Pourquoi Docteur : La sclérose latérale amyotrophique est considérée comme une maladie rare alors que son incidence est assez importante, comment l’expliquez-vous ?
Pr Claude Desnuelle : Effectivement, nous retrouvons pratiquement les mêmes chiffres d’incidence pour la sclérose latérale amyotrophique et la sclérose en plaques. Cependant, le nombre de personnes souffrant de la SLA qui vivent en même temps reste faible car l’espérance de vie est très courte et va en moyenne de 3 à 5 ans. Chaque année, il y a 1.600 nouveaux cas et autant de décès.
Est-ce une maladie qui touche tous les âges de la vie, autant les femmes que les hommes ?
L’incidence chez les deux sexes est relativement la même, quoique légèrement plus élevée pour les hommes. Le pic d'apparition de la SLA se situe quant à lui entre 55 et 65 ans. Cependant, il y a également des personnes jeunes qui sont touchées. Généralement, nous nous posons vraiment des questions chez celles qui ont moins de 40 ans, et souvent, nous constatons que ce sont des formes génétiques.
On entend beaucoup parler de “maladie de Charcot” pour désigner la SLA, et pourtant, les médecins l’utilisent de moins en moins, pourquoi ?
C’est un terme qui n’est plus employé médicalement mais qui reste dans le langage courant car il marque les esprits. En fait, ce nom vient du neurologue français qui a décrit pour la première fois cette maladie en 1960. Mais en regardant sa description, nous constatons qu’il décrit une forme spécifique de SLA et aujourd’hui, nous savons qu’il existe de très nombreuses formes de la maladie. Par ailleurs, quand le neurologue pose le diagnostic de la SLA, il est incapable de donner le pronostic vital du patient donné… Alors s’il évoque de suite la “maladie de Charcot”, le patient peut avoir en tête que son espérance de vie sera forcément comprise entre 3 et 5 ans… Même si c’est souvent le cas, il y a une poignée de malades qui vivent bien plus longtemps.
Comment le diagnostic est-il posé ?
Le diagnostic se fait uniquement sur un examen clinique neurologique parce qu’en fait, même si nous parlons du taux de neurofilaments qui est un marqueur de maladies détruisant les axones, il n’y a aucun marqueur biologique pour diagnostiquer la sclérose latérale amyotrophique. Tous les examens servent plutôt à faire un diagnostic d’élimination. La prise de sang permet quant à elle de faire une analyse génétique qui peut révéler la présence de plusieurs gènes pouvant être à l’origine de la SLA. Mais c’est bien au médecin de mener une expertise en recherchant des petits signes spécifiques à la maladie.
Actuellement, entre l’apparition du premier signe et la pose du diagnostic par le neurologue, il faut en moyenne 12 mois.
Parmi les signes à observer, il peut retrouver une défaillance, car c’est une maladie qui touche les neurones moteurs : perte de force, fatigue, déficit moteur, atrophie musculaire, etc. L’autre groupe de signes possibles est la manifestation de la souffrance du neurone moteur supérieur, donc au niveau du cerveau, et cela se traduit par une raideur avec une contraction plus ou moins permanente des muscles, des réflexes vifs ou qui ne devraient pas exister, etc. Au fur et à mesure, ces signes aident le spécialiste à affiner son diagnostic.
Le diagnostic est donc assez complexe à réaliser, combien de temps faut-il pour l’obtenir ?
Actuellement, entre l’apparition du premier signe et la pose du diagnostic par le neurologue, il faut en moyenne 12 mois. Mais cela peut être plus ou moins long pour le patient, notamment en fonction du circuit de consultation qui sera mis en place. En général, le médecin traitant ne reconnaît pas spécialement la SLA car c’est une maladie rare, et tant qu’on n'a jamais vu cette maladie, on est incapable de la reconnaître. Par exemple, si un patient présente une atrophie au niveau de la main, le médecin peut penser au syndrome du canal carpien et l’envoyer se faire opérer. Et ce n'est seulement qu'après tout cela qu’il se rend compte que le mal progresse et que ce n’était donc pas la cause du problème. Pour le malade, ce sont déjà quatre mois qui sont perdus. Mais si le patient consulte très vite un neurologue, le diagnostic peut être posé rapidement.
Nous devrions plutôt dire “SLA avec une forme à début” spinale ou bulbaire car quand la maladie progresse, elle finit par atteindre la sphère spinale pour la forme bulbaire et inversement.
En fonction de la forme spinale ou bulbaire, quels sont les premiers symptômes de la sclérose latérale amyotrophique ?
La forme spinale touche d’abord les membres supérieurs ou inférieurs, ce qui cause une déficience motrice. Cela peut se traduire par une perte de force dans une main, un pied, une gène au niveau de la jambe, etc. La forme bulbaire se caractérise quant à elle par une atteinte de la sphère ORL avec des manifestations de types difficultés à déglutir ou à articuler dès le début de la maladie. Mais en réalité, même si nous parlons d’une forme ou de l’autre, nous devrions plutôt dire “SLA avec une forme à début” spinale ou bulbaire car quand la maladie progresse, elle finit par atteindre la sphère spinale pour la forme bulbaire et inversement.
Les symptômes physiques sont souvent évoqués, mais la maladie peut également entraîner des troubles cognitifs, quels sont-ils ?
Nous avons souvent l’impression que les personnes qui développent la SLA sont particulièrement hyperactives, très stressées, très perfectionnistes… Alors est-ce que cela fait partie de leur caractère anxieux ou est-ce que l’anxiété fait partie de la maladie ? Ensuite, il y a très souvent des signes de dépression et d’angoisse, mais cela peut grandement s’expliquer par l’atrocité de cette maladie qui est difficile à appréhender.
