects cliniques et ajoute à la complexité du diagnostic. C’est là où l’utilisation de nouvelles technologies : la biologie moléculaire, le NGS et l’intelligence artificielle, pourrait offrir des perspectives intéressantes. Ces technologies là nous amènent au plus proche du fonctionnement cellulaire. Cela pourrait ouvrir la voie à une meilleure compréhension des mécanismes sous-jacents extrêmement complexes qui génèrent des dérégulations. En identifiant ces dérégulations, nous pourrions arriver à un diagnostic plus précoce de la maladie et peut-être à la compréhension de mécanismes permettant d’imaginer des traitements.
Alors, concrètement, où en êtes-vous aujourd’hui ?
Nous avons mis notre technologie à disposition de chercheurs qui travaillent sur cette maladie. Une étude clinique est en cours sur 600 personnes dans une vingtaine de centres, dont une moitié de patients qui est atteinte de la maladie et une autre partie, dite “de contrôle”, c’est-à-dire qui ne l’a pas.
Quel est l’objectif de cette étude clinique ?
Nous nous sommes fixés plusieurs objectifs très ambitieux dans cette étude. Le premier : avoir une signature biologique forte de la maladie, permettant d’en faire un diagnostic de certitude.
Si nous identifions une signature au niveau des ARN salivaires des personnes atteintes de SLA par séquençage haut débit et intelligence artificielle, nous pourrons imaginer identifier différents phénotypes, différentes formes de la maladie et de son évolution, ce qui constitue la base de la médecine de précision.
Pourquoi est-ce important de comprendre cela ?
Cela permettrait d’appréhender au mieux les mécanismes à l’œuvre dans les différentes formes de la maladie et ainsi de tenter de déterminer quels traitements pourraient être utilisés de manière plus pertinente et, nous l’espérons, plus efficace.
Il s’agit d’une piste importante, utilisée aujourd’hui notamment en oncologie, pour améliorer, demain, la prise en charge et les thérapeutiques de cette pathologie. Cela correspond à la médecine de précision ou personnalisée. Qui dit personnalisée, dit qui s’attache à la singularité de la personne ou d’un groupe de personnes et dans cette maladie-là, cela pourrait avoir également énormément de sens.
La salive recèle énormément d’informations et nous espérons que cela aidera les chercheurs à mieux comprendre cette pathologie.
Quels sont les dénominateurs communs avec l’Endotest ?
La technologie de Ziwig est fondée sur l’analyse des ARN et de leur capacité à réguler l’expression des gènes. Les ARN sont une découverte scientifique majeure qui a donné lieu à plusieurs prix Nobel. Le développement d’applications qui découlent de ces découvertes s’étend à toutes les aires thérapeutiques (la cardiologie, le cancer, les maladies rares…).
Nous contribuons à cet élan de recherche majeur en apportant notre expertise sur les ARN salivaires et en mettant notre technologie à disposition des chercheurs et, nous l’espérons, demain des médecins et des patients.
La salive recèle énormément d’informations et nous espérons que cela aidera les chercheurs à mieux comprendre cette pathologie, comme nous l’avons fait pour l’endométriose et qui a abouti à ce premier test diagnostic. Mais c’est un travail long et extrêmement complexe impliquant des techniques de biologie moléculaires complexes, de l’IA, et qui nécessite un travail scientifique extrêmement exigent et long avant d’aboutir à un produit utilisable en clinique ; nous n’en sommes qu’au commencement…
Ce sont ces variations dans l’expression de milliers d’ARN contenus dans la salive qui vont servir de référentiel aux calculs complexes réalisés par l’intelligence artificielle.
Quels sont les paramètres de la maladie de Charcot justement ?
C’est très important d’avoir une étude clinique extrêmement précise et rigoureuse, qui permette de caractériser les ARN spécifiques de la dérégulation qui est impliquée dans la maladie.
Car ce sont ces variations dans l’expression de milliers d’ARN contenus dans la salive qui vont servir de référentiel aux calculs complexes réalisés par l’intelligence artificielle pour d’une part, identifier une éventuelle signature diagnostique basée sur la biologie et dans un second temps, être capable d’effectuer le travail sur les différents phénotypes biologiques de la maladie.
600 personnes pour une étude clinique, c’est assez ?!
C’est le nombre de sujets habituel pour une étude clinique sur la maladie. Et c’est un nombre suffisant pour obtenir la puissance statistique requise par notre essai clinique sur la maladie. Avec 600 personnes, compte tenu de la technologie utilisée, nous avons la capacité d’obtenir des résultats significatifs.
Quels sont les acteurs de ces recherches dans vos équipes ?
Le réseau national de recherche clinique dans la SLA Alliance on Clinical Trials for Amyotrophic Lateral Sclerosis – Motor Neurone Disease (ACT4ALS-MND) est un acteur important de la recherche, avec des spécialistes, des cliniciens. Notre étude clinique s’appuie sur ce réseau fédérateur. Le Dr Philippe Codron à Angers, dirige ces travaux.
La véritable révolution c’est la salive ?
La salive est un fluide extraordinaire, qui présente de nombreuses qualités : simple à utiliser, pratique et contenant énormément d’informations. Une simple goutte de salive contient des milliers de biomarqueurs potentiels. C’est comme disposer d’une photo haute définition. Les progrès techniques permettent aujourd’hui de mieux exploiter son potentiel pour faire progresser les connaissances scientifiques et générer des innovations.
Mais la véritable solution viendra de l’intensification des efforts de recherche, avec des partenaires de qualité, partageant le même engagement pour les patients et leur famille.