Pourquoi docteur - Commençons par le livre "Ma vie sans cancer" que vous venez de publier. Pourquoi l’avoir écrit ?
Laurie Técher - Déjà parce que depuis une vingtaine d’années, j’ai toujours écrit des petits bouts de texte par-ci, par-là.
Ensuite, le matin de mon opération, j’ai eu tout d’un coup besoin d’écrire ce qui se passait pour le partager avec d’autres personnes.
Enfin, le sujet me paraissait intéressant, car il y a pas mal de livres qui parlent du cancer du sein mais très peu de la prévention.
Quand a commencé ce projet ?
J’ai commencé en octobre 2020, et j’ai écrit la première partie du livre en trois ou quatre mois. J’ai ensuite mis le manuscrit de côté pendant six mois, puis je me suis remise dedans et je l’ai terminé en quelques semaines.
A-t-il évolué au fil du temps ?
Oui. Au début, j’ai écrit mon livre sous pseudo, car je considérais que mon opération relevait exclusivement de l’intime.
Cette démarche vous a-t-elle fait du bien ?
Oui, cela m’a fait du bien, même si ce n’était pas du tout l’objectif initial.
Double mastectomie préventive : "J’avais plusieurs options"
Vous avez décidé de faire une double mastectomie préventive. Pouvez-vous nous expliquer ce que c’est ?
J’avais plusieurs options, mais moi, j’ai choisi de faire une ablation totale de ma poitrine avec une reconstruction immédiate car je ne voulais pas rester sans seins.
Pourquoi avoir pris cette décision ?
Parce que je suis porteuse d’une mutation génétique appelée BRCA2 qui prédispose à différents types de cancer particulièrement agressifs, récidivants et métastatiques : sein, ovaire, prostate, pancréas et mélanome.
Avant ma double mastectomie préventive, j’avais entre 65 et 85 % de risque de développer un cancer du sein au cours de ma vie. Aujourd’hui, je ne suis plus qu’entre 2 et 3 %, alors qu’une femme non porteuse de ma mutation génétique est à 12 %.
Je pense que voir ma mère aux prises avec la maladie m’a également poussée à faire cette opération, car elle était aussi porteuse du gène BRCA2.
Double mastectomie préventive : "Je suis restée au bloc 10 heures"
Comment s’est déroulée l’intervention ?
Cela s’est déroulé en deux temps. Une première équipe de chirurgiens s’est d’abord occupée de faire l’ablation de ma poitrine le plus précisément possible pour bien enlever toutes les glandes mammaires. Ensuite, un deuxième bataillon de médecins a reconstruit mes seins avec de la graisse de mon ventre.
Combien de temps a duré l’intervention ?
Je suis restée au bloc 10 heures, sous anesthésie générale.
Est-ce une opération compliquée ?
Oui, parce que si les graisses se remodèlent bien, il faut aussi reconnecter les artères et les veines, sachant qu’une grosse artère mesure un millimètre de diamètre. On est vraiment sur de la microchirurgie qui nécessite un suivi post-opératoire très important pour limiter la nécrose (d’abord toutes les heures, puis toutes les deux heures, etc).
En revanche, comme il s’agit de mes propres tissus, il ne peut pas y avoir de rejet.
Y a-t-il des opérations complémentaires à effectuer pour terminer une double mastectomie ?
Oui. 4 à 6 mois plus tard, si tout se passe bien, il y a une deuxième opération obligatoire qui consiste à symétriser la poitrine.
Double mastectomie préventive : "J’ai souffert de graves problèmes aux poumons"
Avez-vous eu des complications ?
Oui. J’ai d’abord eu des difficultés de réveil, même si je ne m’en souviens pas trop.
J’ai aussi souffert de graves problèmes aux poumons, car ils ne se sont pas remis à fonctionner correctement après la fin de l’opération. C’était à la limite de l’embolie pulmonaire, donc très compliqué à gérer sur le moment. Pour vous donner une idée, je n’arrivais même pas à faire des bulles dans une bouteille d’eau quand je soufflais à travers une paille.
Enfin, une troisième petite complication m’a fait retourner au bloc, mais ce n’était pas grand-chose.
Combien de temps a duré votre suivi post-opératoire ?
6 mois en tout.
La double mastectomie préventive vous a-t-elle apporté un vrai soulagement ?
