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QUESTION D'ACTU

L'interview du week-end

«Le cerveau est malmené par la malbouffe au même titre que le reste de l’organisme»

En quoi ce que nous mangeons influence-t-il notre santé mentale, pour le meilleur ou pour le pire ? Réponses du psychiatre Guillaume Fond, expert en psychonutrition.

\ Tijana87 / istock




Guillaume Fond est docteur en psychiatrie et biologie cellulaire et moléculaire, auteur de Bien manger pour ne plus déprimer (éditions Odile Jacob), fondateur du site psychonutrition.co et cofondateur d’Origine care®.

Pourquoi Docteur : En quoi ce que nous mangeons joue un rôle central sur nos émotions, notre mental, bref notre cerveau ?

Dr Guillaume Fond : Renversons la charge de la preuve : comment serait-il possible que ce qu’on fait entrer dans notre organisme influence absolument tous nos organes, sauf le cerveau ? Cela n’aurait aucun sens ! On a pensé à tort pendant des décennies que le cerveau était un sanctuaire impénétrable parce qu’il était entouré par la barrière hémato-encéphalique, une enveloppe imperméable. On sait depuis maintenant 15 ans qu’il existe des liens entre la façon dont les gens se nourrissent et les troubles de santé mentale dont ils souffrent. Parmi les grandes découvertes : les personnes qui suivent une alimentation majoritairement végétale (sans aller jusqu’au végétarisme) ont moins de problèmes de santé mentale que les autres. Consommer des fruits et des légumes tous les jours, par exemple, diminue respectivement de 15 % et de 9 % le risque de dépression. On a aussi longtemps pensé que le cerveau ne consommait que du glucose. Certes le sucre dans notre alimentation est bien le carburant majoritaire du cerveau, mais on peut fonctionner sans glucose dans l’alimentation. Le sucre rapide est en réalité mauvais pour le cerveau : lorsqu’il est en excès dans notre alimentation, il crée de l’inflammation, affaiblit notre système immunitaire et notre santé mentale. Il a d’ailleurs été démontré que la santé des enfants souffrant d’épilepsie résistante s’améliore avec le régime cétogène, pauvre en glucose, et des études de neuroimagerie ont montré des modifications dans le fonctionnement du cerveau lorsque l’on passe à une alimentation cétogène.

Du fait de notre alimentation moderne, un quart des personnes en bonne santé ont aujourd’hui un problème de diversité bactérienne dans l’intestin. Or un microbiote de moins bonne qualité va nous affaiblir sur le plan immunologique.

Comment cela fonctionne-t-il ?

Il existe deux grandes voies par lesquelles l’alimentation influence la santé mentale : la première est l’intestin, la deuxième le cerveau, et il y a plusieurs liens entre les deux. Le microbiote, cet ensemble de 1,5 kg de bactéries qui tapissent notre intestin, est malmené par notre mode de vie moderne parce qu’on ingère des antibiotiques, des produits ultra-transformés bourrés de sucres rapides et d’additifs qui affaiblissent ce microbiote. Du fait de notre alimentation moderne, un quart des personnes en bonne santé ont aujourd’hui un problème de diversité bactérienne dans l’intestin. Or le microbiote a plusieurs fonctions, comme renforcer le système immunitaire et protéger la barrière intestinale : un microbiote affaibli, de moins bonne qualité, va nous affaiblir sur le plan immunologique. Or il existe des liens avérés entre l’affaiblissement du système immunitaire et le déclenchement de troubles de santé mentale. Récemment, il a ainsi été prouvé que la consommation de produits ultra-transformés (PUT) – aujourd’hui on ne parle plus d’"aliments" ultra-transformés car la fonction d’un aliment est de protéger notre santé – favorise les chances de dépression et d’anxiété, entre autres. On estime que le risque de dépression augmente notablement dès 20 % de PUT, et de 11 % par tranche supplémentaire de 10 % de PUT.

Tout part de l’inflammation, qui est une réponse de l’organisme à une agression biologique, comme une infection au Covid-19, mais aussi psychique, comme un stress. Cela active les mêmes cascades immunologiques et, au niveau du cerveau, cela crée une neuro-inflammation qui va se traduire par des troubles du sommeil, de stress, d’anxiété, de dépression et un déclin cognitif accéléré. Tous les troubles de santé mentale ne proviennent pas de ces mécanismes : il y a aussi des traumatismes psychiques, des causes génétiques, des infections... Mais, à événement stressant équivalent, une personne va surmonter l’épreuve avec résilience tandis qu’une autre va s’effondrer, et il a été montré que cette dernière aura plus souvent un cerveau dénutri, carencé en nutriments. C’est aussi là le rôle du microbiote : il nous aide à absorber les nutriments essentiels de notre alimentation.

Pour cela, il faudrait déjà que notre assiette contienne ces nutriments essentiels...

