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La Santé en Questions

Santé mentale des jeunes : pourquoi il y a urgence

Par Thierry Borsa

La santé mentale des enfants français est en danger. Selon une étude récente, environ 20% des enfants souffriraient de troubles psychologiques, un chiffre en constante augmentation depuis quelques années. Les spécialistes constatent une augmentation des consultations en pédopsychiatrie et des demandes d'aide psychologique. Le point sur ce sujet dans notre émission "La Santé en Questions" avec deux psychiatres, le Pr Amine Benyamina et le Dr Denis Mathieu.

iStock/Halfpoint

Editorial

"La joie de vivre, l’insouciance, la confiance dans l’avenir, voilà ce que l’on a longtemps associé au mot "jeunesse", un temps béni que l’on regrettait de quitter en prenant de l’âge. Patatras, aujourd’hui les jeunes ont le moral dans les chaussettes ! Ils sont même peut-être ceux qui vivent le plus mal une époque qui ne leur épargne rien des soucis, des angoisses du quotidien. Illustration de ce phénomène, une étude réalisée en mars dernier par l’université de Bordeaux a révélé que 41% des étudiants présentent des syndromes dépressifs et que pour 21% la dégradation de leur santé mentale allait jusqu’à faire germer chez eux des idées suicidaires !

Mais que s’est-il passé pour en arriver là ? Oui, il y a eu la crise sanitaire avec ce qu’elle a apporté de peurs, de parenthèses forcées de la vie sociale, de détérioration des conditions de vie. Mais il s’agit sans doute davantage d’un révélateur du malaise des jeunes que de sa cause première.

Un bouleversement des repères

Covid ou pas covid, c’est bien toute notre époque qui génère son lot de faits et de messages qui plombent le moral des jeunes : une planète en danger menacée par le dérèglement climatique, un contexte géopolitique qui déclenche des conflits qui se rapprochent de nos frontières ou qui s’invitent dans les fractures de notre société, la menace d’une précarité sociale, la montée de la violence, de l’insécurité, une pression de plus en plus forte pour trouver sa place demain dans un monde complexe dont certains repères sociétaux, moraux ont été bouleversés, voilà une charge lourde à porter.

Faire rimer jeunesse avec espoir

Faut-il pour autant désespérer ? Dans sa déclaration de politique générale, le premier Ministre Gabriel Attal avait présenté comme "une grande cause de l’action gouvernementale" la santé mentale des jeunes. C’était sans compter sur les aléas de la vie politique ! Mais personne ne peut se résigner à ce qu’une tranche d’âge qui va construire l’avenir soit condamnée à déprimer, à consommer des substances qui sont les pires des faux amis ou à s’étourdir devant des écrans. Avec le Pr Amine Benyamina, psychiatre et justement auteur d’un rapport remis au président de la République sur les jeunes et les écrans, et son confrère lui aussi psychiatre, le Dr Denis Mathieu, il est question dans l'émission "La Santé en Questions", de solutions. Pour tenter de faire à nouveau rimer jeunesse avec espoir".


Ce qu'il faut retenir de l'émission "santé mentale des enfants français, un état d'urgence"

Le constat :

Pr Amine Benyamina : "On parle de choses graves, de tentatives de suicide, de suicides réussis, d'automutilations chez les jeunes de 10 ou 13 ans".

Dr Denis Mathieu : "Les demandes de prise en charge des enfants explosent; avec la crise sanitaire, on a vu apparaître les 'enfants Covid', ceux dont les premiers moments de vie se sont déroulés dans un environnement particulier, avec des effets sur l'apprentissage et le rapport aux autres; et puis avec cette crise, l'aspiration à un idéal commun a été effacé, elle a caractérisé les personnes en sous-groupes. Les parents eux-mêmes ont perdu une partie de leurs illusions et ne savent plus quel modèle donner à leurs enfants pour leur quête du bonheur".

La perte des repères :

Pr Amine Benyamina : "Le statut de l'enfant dans notre société a changé, il n'y a plus d'espace pour les enfants qui sont perçus comme ceux qui perturbent la liberté et la jouissance des parents, il faut repenser leur place dans la société".

Dr Denis Mathieu : "Les parents sont déboussolés, ce qui est en train de disparaître, c'est le récit commun, la continuité de l'histoire, une flèche du temps qui était la même pour tout le monde et que les parents laissaient à l'école le rôle de transmettre".

Le rôle des écrans :

Pr Amine Benyamina : "Certains contenus en ligne sont très violents. Il faut réguler l'offre au niveau français, européen et mondial et la France est à l'origine de textes importants qui permettent d'imposer aux GAFAM de mettre de l'ordre chez eux. Et dans le rapport remis sur ce thème au président de la République, nous proposons une meilleure information des parents, un guide plutôt qu'une loi, avec des règles simples comme pas d'écran avant 3 ans, pas de téléphone avant 6 ans et pas d'accès aux réseaux sociaux avant 15 ans".

Les inquiétudes sur l'avenir, éco-anxiété :

Dr Denis Mathieu : "Concernant l'angoisse des jeunes face à l'avenir, c'est la question du sens de la vie. Avec le Covid, beaucoup de gens se sont rendus compte qu'ils avaient un travail dont l'utilité sociale était faible et ont vu qu'ils pouvaient ne pas être en groupe pour travailler alors que le travail avait jusqu'à présent un rôle de sociabilisation. Et sur ces sujets comme sur le devenir de la planète, nous adultes, sommes responsables de ce qui se passe aujourd'hui et nos enfants vont le vivre comme une injustice".

Pr Amine Benyamina : "Les jeunes se rendent compte qu'ils vont hériter d'une planète qui est malade, mais ils sauront trouver une solution, ils sont déjà plus aguerris aux gestes écologiques, ils ont même un rôle pédagogique à jouer sur ces sujets vis à vis de leurs parents".

La prise en charge des jeunes :

Pr Amine Benyamina : "On manque de recherche clinique en France sur la santé mentale des jeunes, on est sur quelque chose de nouveau et il faut poser des règles méthodologiques. Cela aboutit, par exemple, à ce qu'il n'y ait pas de repérage de la souffrance en milieu scolaire, l'Education Nationale aurait besoin de ces repères".

"Par ailleurs, il faut que les parents n'hésitent pas à consulter quand il y a des signes d'alerte, un isolement, un changement dans le rythme de travail, des troubles du sommeil; les médecins de famille sont les mieux armés pour dépister les troubles de santé mentale à condition de savoir prendre du recul par rapport aux manifestations somatiques".