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L'interview du week-end

Paralysie cérébrale : “À chaque fois qu’on gagne, on gagne aussi pour les autres pathologies et la société”

Par Sophie Raffin

Ce dimanche 6 octobre est la journée mondiale de la paralysie cérébrale. Jacky Vagnoni, président de la Fédération Paralysie Cérébrale France, nous en dit plus sur ce handicap qui est la déficience motrice la plus courante chez l’enfant et touchant plus de 125.000 personnes dans l’Hexagone.

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La paralysie cérébrale est la première cause de handicap moteur chez l’enfant, et pourtant elle reste assez méconnue. Qu’est-ce que c’est ?

Jacky Vagnoni : La paralysie cérébrale est la conséquence de lésions irréversibles sur un cerveau en formation. Ces dernières apparaissent avant la naissance, pendant l’accouchement ou juste après. C’est une période très marquée dans le temps. Ces lésions provoquent des troubles du mouvement et de la posture. Il y a un handicap moteur touchant les quatre membres, seulement les membres inférieurs ou une hémiplégie. Il est accompagné des troubles associés comme des problèmes cognitifs, des troubles d’apprentissage ou de la communication. Les personnes concernées sont aussi susceptibles d'avoir des difficultés à se repérer dans l’espace, des troubles visuels ou encore du comportement.

C’est un handicap très complexe. On a l’habitude de dire que nous sommes tout un chacun des personnes singulières. Mais là, le tableau de la paralysie cérébrale est extrêmement singulier. Je garde en tête l’explication d’un médecin. Il disait : "il n'y a pas de profil moyen d’une personne vivant avec une paralysie cérébrale. À chaque fois, c’est extrêmement divers, car les troubles associés peuvent être plus invalidants que le trouble moteur lui-même".

Il y a 125.000 personnes qui vivent avec une paralysie cérébrale en France. La majorité d'entre elles sont des adultes. Ils ont une espérance de vie quasiment similaire à celle de la population générale.

"Aujourd’hui, la paralysie cérébrale concerne une naissance sur 550"

Quelles sont les causes de la paralysie cérébrale?

Dans 50 % des cas, les lésions au cerveau provoquant la paralysie cérébrale sont liées à la grande prématurité. Sinon, cela peut être le résultat d’un accident de naissance comme le cordon ombilical autour du cou ou encore une infection, un AVC, un traumatisme sur un cerveau en formation… Les causes de la paralysie cérébrale sont identifiées dans 60 % des cas. Ainsi, il reste un certain nombre d'enfants nés à terme ayant une paralysie cérébrale pour qui on ne peut déterminer son origine.

En revanche, les progrès de la médecine font que la prévalence d’un nouveau-né naissant avec une paralysie cérébrale a tendance à baisser. Quand mon fils est né en 1988, on disait communément que ce trouble touchait une naissance sur 500. Aujourd’hui, la paralysie cérébrale concerne une naissance sur 550.

Certaines familles - à l'exemple de Camille maman d’un petit garçon touché par ce handicap qui a confié son histoire à Pourquoi Docteur - mettent de longs mois à obtenir un diagnostic de paralysie cérébrale. Comment expliquer cela ?

Les diagnostics tardifs de paralysie cérébrale sont multifactoriels. Le premier facteur qui me vient en tête est un problème de formation des professionnels de santé. De manière large, le personnel du monde sanitaire et les médecins ne sont pas assez formés au handicap. Un médecin chercheur que l’association a rencontré, avait confié que sur un cursus de 7 ans, s’il y avait une heure consacré au handicap, c’était bien le maximum. Certains praticiens sont vraiment démunis et sans référence face à la paralysie cérébrale. Que cela soit les professionnels de santé ou les éducateurs, ils se forment souvent au contact des personnes en consultation.

Par ailleurs, je me demande s’il n’y a pas, à cette période très particulière de la naissance, un manque d’échange et de communication entre le monde médical et celui du sanitaire. Est-ce qu’ils travaillent ensemble ? Est-ce qu’ils se connaissent ? Ce n’est pas sûr.

Il y a aussi un manque de moyens. Par exemple, la famille d'Aaron avait eu un IRM après une année d’attente. Ces retards dans le diagnostic sont une vraie problématique. Pour un nourrisson né avec une paralysie cérébrale, la mise en œuvre de la rééducation doit se faire immédiatement. En effet, la période de 0-3 ans est vraiment capitale pour pouvoir stimuler ce cerveau qui a encore beaucoup de plasticité cérébrale à cet âge. Une course contre la montre débute à partir du diagnostic. Plus il est précoce, plus les conséquences du handicap seront moindres. Mettre les moyens là, c’est bien sûr un apport énorme pour l’enfant, mais aussi pour sa famille, car elle est en première ligne.