Non seulement les PUT ne contiennent pas ou très peu de nutriments, mais la qualité nutritionnelle des aliments non transformés a également diminué ces dernières décennies, du fait de l’agriculture intensive, de l’utilisation des intrants pour plus de rendement, de l’épuisement des sols... Les farines ont ainsi perdu 20 % de leurs nutriments en 40 ans, les fruits et légumes également, les poissons ont moins d’acides gras et d’oméga-3 car ils sont nourris en élevage avec des farines et des huiles végétales. Résultat, plus de 80 % des personnes ont au moins une insuffisance pour un nutriment essentiel pour le cerveau selon les enquêtes alimentaires, et les chiffres sont encore plus marqués lorsque les études présentent des dosages sanguins.

Une même personne peut-elle faire des choix ou avoir des réactions différentes en fonction de ce qu’elle a mangé ?

L’exemple le plus parlant est le petit déjeuner. Une personne qui commence sa journée avec un repas bourré de sucres, comme la plupart des céréales, aura tendance à être plus excitée, agitée, donc plus encline à monter au créneau à la première contrariété. Et, en fin de matinée, elle subira un crash de glucose et ressentira la faim plus tôt car les PUT tiennent moins au ventre, et elle sera plus irritable et moins concentrée du fait de l’hypoglycémie. Autre exemple, la personne qui, avant de se coucher, consomme des aliments riches en sucres rapides et en graisses saturées ou de l’alcool aura un sommeil moins réparateur et se réveillera plus fatiguée... D’une manière générale, le fait de manger lourd réduit les fonctions cognitives et les capacités de concentration car l’afflux sanguin autour de l’intestin pour digérer ne sera pas envoyé au cerveau.

Le jeûne thérapeutique et l'arrêt des produits ultra-transformés améliorent l’anxiété et la dépression en seulement 48 heures, alors que les antidépresseurs mettent trois semaines à agir.

En combien de temps le changement d’alimentation agit-il sur le microbiote et le cerveau ?

On sait qu’en seulement deux semaines, quand on passe d’un régime riche en sucre et en graisse à un régime fait de protéines et de fibres, on constate des changements énormes du microbiote en termes de quantité et de qualité. C’est un message d’espoir : en modifiant son alimentation, on agit rapidement sur le microbiote. Cela va mettre davantage de temps pour arriver au cerveau, car l’axe intestin-cerveau doit s’adapter et, quand on sort de vingt ans d’alimentation transformée, cela ne se fait pas du jour au lendemain. 

Dans quelle mesure un changement alimentaire peut-il améliorer des symptômes de dépression ? Est-ce si automatique ?

D’après une étude de 2023, il existe au moins sept facteurs de mode de vie pouvant protéger ou aggraver le risque de dépression : d’abord l’alimentation, puis l’activité physique, la sédentarité (temps passé assis ou couché), le tabac, l’alcool, les connexions sociales et, enfin, le sommeil. Grâce à des prélèvements sanguins et génétiques sur des milliers de volontaires, on a constaté que même chez les personnes à haut risque génétique, le mode de vie influençait à hauteur de 40 % le risque. Et en première ligne vient l’alimentation car ce sont les molécules qu’on fait entrer dans notre corps. C’est notre carburant, la base de tout. Les effets les plus évidents et spectaculaires sur le cerveau sont ceux du jeûne thérapeutique : le fait de s’abstenir de manger, en particulier des PUT, améliore l’anxiété et la dépression en seulement 48 heures, alors que les antidépresseurs mettent trois semaines à agir. C’est très efficace sur les patients atteints de maladies inflammatoires chroniques, car le jeûne réduit l’inflammation, et donc les symptômes de troubles du sommeil, de l’attention, de l’anxiété...

Que faudrait-il éviter de manger pour préserver son cerveau ? Sucre, mauvaises graisses, produits transformés sont-ils les seuls pires ennemis ?

L’archétype de l’aliment catastrophique pour la santé cérébrale est la crème glacée. D’une part, c’est ultra-transformé : on ne reconnaît pas l’aliment de départ, il y a souvent plus de cinq ingrédients (dépendant de la qualité du produit), beaucoup d’additifs pour la conservation, d’émulsifiants pour faire coexister graisse et eau... D’autre part, il y a autant de graisses que de sucres. Or, le mécanisme de la faim s’éteint soit par le sucre soit par la graisse. Mais lorsqu’on associe les deux, ils s’annulent, on peut donc les consommer encore et encore, sans être rassasié. Notre corps est trompé et en veut toujours plus. La satiété survient plus vite quand on s’en tient à un seul aliment non transformé, mais tout est faussé dès lors qu’on transforme les aliments en jus, qu’on les mélange pour altérer la saveur, qu’on y ajoute des exhausteurs... Sans compter que, pour limiter les coûts, les aliments de base des PUT sont souvent de mauvaise qualité et donc pauvres en nutriments.

