Une loi prise dans l'Etat du Colorado, aux Etats-Unis, relance l'éternel débat sur la dépénalisation du cannabis. En effet, depuis le 1er janvier, la consommation récréative de cannabis est autorisé dans cet état de l'ouest américain, à condition d'avoir 21 ans. Les coffee-shops ne pourront pas vendre plus de 28 grammes de cannabis à chaque acheteur. Et la même loi va s'appliquer au printemps prochain dans l'état de Washington.
Interrogé sur Europe 1, Manuel Valls, le ministre de l'Intérieur a clairement fait savoir qu'une dépénalisation du cannabis n'était pas à l'ordre du jour :
« Il n’y a pas de sujet tabou en France. Mais la position du gouvernement, qui est d’ailleurs celle du président de la République, c’est de ne pas lever cet interdit. Une société a besoin de normes, de règles, d’interdits. Et la consommation de cannabis n’est pas quelque chose d’anodin, » a déclaré Manuel Valls au micro d'Europe 1. A cette occasion, pourquoidocteur fait le point sur les questions clés de ce débat controversé.
La consommation de cannabis présente-t-elle des dangers pour la santé ?
Le cannabis n’est pas inoffensif. Le corps médical réfute l’idée d’une drogue douce. La fumée du cannabis contient des substances cancérigènes comme celle du tabac, elle est donc toxique pour le système respiratoire. L'association du tabac et du cannabis entraine par exemple des cancers du poumon plus précoces que le tabac seul. Un risque de complications cardio-vasculaires est également démontré pour les consommateurs réguliers. Et chez certaines personnes vulnérables, le cannabis peut engendrer ou aggraver l'anxiété, favoriser la dépression et révéler ou aggraver la schizophrénie chez les personnes prédisposées.
Mais plus que ces pathologies qui restent des complications rares, ce sont les conséquences quotidiennes de l’usage du cannabis qui nuisent, tout particulièrement aux plus jeunes consommateurs. « A 13-14 ans, la vulnérabilité au cannabis est bien plus forte que pour un consommateur adulte, et les risques d’avoir des problèmes psy sont augmentés, mais le premier problème lié à la consommation de cannabis, c’est l’assiduité scolaire », confiait à pourquoidocteur, en juin 2012, le Dr Amine Benyamina addictologue à l’hôpital Paul Brousse à Villejuif. Une consommation chronique débutée au début de l’adolescence « pourrait même entraîner un déclin cognitif irréversible », note l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT).
Autre conséquence néfaste sur le quotidien : les conducteurs sous l’influence du cannabis ont 1,8 fois plus de risque d’être responsables d’un accident mortel que les conducteurs négatifs, le risque est multiplié par 14 en cas de consommation associée d’alcool.
La consommation du cannabis entraîne-t-elle une escalade vers l’usage d’autres substances actives ?
Selon une enquête de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies menée il y a dix ans, près de 70 % des Français le croient. Mais, jusqu'à présent, les données épidémiologiques n'ont pas confirmé ce risque d'« escalade » vers d'autres drogues plus dures. La consommation de cannabis est surtout associée à celle du tabac, et de l’alcool, substances encore plus dangereuses pour la santé comme le rappellait en 2013 la Fédération française d’addictologie (FFA). Tabac et alcool causent près de 100 000 morts chaque année, soit un décès sur 6, tandis que les drogues illicites causent quelques centaines de morts par an. « Evidemment, il ne faut pas s’arrêter à la seule mortalité, les conséquences sociales, personnelles et psychologiques de la cocaïne ou de l’héroïne pèsent lourds, souligne régulièrement le Pr François Paille, le président de la FFA. Mais, cette distinction entre drogues licites et illicites est totalement déconnectée de leur dangerosité réelle. »
La consommation de cannabis en France est-elle plus élevée que chez nos voisins européens ?
Oui, et notamment chez les jeunes. 41 % des jeunes Français de 17 ans ont expérimenté le cannabis et 6,5% font une consommation régulière, selon la MILDT. D’après l'enquête européenne ESPAD de 2011 qui permet de situer la consommation chez les jeunes de 16 ans, la France se distingue clairement des autres pays d’Europe, en étant le seul pays avec un niveau largement supérieur à 15 %. D’après cette enquête, les niveaux d’usage diminuent progressivement de la façade atlantique à l’Oural.
Quels sont les effets de la législation sur la consommation ?
La France est en tête des pays consommateurs. Une position paradoxale car elle est aussi en tête des pays où la répression est la plus dure. Comme en Suède ou en Finlande, la loi sanctionne la vente mais aussi la consommation de cannabis, sans le distinguer des autres drogues. Faut-il revoir notre législation ? Tout récemment l’Uruguay a défrayé la chronique en devenant le premier pays à autoriser la consommation, la vente et la production de haschich, sous l’encadrement de l’Etat.
En France, les spécialistes de l’addictologie ne sont pas favorables à cet exemple. Neanmoins, il y a un an, la Fédération française d’addictologie a appellé à ouvrir un large débat public sur « les questions difficiles posées non seulement par le cannabis, mais par l’ensemble des conduites addictives qui concernent toute la population ». Et en septembre dernier à l’occasion du dernier plan de « lutte contre la drogue et les conduites addictives » 2013-2017 présenté par le gouvernement, la FFA a enfoncé le clou : « En l'absence de réformes structurelles fortes et dans un contexte de financements médiocres, on peut craindre qu'une fois de plus, ce Nième plan MILDT ne soit qu'un Nième coup d'épée dans l'eau, sans impact réel sur la hausse des consommations problématiques et leurs conséquences ».
Au sein de l'Union européenne, le pays le plus libéral c'est le Portugal : en 2000, il a dépénalisé la consommation et l'acquisition de stupéfiants pour usage personnel. Résultat, 10 ans après, l'usage de drogues a diminué selon une analyse comparative réalisée par le Cato Institute, un think tank américain. Le pourcentage d’adultes prenant des drogues au Portugal est devenu l’un des plus faibles de l’Union européenne : 11,7 % consommateurs de cannabis contre 30 % au Royaume-Uni, 1,9 % prennent de la coke contre 8,3 % chez le voisin espagnol.
Les Français sont-ils en faveur d’un aménagement de la loi ?
Selon l'Institut CSA, 55 % jugent négativement la dépénalisation, contre 19 % positivement. Cependant selon le dernier baromètre de l’ODFT, 60 % des Français se disent favorables à une autorisation sous certaines conditions, par exemple en cas de maladie, ou avec un maintien de l'interdiction avant de conduire ou pour les mineurs. L'usage médical est en fait l'unique évolution en France. En juin dernier, un décret a été publié par le ministère de la santé, permettant à l'Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) d'autoriser la mise sur le marché de produits à base de cannabis, comme le Sativex. La première autorisation devrait être signée prochainement.