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L'interview du week-end

Chirurgie bariatrique : “Une modification du mode de vie n’est pas du tout suffisante pour guérir”

Par Youssra Khoummam

Le Dr De Courville, chirurgien digestif et bariatrique à l'hôpital Foch (Suresnes) prend en charge les personnes atteintes d’obésité sévère. Incollable sur l’obésité que l’on appelle plus morbide mais sévère, il nous dit tout en interview. 

Le Dr De courville au bloc opératoire lors d'une chirurgie bariatrique à l'hôpital foch/youssra Khoummam

Pourquoi Docteur : Pourquoi aujourd’hui est-ce important de parler de l’obésité et du surpoids ?

Dr De Courville : Parce que c'est un problème de santé publique évident, comme l'a rappelée l'étude publiée par Santé publique France qui montre une augmentation importante du surpoids et de l'obésité depuis 20 ans. C'est une maladie que l'on n'arrive pas à enrayer et qui entraîne de nombreuses complications.

Quelles sont les conséquences de ces maladies sur la population en général ?

Il y en a des très connues comme le diabète de type 2, l'hypertension artérielle, l'apnée du sommeil, les troubles ostéo-articulaires. Et puis, il y a d’autres troubles, un peu moins connus mais qui sont de mieux en mieux explorés comme certains types de cancers, ou l'aggravation d'autres pathologies, comme les pathologies respiratoires dont l’asthme. Cela entraîne aussi des problèmes d'infertilité, que ce soit chez l'homme ou la femme. D'autres problèmes fonctionnels sont concernés comme les incontinences urinaires. C'est vraiment multidisciplinaire, la maladie a un impact sur l'ensemble du fonctionnement du corps humain.

Quel est le dénominateur commun de tous vos patients ?

La plupart du temps c’est une prise de conscience. Le mode de prise de conscience peut être très différent selon les individus. Cela peut être quelqu'un chez qui on découvre un diabète ou une hypertension. Lorsqu’il y a une apnée du sommeil, quand le conjoint dit que vous ronflez trop. Et puis il y a par exemple une personne jeune qui se rend compte qu’elle a plus de mal à jouer avec ses enfants, à aller jouer au foot. Le tableau peut être très différent, mais c'est une prise de conscience le plus souvent. 

Parmi les traitement pour lutter contre l’obésité, il y a la chirurgie bariatrique, pourriez-vous nous expliquer ce que c’est exactement ? 

La chirurgie bariatrique est un traitement de l'obésité sévère. L'obésité sévère est décrétée à partir d'un IMC supérieur ou égal à 35 kg par mètre carré. L'IMC, l'indice de masse corporelle, c'est le poids divisé par la taille au carré. La chirurgie est indiquée chez les patients qui ont un IMC supérieur ou égal à 35 qui s'accompagnent d'une complication au moins en lien avec l'obésité, celles qu'on a décrites un peu plus tôt.

En quoi consiste-t-elle ? 

C'est une chirurgie abdominale dont plusieurs types existent. Il y a l'anneau gastrique qui consiste à positionner un anneau autour de l'estomac, ce qui permet de diminuer la prise alimentaire. Il y a la sleeve gastrectomie ou la gastrectomie longitudinale qui consiste à retirer les deux tiers de l'estomac pour reconstituer initialement l'estomac qui est une poche. Lorsqu'on réalise une sleeve gastrectomie, on tubulise l'estomac, c'est à dire que cela devient une “sleeve”, ce qui signifie “manche” en anglais car c'est la forme qu'il prend. Cela diminue sa capacité et, par un phénomène hormonal, cela diminue aussi l'appétit. Ensuite, il y a les interventions un peu plus malabsorptives, comme le bypass gastrique, qui consiste à faire un court circuit intestinal : on va couper l'estomac en deux parties et immobiliser un segment intestinal grêlique qu'on vient ascensionner au niveau de l'estomac pour venir faire une couture entre l'estomac et l'intestin. Les aliments sont, alors, moins absorbés. 

