Pourquoi docteur - Vous avez lancé des recherches inédites sur le cycle menstruel des athlètes de haut niveau. Pourquoi avez-vous décidé de traiter cette problématique ?
Juliana Antero : Déjà parce qu’il n’y a pas encore assez de recherches sur les femmes. Aujourd’hui, la majorité des essais scientifiques sont faits sur des hommes, puis leurs résultats sont extrapolés à l’autre sexe.
Par ailleurs, je suis tombée un jour sur une interview de la handballeuse Estelle Nze Minko, dans laquelle elle militait pour que le cycle menstruel des athlètes de haut niveau soit davantage étudié, ce qui m’a semblé tout à fait pertinent.
Enfin, cette problématique m’intéresse car j’ai été moi-même une athlète de haut niveau en gymnastique aérobique, et j’ai à cette époque beaucoup subi mon cycle.
Cycle menstruel : "Nous avons collecté des données sur des athlètes qui vont participer aux prochains Jeux Olympiques"
Quelle a été la méthodologie de l’étude ?
Nous avons créé un protocole pour faire une étude longitudinale et prospective, en collectant des données au quotidien sur des athlètes qui vont participer à ces Jeux Olympiques. Nous avons récupéré des éléments subjectifs, comme par exemple le niveau de bien-être des sportives, et des éléments biologiques, comme par exemple leurs caractéristiques hormonales.
Nos recherches ont porté sur plus de 130 athlètes et sur neuf sports différents.
Quels outils avez-vous utilisés ?
Pour collecter les données, nous avons beaucoup eu recours à des capteurs et à des applications. Nous avons aussi utilisé des méthodes avancées d’analyse de type machine learning pour identifier l’impact du cycle menstruel sur l’entraînement des sportives, en prenant bien en compte toutes les autres variables comme la qualité de leur sommeil par exemple.
Quels ont été vos résultats ?
Le résultat majeur qui a émergé de nos analyses, c’est que le cycle menstruel peut à la fois avoir un impact négatif et positif sur la performance des athlètes. Je parle bien ici du cycle menstruel dans sa totalité, et pas seulement de la période des règles.
Côté négatif, il apparaît que les symptômes menstruels engendrent souvent des entraînements de qualité inférieure. Côté positif, nous avons établi que la montée des œstrogènes à l’approche de l’ovulation augmente généralement la capacité de sportives professionnelles à générer des efforts très longtemps et à rester plus durablement dans des activités physiques intenses.
"Il faut aider les athlètes de haut niveau à mieux gérer leur cycle menstruel si besoin"
Quelles conclusions tirez-vous de ces nouvelles données pour les sportives professionnelles ?
Il faut, je pense, aider les athlètes de haut niveau à mieux gérer leur cycle menstruel si besoin, car c’est un paramètre de la performance sportive à part entière qui doit être pris en compte et anticipé au même titre que les autres (sommeil, nutrition, etc).
Comment anticiper, alors que les athlètes ne décident ni des dates de compétition, ni du déroulement de leur cycle menstruel ?
Il faut, je pense, agir en amont des compétitions, afin de maîtriser ce paramètre pour qu’il ne soit pas un problème le jour J. Par exemple, si l’athlète souffre pendant ses règles, il faut comprendre d’où vient la douleur et l’éliminer avant qu’elle ne se lance dans un championnat.
C’est la même mécanique que pour le décalage horaire : la sportive ne peut pas décider du pays où se déroulera sa prochaine compétition ni de son heure de passage, mais elle peut agir en amont pour limiter les effets du jet-lag.
Quelles sont les solutions concrètes pour atténuer les effets négatifs du cycle menstruel sur la performance des sportives professionnelles ?
Aujourd’hui, l’arsenal thérapeutique peut régler presque tous les problèmes liés au cycle menstruel si l’athlète est bien prise en charge. Il faut en ce sens agir au cas par cas et chercher l’origine de la gêne afin de mettre en place des soins adaptés. Le traitement ne sera par exemple pas le même si la sportive souffre d’endométriose, de règles surabondantes, d’absence totale de saignements ou de fatigue.