Des études ont montré qu’après une semaine de PUT, les bactéries commencent à pénétrer jusqu’à la paroi de l’intestin, alors que normalement elles ne doivent pas dépasser la barrière du mucus. Cela engendre une inflammation locale, une plus grande perméabilité de l’intestin, une inflammation dans le sang et, à terme, du diabète, de l’hypertension, des problèmes de santé mentale. Tout ce qui perturbe le métabolisme du corps perturbe le métabolisme du cerveau et augmente les troubles mentaux. C’est pour cela que les services de psychiatrie comptent beaucoup de personnes obèses, diabétiques, atteintes d’hypertension : le cerveau est malmené par la malbouffe au même titre que le reste de l’organisme. On sait par ailleurs aujourd’hui que les édulcorants comme l’aspartame, qui remplacent souvent le sucre dans les sodas "zéro" et les desserts, sont associés à des risques de maladies cardiovasculaires et de cancers. Et il y a de fortes suspicions qu’ils favorisent également les troubles de santé mentale car le cerveau aussi est vascularisé. L’inflammation est le point commun de toutes ces pathologies.

Les facteurs de risque de santé mentale sont les mêmes que ceux du cancer, des maladies cardiovasculaires et de l’obésité : sédentarité, produits ultra-transformés, tabac... Tout est interconnecté, le cerveau n’est pas dissocié du reste du corps.

Quel est le régime alimentaire qui protège le mieux le cerveau ?

C’est l’alimentation méditerranéenne : fruits et légumes à volonté, légumineuses, noix, viande blanche ou poisson gras (le seul riche en acides gras oméga-3, essentiels pour le cerveau)... On peut aussi citer les fromages blancs pauvres en sucre, de type Skyr. Il faut rééduquer son palais à consommer des aliments non transformés, plus neutres. D’une manière générale, si un aliment n’était pas dans l’assiette de nos grands-parents, a priori mieux vaut l’éviter. Tout ce que l’industrie agro-alimentaire a produit ces deux dernières générations est la source du problème. Par exemple, les yaourts aux fruits : ils ont l’apparence du sain mais ils sont en réalité bourrés d’additifs et font le tour du monde avant d’arriver dans notre supermarché. Mieux vaut mélanger un yaourt nature avec des fruits, comme des myrtilles ou des framboises qui sont faibles en sucre et contiennent de nombreux polyphénols, antioxydants et vitamines. Les fruits et légumes surgelés sont une bonne solution d’appoint car la congélation conserve les vitamines (mais pas les oméga-3 des poissons gras).

Quel est l’intérêt des compléments alimentaires pour la santé mentale ?

Aujourd’hui, avec l’alimentation actuelle, on n’atteint pas les niveaux suffisants de nutriments essentiels pour que le cerveau puisse se développer et fonctionner : la plupart d’entre nous sont en carence d’oméga-3 (EPA et surtout DHA), de vitamine D, de méthylfolate, de zinc, d’iode... Tous ces nutriments ont pourtant une fonction de prévention du déclin cognitif, de longévité du cerveau, et pas seulement : le zinc agit sur le pancréas et la régulation du glucose, la vitamine D booste le système immunitaire et limite l’inflammation, le méthylfolate protège du cancer... Ils ont une fonction locale dans le cerveau mais également générale dans le corps. Rappelons que les facteurs de risque de santé mentale sont les mêmes que ceux du cancer, des maladies cardiovasculaires et de l’obésité : ce sont toujours la sédentarité, les PUT, le tabac... Tout est interconnecté, le cerveau n’est pas dissocié du reste du corps.

Si j’étais ministre de la Santé, je mettrais donc en place une politique nationale de supplémentation, à l’heure où les troubles de santé mentale sont désormais l’une des premières causes d’invalidité chez les adultes, au côté du cancer et des maladies cardiovasculaires, selon l’OMS. Mais ce n’est pas du tout passé dans la pratique clinique, parce qu’il n’existe pas un seul produit existant permettant d’apporter tous ces nutriments à un prix abordable. C’est pourquoi j’ai déterminé une formule regroupant ces nutriments essentiels pour le cerveau en seulement deux gélules par jour en me basant sur les données de la littérature scientifique et des apports journaliers alimentaires moyens. Il faudrait également envisager de rembourser certains compléments alimentaires tels que les oméga-3, comme c’est le cas sur ordonnance avec la vitamine D. Mais attention, les compléments alimentaires ne remplaceront jamais l’arrêt des PUT : le microbiote a besoin d’aliments non inflammatoires pour être diversifié, idéalement 25 fruits et légumes non transformés par semaine. Ils ne remplaceront pas non plus l’activité physique, les transports actifs et des connexions sociales enrichissantes !

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