Pourquoi faut-il absolument être atteint d’obésité morbide pour bénéficier de ce type de traitement ?

Nous disons plutôt ‘sévère’ que ‘morbide’... Mais c'est effectivement dans cette indication-là, avec au moins une complication associée, que la chirurgie bariatrique a fait la preuve de son efficacité. Il y a des nouveaux traitements qui sont innovants et prometteurs, mais pour l'instant, sur le long terme, on a peu de recul.

Les femmes sont plus atteintes que les hommes, pourquoi Docteur ?

Effectivement, dans la chirurgie bariatrique il y a un gradient homme-femme avec surreprésentation féminine dans la chirurgie. Probablement par le fait qu’il y ait une prise de conscience un peu plus marquée chez les femmes. 

Pour une femme de taille moyenne, disons 1 mètre 65, quel poids représenterait une “alerte” ?

Par exemple pour 1m65, il faut peser au moins 95 kg. Cela correspond à un IMC à 35 et si cet IMC à 35 s'associe à une complication de l'obésité, dans ce cas, il y a une indication chirurgicale. Évidemment que ce n'est pas uniquement des chiffres et que la chirurgie doit s'associer à une modification du mode de vie, du comportement alimentaire, de l'activité physique et que tout cela se prépare en amont avec un accompagnement spécifique.

Il y a t-il un avant et un après la chirurgie bariatrique ? Qu’est-ce qui change réellement pour le malade ?

Oui. Il y a un avant qui est indispensable, il y a un suivi obligatoire de plus de six mois avant la chirurgie avec des entretiens diététiques, psychologiques, avec une éducation thérapeutique, avec des entretiens également nutritionnels et puis des examens aussi obligatoires à réaliser avant la chirurgie. Et puis, il y a également les examens pour évaluer les pathologies associées à l'obésité. Et après, en aval, il y a un accompagnement qui doit être fait à vie, quel que soit le type de chirurgie, parce que comme je le dis à mes patients, l'obésité ce n’est pas simplement un poids, c'est-à-dire que lorsqu’on vous opère et que vous reprenez un IMC d'une personne qui n'est plus obèse, en réalité, vous restez malade d'obésité. C'est quelque chose qu'il faut suivre de manière chronique. Il faut lutter toute la vie en association avec les soignants contre la reprise pondérale

Et l’aspect psychologique aussi, pourriez-vous m’en parler en qualité de chirurgien digestif ?

Bien sûr, l'aspect psychologique est primordial, notamment concernant les troubles du comportement alimentaire. Il faut absolument comprendre quels sont les ressorts psychologiques en amont, afin d’anticiper de nouvelles formes possibles de ces troubles du comportement alimentaire (TCA). Il faut également accompagner les patients sur la modification de la perception de soi parce que forcément c'est un changement radical et donc cela peut donner des troubles de la perception de son propre corps et cela doit être absolument encadré de manière rigoureuse sur le plan psychologique.

L'obésité est-elle une question de famille ? 

Nous pouvons devenir obèse même si personne de la famille ne l'est.. L'obésité est une maladie qui est multifactorielle, la génétique peut avoir un rôle. Après les obésités purement génétiques sont rares, très rares. Cela fait l'objet d'enquêtes génétiques et généralement c'est associé à des phénotypes que l’on peut identifier. Mais évidemment, les personnes d'une même famille n'ont pas la même prédisposition à aller vers l'obésité.

La seule chose sur laquelle nous pouvons agir est le mode de vie ?

Lorsque l’on dit cela ce n’est pas pour stigmatiser, les études l’ont prouvé : une simple modification du mode de vie ne peut pas suffire. Les études qui ont validé la chirurgie bariatrique comparant une modification du mode vie versus une chirurgie, ont montré un échec dans quasiment 100 % des cas de mesures hygiéno-diététiques. Le mode de vie est le principal élément qui favorise l’obésité, mais une modification du mode de vie n’est pas du tout suffisante pour guérir de l’obésité sévère.