"La paralysie cérébrale est un handicap complexe"

Quelles sont les difficultés liées à la paralysie cérébrale ? 

À partir du moment où la fonction motrice est touchée, on a besoin d’une aide. Elle peut être H24 ou ponctuelle… mais la personne a besoin d’aide. Il lui faut des professionnels qui connaissent son handicap et qui peuvent bien l’orienter. Ce qui n'est pas toujours simple à trouver.

Par ailleurs, les difficultés ne se résument pas seulement à la mobilité. La ville d’Annecy où j'habite, a voulu améliorer son accessibilité en rendant tous les bus et les quais d'arrêt accessibles aux personnes à mobilité réduite. On a eu du mal à leur faire comprendre que “c’est très bien de se mettre aux normes, mais ça ne résoudra pas tous les problèmes". Il faudra toujours du transport adapté pour les gens dont la cognition est aussi touchée. En effet, la personne qui va prendre le bus, si elle a des difficultés de repérage spatial, elle ne va pas réussir à se rendre seule à ses rendez-vous ou à son travail. 

L'intégration et l’inclusion des personnes qui ont une dyspraxie, un trouble du langage ou des problèmes cognitifs, peuvent aussi être compliquées. Il y a tout l'aspect social, en effet. Le lundi matin quand vous vous retrouvez devant la machine à café, tout le monde raconte son week-end, ses vacances, ses sorties. Ne serait-ce qu’aller au cinéma, demande des jours de préparation pour les personnes contraintes dans leurs déplacements en raison d'un handicap : il faut une salle et des transports adaptés. Ça rend les choses pas si simples en termes de relation. 

La paralysie cérébrale est un handicap complexe. Mais, c’est un modèle d’application pour l’inclusion. Si on arrive à faire avancer les choses pour la paralysie cérébrale, on aidera aussi un grand nombre d’autres personnes qui ont des difficultés cognitives, de déplacement ou d’orientation. À chaque fois qu’on gagne, on gagne aussi pour les autres pathologies et la société en général.

Handicap : "il y a trois générations, les enfants restaient à la maison presque cachés"

Quel est l’objectif de la Journée mondiale de la paralysie cérébrale ?

La Journée mondiale de la paralysie cérébrale est à l’initiative de l'International Cerebral Palsy Society (ICPS). Elle réunit 42 pays. L’objectif est de sensibiliser à la paralysie cérébrale qui touche 17 millions de personnes dans le monde. Même si Aurélie Aubert et sa médaille d’or en boccia aux jeux paralympiques de Paris 2024 ont récemment mis un coup de projecteur sur la paralysie cérébrale, cela reste assez méconnu.

L’association profite également de cette journée pour plaider une nouvelle fois pour la mise en place de pôles de compétence autour de la paralysie cérébrale sur l’ensemble du territoire. Ils permettraient de mieux orienter les familles ainsi que les patients adultes.

Toutefois s’il y a encore des progrès à faire, il y a eu des avancées significatives au cours des dernières décennies. Il faut se rappeler qu’il y a seulement trois générations, les enfants restaient à la maison, presque cachés ou étaient placés en hôpital psychiatrique. Ils n’allaient pas à l’école. Aujourd’hui, on voit de plus en plus d’élèves en situation de handicap en classe. Cela reste - certes - compliqué, mais la place des personnes handicapées dans la société devient de plus en plus visible.

Ce 6 octobre est également la journée des aidants. Comme vous l’avez dit, les familles sont en première ligne dans la paralysie cérébrale. Cette date commune est un hasard ou volontaire ?

C’est un hasard. Mais je dis "pourquoi pas". En effet, la famille est en première ligne sur les questions du handicap… aussi bien quand il concerne un enfant qu’un adulte. Les problématiques des aidants nous sont connues. Être aidant en France, c’est très souvent la maman qui sacrifie sa carrière professionnelle ou en tout cas la met en retrait. Mais, il ne faut pas oublier non plus la fratrie. La famille d’une manière générale est partie prenante dans le parcours de soins.

Une journée des aidants, c'est bien. Mais que se passe-t-il derrière ? Actuellement, les mesures prises ces dernières années sont surtout tournées vers les aidants venant en aide à des proches en fin de vie et sont limitées. Avec le handicap, il n’y a pas de fin. Les dispositifs ne sont pas toujours bien adaptés à nos cas. Certains aidants ont besoin d'être aidés toute l’année, et même toute leur vie.

Si je devais donner un conseil aux parents d'un enfant qui vient d'être diagnostiqué avec une paralysie cérébrale, cela serait de ne pas rester seul avec le handicap. Il faut s’ouvrir, aller au devant, rencontrer d’autres familles. On a l’impression d’être seul au monde... mais en réalité on le partage avec beaucoup d'autres personnes.