Vous dites qu’il faut trouver la cause du problème. Pouvez-vous citer quelques exemples ?
En plus des pathologies purement médicales, les problèmes liés au cycle menstruel peuvent par exemple être causés par un excès d’œstrogènes ou une alimentation pas assez riche en fer.
Que pensez-vous de la pilule ?
Je pense que c’est une bonne option de contraception qui donne de la liberté aux femmes, mais notre recherche n’a pas été concluante sur ce point précis.
Là encore, il faut, je pense, agir au cas par cas, en s’assurant que la pilule ne provoque pas d’effets indésirables sur l’athlète de haut niveau et qu’elle agisse efficacement sur les symptômes potentiellement handicapants du cycle menstruel. Dans le cas contraire, il faut envisager de l’arrêter.
Cycle menstruel des athlètes : "C’est très important de verbaliser cette problématique"
Les femmes que vous avez incluses dans l’étude étaient-elles conscientes au début du suivi de l’impact de leur cycle sur leurs performances sportives ?
La majorité des athlètes avaient conscience que leurs cycles impactaient leurs performances sportives, mais pas toutes. Certaines n’avaient encore jamais prêté attention à ce phénomène ou fait la relation avec leurs entraînements et leurs compétitions.
Jugée trop échancrée, une tenue d’athlétisme présentée par l’équipementier sportif Nike pour l’équipe féminine américaine des Jeux Olympiques 2024 a récemment été l’objet de nombreuses critiques. Le fait d’avoir peur que son vêtement de sport puisse être taché de sang à cause des règles peut-il affecter les performances d’une athlète de haut niveau ?
Oui, c’est certain ! Car pour avoir de très bons résultats, il faut que l’athlète soit parfaitement concentrée dans sa performance et pas inquiète à ce sujet. Il faut en ce sens être le plus confortable possible dans ses tenues de sport, comme l’a réclamé à juste titre l’équipe féminine américaine.
Encouragez-vous les athlètes de haut niveau à parler de leur cycle menstruel avec leur staff si elles ne l’ont pas déjà fait ?
Oui, c’est très important de verbaliser cette problématique.
Entraîneur, médecin du sport, gynécologue... A qui les athlètes de haut niveau devraient-elles selon vous s’adresser si elles veulent parler de leur cycle menstruel ?
Il faut s’adresser à la personne avec laquelle elles sont le plus à l’aise et qui soit de préférence capable d’une écoute bienveillante. Un médecin du sport peut par exemple être très bien formé mais manquer d’empathie à ce sujet.
Dans quel objectif poursuivez-vous vos recherches ?
A terme, on espère récolter assez de données pour que nos résultats soient extrapolables à toutes les femmes, et pas seulement aux sportives professionnelles.
Au-delà de l’impact sur les performances des athlètes de haut niveau, le cycle menstruel peut-il justement avoir un impact sur la vie de tous les jours des femmes ?
Oui, bien sûr !
"Il y a en France un manque d’information sur le cycle menstruel des femmes et sur ses impacts"
Les Françaises sont-elles conscientes de ce paramètre ?
Pas suffisamment. Il y a en France un manque d’information sur le cycle menstruel des femmes et sur ses impacts. Pourtant, c’est un indicateur clef de la santé générale des femmes, donc c’est absurde de ne pas l’enseigner davantage. Chacune d’entre nous devrait savoir ce qui est normal et ce qui ne l’est pas !
Que pensez-vous pour finir du congé menstruel adopté en Espagne ?
Instaurer un congé menstruel est à mon sens essentiel si une femme se retrouve pliée de douleur tous les mois à cause d’un trouble de son cycle, comme c’est par exemple le cas pour l’endométriose.
Il faudrait aussi, je pense, mieux informer les femmes sur les nombreuses solutions disponibles pour mieux vivre leur cycle menstruel si problème.