- Prudence sur les bienfaits : les prétendus bienfaits de la bière sur la santé doivent être pris avec précaution, car ils ne concernent qu'une consommation strictement modérée.
- Risque réel de l'alcool : l'alcool reste un facteur de risque majeur pour divers cancers et problèmes de santé mentale, même à des doses modérées.
- Contexte français : en France, bien que la consommation de bière soit modérée, une tendance à la hausse est observée, justifiant des campagnes de sensibilisation sur les risques de l'alcool.
La bière, boisson millénaire et mondialement consommée, fait l'objet d'une attention renouvelée depuis la publication d'une étude par l'université de Harvard. Selon cette étude, une consommation modérée de bière pourrait réduire les risques de crise cardiaque et même favoriser une meilleure santé osseuse. Pourtant, il est essentiel de prendre du recul et d'examiner ces affirmations avec un regard critique.
Un message à double tranchant
L'idée que la bière pourrait être bénéfique pour la santé repose sur des arguments bien précis : elle contient des antioxydants, des fibres et du silicium, qui auraient des effets positifs sur le système cardiovasculaire et les os. Cependant, la modération est la clé, et c'est là que le bât blesse.
Les chercheurs de Harvard affirment que les buveurs modérés de bière pourraient avoir 30 à 35 % moins de risques de subir une crise cardiaque que les non-buveurs. Mais qu'entend-on exactement par "modéré" ? Selon l'étude, cela correspond à une consommation de petites quantités trois fois par semaine.
D'après l'étude des chercheurs de Harvard, le terme "modéré" fait référence à une consommation régulière mais limitée de bière. Les chiffres clés souvent associés à une consommation modérée d'alcool (qui peuvent s'appliquer à la bière) sont les suivants :
- Quantité par jour : environ une à deux unités d'alcool par jour pour les hommes, et une unité par jour pour les femmes. Une unité d'alcool correspond à environ 350 ml de bière avec une teneur en alcool d'environ 5 %.
- Fréquence : consommation de ces petites quantités trois fois par semaine au plus.
Ainsi, la définition de "modéré" pourrait correspondre à environ 350 à 700 ml de bière par jour pour les hommes, et jusqu'à 350 ml pour les femmes, consommés de manière régulière au plus trois fois par semaine. Cette consommation modérée est associée à une réduction du risque de crise cardiaque de 30 à 35 % par rapport aux non-buveurs, selon l'étude.
Cette précision est cruciale, car les bienfaits observés ne s'appliquent qu'à cette frange très spécifique de la population. Augmenter sa consommation, même légèrement, pourrait rapidement inverser les effets prétendument bénéfiques et entraîner des risques pour la santé bien plus graves.
Le revers de la médaille
Il est important de rappeler que la consommation d'alcool, même modérée, comporte des risques. L'alcool est une substance psychoactive et cancérigène, classée comme telle par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS). Une consommation régulière, même en petites quantités, est associée à une augmentation du risque de développer divers cancers, notamment ceux de la bouche, de l'œsophage et du foie.
De plus, les études qui mettent en avant les bienfaits potentiels de la bière ou d'autres boissons alcoolisées peuvent parfois induire en erreur. Elles tendent à omettre le fait que les personnes qui consomment de l'alcool avec modération ont souvent des modes de vie plus sains en général, ce qui pourrait en réalité expliquer les bénéfices observés. Ces personnes sont plus susceptibles de pratiquer une activité physique régulière, de suivre une alimentation équilibrée, et de maintenir un poids santé, ce qui contribue à leur protection cardiovasculaire.
Enfin, il est nécessaire de prendre en compte les risques sociaux et psychologiques liés à la consommation d'alcool. L'alcool est un facteur majeur dans de nombreux accidents de la route, violences domestiques, et problèmes de santé mentale. Encourager même une consommation modérée peut, de manière non intentionnelle, banaliser l'alcool et exacerber ces problèmes.
Une prudence de mise et un raccourci dangereux
Si l'étude de Harvard suggère des bienfaits potentiels, il est impératif de ne pas perdre de vue les risques bien établis de la consommation d'alcool. Pour ceux qui ne boivent pas, il n'y a aucun besoin de commencer à le faire sous prétexte de bienfaits pour la santé. Pour les autres, la modération reste essentielle.
La consommation de bière en France
En France, la consommation de bière reste relativement modérée comparée à celles d'autres pays européens. Selon les chiffres de 2023, les Français consomment en moyenne 33 litres de bière par an et par habitant, loin derrière les champions européens que sont la République tchèque et l'Allemagne. Cependant, une tendance à la hausse est observée, notamment chez les jeunes adultes et dans les zones urbaines, où la bière artisanale gagne en popularité.
Le coût de l'alcool en France
L'alcool a un coût considérable pour la société française. Selon une étude de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l'alcool est responsable de près de 41 000 décès chaque année en France, ce qui en fait la deuxième cause de mortalité évitable après le tabac. En termes économiques, le coût total de l'alcool pour la société est estimé à environ 120 milliards d'euros par an. Ce chiffre comprend les dépenses de santé, les pertes de productivité liées à l'absentéisme et aux maladies chroniques, ainsi que les coûts liés à la justice et à la sécurité, notamment les accidents de la route et les violences associées à la consommation d'alcool.
Parallèlement, les recettes fiscales générées par la vente d'alcool sont bien en deçà de ces coûts, ce qui met en lumière le poids financier énorme que l'alcool fait peser sur le système de santé et l'économie du pays.
Editorial
L'hypocrisie des bienfaits de l'alcool face à son coût réel
Par le Dr Sophie Lemonier
L'étude récente qui vante les vertus prétendues de la bière sur la santé, bien que séduisante pour les amateurs de cette boisson, ne peut masquer une réalité bien plus sombre. Alors que l'on met en avant les possibles bienfaits d'une consommation modérée, on oublie de mentionner le véritable coût d’une consommation abusive.
Il est donc difficile de ne pas voir une forme de paradoxe dans la diffusion de telles études lorsqu'on les met en perspective avec les données économiques. L'alcool génère certes des revenus substantiels pour l'État à travers les taxes, mais ces recettes sont largement éclipsées par les coûts qu'il engendre : avec près de 120 milliards d'euros de pertes annuelles en raison des impacts sur la santé, la productivité, la justice, et la sécurité publique, l'alcool est loin d'être une aubaine pour l'économie.
En réalité, ce genre d'étude pourrait servir les intérêts de l'industrie de l'alcool plus qu'elle ne sert le bien public. En vantant certains bienfaits de la bière, elle contribue à inciter à une consommation qui s’emballe très vite. Au lieu de promouvoir une consommation "modérée" qui reste floue et difficile à mesurer, ne devrions-nous pas concentrer nos efforts sur la réduction des dommages liés à l'alcool et sur l'éducation des consommateurs sur les risques réels ?