Et bien cela peut paraître surprenant, mais au début, pas du tout ! Lorsque je me suis réveillée, je me suis seulement dit : "Purée, mais pourquoi j’ai fait ça !". Car concrètement, je suis passée d’un bon état de santé à une pathologie pulmonaire.
Il faut aussi savoir que lorsque je suis descendue au bloc, on commençait à parler du deuxième confinement anti-covid, donc au vu de mes nouvelles comorbidités, j’avais de gros risques de contracter une forme grave.
Tout cela était trop compliqué pour que mon cerveau réalise que j’avais fait quelque chose qui m’avait sauvé la vie.
En revanche, à la fin de ma troisième opération, j’ai vraiment ressenti que tout ça était enfin derrière moi. J’ai eu l’impression de voir mon épée de Damoclès s’effacer progressivement, et j’ai senti comme un poids qui me sautait des épaules.
Double mastectomie préventive : "Le suivi psychologique m’a énormément aidée"
Avez-vous bénéficié d’un suivi psychologique ?
Oui, car à l’hôpital Pompidou, c’est obligatoire dès que l’on commence les tests génétiques.
Avez-vous apprécié ce dispositif ?
Oui, car comme le suivi est automatiquement enclenché dès le départ, on ne se pose pas la question de savoir si on en a besoin ou si notre choix de psychologue est le bon.
Vous a-t-il été utile ?
Énormément. Ma psychologue m’a d’abord aidée à assumer ma nouvelle silhouette et à savoir si j’avais envie d’en parler avec mon entourage ou pas. Elle m’a aussi été d’un grand secours quand je suis tombée en dépression à la suite de mes opérations et du décès de ma mère.
Comment ont été soignés vos problèmes pulmonaires ?
Les médecins m’ont inclue dès la salle de réveil dans un protocole de kiné qui consistait à faire de petits exercices respiratoires aussi souvent que possible. En l’espace de quelques mois, mes problèmes se sont réglés sans même que je ne m’en rende compte.
Double mastectomie préventive : "Je ne prends aucun médicament à l’heure actuelle"
Avez-vous un suivi médical particulier aujourd’hui ?
Je ne prends aucun médicament à l’heure actuelle, et je n’ai plus de suivi chirurgical au niveau de ma poitrine. C’est aujourd’hui ma gynécologue qui a pris un relais assez poussé, car le risque zéro n’existe pas.
Je suis aussi toujours accompagnée par ma psychologue, même si je vais beaucoup mieux.
Comme vous l’expliquiez au début de l’interview, être porteuse du gène BRCA2 augmente le risque de développer plusieurs cancers. Avez-vous fait d’autres opérations préventives en plus de votre double mastectomie ?
Oui. Je me suis fait retirer les ovaires en avril dernier, et ça s’est très bien passé. Un petit mois plus tard, j’étais sur pied !
Où en êtes-vous aujourd’hui sur le plan professionnel ?
Avant mon opération, j’étais cheffe de deux entreprises, mais après tout ça, j’ai eu besoin de faire un break. Je les ai donc vendues et on est parti voyager pendant un an avec mon mari et nos trois enfants à travers la Polynésie française et les Etats-Unis.
Depuis que nous sommes rentrés, je travaille sur un nouveau projet qui m’occupe pas mal.
Votre opération a-t-elle eu des impacts sur votre vie de couple ?
Oui, dans le sens où mon mari m’a énormément soutenue ces dernières années. Il a toujours été là : quand ma maman est tombée malade en 2007, lorsque j’ai appris que j’étais porteuse de la mutation BRCA2, lorsque j’ai fait mes opérations, lorsque je suis tombée en dépression... Il m’a par exemple toujours accompagnée à mes rendez-vous médicaux et a géré mon entreprise à ma place quand c’était nécessaire, tout ça sans jamais me pousser à faire des choix plutôt que d’autres.
Aujourd’hui, je pense que je ne m’en serais pas sortie aussi bien s’il n’avait pas été là, parce que tout ce parcours a été très difficile.
Et sur vos enfants ?
Oui. A la suite de mon séjour à l’hôpital par exemple, mon plus jeune fils qui n’avait que 19 mois quand je me suis faite opérer s’est mis à avoir des problèmes de sommeil.
Que recommanderiez-vous aux femmes qui voudraient entamer cette démarche ?
C’est compliqué de recommander quoi que ce soit, car l’important, c’est que chacune puisse choisir librement de se faire opérer ou non.