La progression de la SLA n’est pas rectiligne, et très souvent, nous voyons des malades en évolution prolongée et à partir d’un certain moment, le déclin est moins rapide, avec une sorte de plateau évolutif.
Certains malades ont une progression très rapide de la SLA, puis soudain, elle se stabilise et ils peuvent rester plusieurs années dans le même état. Est-ce que la médecine arrive à expliquer cela ?
Non, nous n’arrivons pas encore à l’expliquer. Il est vrai que la progression de la SLA n’est pas rectiligne, et très souvent, nous voyons des malades en évolution prolongée et à partir d’un certain moment, le déclin est moins rapide, avec une sorte de plateau évolutif. Mais malheureusement, ces patients sont souvent déjà très atteints, avec une incapacité de marcher, des troubles respiratoires, etc. L’inverse, c’est-à-dire des formes qui évoluent lentement et qui, d’un coup, se mettent à progresser très vite, sont beaucoup plus rares. Aujourd’hui, nous définissons des populations de “progresseurs lents” et de “progresseurs rapides”. Pour cela, le médecin se base sur une échelle spécifique, le score ALSFRS-R, qui contient 12 items, allant de la capacité à se nourrir, à la capacité à marcher et à respirer, etc. Nous considérons que si le score monte de 1 point / mois c’est une progression “normale”, s’il est supérieur à 1,5 c’est très rapide, et inférieur à 0,5 c’est lent.
Comment se termine la vie des patients ?
L’insuffisance respiratoire est souvent la responsable de la mort chez ces patients. En fait, l'expansion des poumons du malade n’attire plus suffisamment d’air à l'intérieur de la cage thoracique. Or, nous pouvons vivre sans bouger, mais pas sans respirer. Donc au début, cette insuffisance respiratoire est compensable par une ventilation intermittente avec un masque qui souffle de l’air extérieur, puis le patient en a besoin 24h sur 24, et là, nous pouvons faire le choix de passer à la trachéotomie [opération consistant à créer un orifice (<2 cm) à la face antérieure du cou afin de positionner une canule dans la trachée, en dessous des cordes vocales, permettant le passage d’air vers les poumons, NDLR]. Même avec la prise en charge, cette insuffisance respiratoire peut être source de complications, d’infections, etc.
Il y a aussi l’embolie pulmonaire qui peut emporter le malade, mais nous la repérons moins souvent dans la SLA. Ce qu’il se passe généralement dans ces cas-là, c’est que la personne, déjà très affectée, s’endort le soir et ne se réveille pas le matin.
En revanche, à notre époque, plus personne ne meurt de dénutrition car nous utilisons des sondes pour nourrir les patients.
Que savons-nous aujourd’hui du rôle de l’environnement dans le développement de la maladie ?
D’abord, il faut noter que ce n’est pas n’importe quelle personne qui va déclencher la SLA car il y a aussi des facteurs personnels. Alors c’est sûr qu’il y a des facteurs environnementaux, car nous avons constaté qu’une personne peut présenter une mutation pouvant causer la SLA sans pour autant ne jamais la déclencher… Mais cela reste difficile de parler de facteurs favorisant la SLA car il n’y a rien de prouvé pour l’instant. Nous avons parlé de beaucoup de choses, de l’exercice physique, de la toxicité des herbicides, de champignons, etc, mais il n’y a finalement rien eu de concluant.
Cela fait plus de 30 ans que je m’intéresse à cette maladie et je n’ai pas la notion d’avoir vu le nombre augmenter.
Quels sont les autres facteurs de risque ?
5 à 10 % des SLA sont familiales : quand on a un parent atteint, on a plus de risques d’en souffrir également. Les 90 % restants sont considérés comme sporadiques. Cependant, nous avons par exemple constaté qu’il y avait une plus grande fréquence des maladies psychiatriques dans la génération précédente de la famille des patients SLA, comme la schizophrénie ou les troubles bipolaires. Certaines associations de maladies sont également reconnues, comme la démence fronto-temporale qui touche environ la moitié des malades SLA.
Voyez-vous une augmentation du nombre de cas depuis que vous avez commencé à étudier cette pathologie ?
Cela fait plus de 30 ans que je m’intéresse à cette maladie et je n’ai pas la notion d’avoir vu le nombre augmenter. Quand on dit que le nombre de malades augmente, il faut bien noter que c’est toujours le même pourcentage vis-à-vis de la population. Donc ce n’est pas impossible qu’il y ait eu une augmentation, mais c’est essentiellement lié au fait que la population générale augmente elle aussi.
Le village à Saint-Vaast-en-Chaussée dans la Somme a fait la une de l’actualité il y a quelques mois parce que cinq personnes sont décédées de la SLA dans la même rue. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?
Une investigation de Santé publique France a été lancée, mais je n’ai pas eu d’informations pour l’instant. Je ne sais pas si ces personnes étaient familialement connectées non plus. Par ailleurs, ces personnes sont mortes de la SLA sur 10 ans, donc c’est peut-être le jeu du hasard. Vous savez, quand on est neurologue, on ne diagnostique pas tous les jours un malade de la SLA, cela peut monter à 4 ou 5 personnes dans le mois, mais il arrive parfois qu’on en voit 3 ou 4 sur la même semaine… C’est une question de probabilité, de statistique. Pour ce village, peut-être que c’est la faute à pas de chance ? Nous en saurons certainement plus avec les conclusions de l’enquête qui devraient arriver prochainement.