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QUESTION D'ACTU

L'interview du week-end

« Tous les facteurs exogènes toxiques peuvent favoriser la genèse du cancer du sein »

Nutrition, activité physique, alcool, exposition aux produits chimiques... Comment le mode de vie peut-il influencer les risques de développer un cancer du sein ? Pourquoi Docteur a posé la question à un oncologue de l'Institut national du cancer.

« Tous les facteurs exogènes toxiques peuvent favoriser la genèse du cancer du sein » stefanamer / istock




Oncologue et Professeur des universités au CHU de Tours, le Pr Claude Linassier dirige le pôle prévention, organisation et parcours de soins à l'Institut national du cancer.

Pourquoi Docteur : Si le cancer du sein est fortement lié à certains facteurs tels que l’âge ou l’hérédité, il est, comme tous les cancers, aussi associé à nos habitudes de vie. Peut-on le prévenir en les changeant ?

Pr Linassier : Certains facteurs sont en effet spécifiques au cancer du sein, mais il faut bien comprendre qu’il y a aussi des facteurs plus génériques, qui confèrent un surrisque de cancer pour beaucoup de tumeurs : l’alcool, la mauvaise alimentation, le tabac, l’exposition aux radiations comme les UV, le manque d’activité physique... Tout cela contribue à augmenter le risque de cancer, et en particulier le risque de cancer du sein. Il y a environ 61.000 nouveaux cas de cancers du sein chaque année en France. Si l’on prend en compte ces facteurs liés au mode de vie, on estime que 8.000 de ces cas sont attribuables à l’alcool, 4.500 au surpoids et à l’obésité, 2.500 au tabac, 2.300 à une mauvaise alimentation et 1.700 à un manque d’activité physique. Sachant que les facteurs de risque se cumulent souvent : moins on se nourrit bien, par exemple, moins on sera motivé pour faire du sport. D’une manière générale, tous les facteurs exogènes toxiques peuvent favoriser la genèse du cancer du sein.

Pourquoi l’alimentation influence-t-elle spécifiquement le risque de cancer du sein ?

C’est avant tout la suralimentation qui semble problématique : elle est responsable de la prise de poids, et cette prise de poids à l’origine de ce qu’on appelle une hyperœstrogénie, puisqu’il y a un métabolisme des œstrogènes au niveau de la graisse. Or cette hyperœstrogénie prolongée va stimuler en continu les organes sexuels secondaires, dont le sein, et ainsi participer à la cancérogenèse. Toute l’alimentation qui va générer un surpoids, voire une obésité (produits ultra-transformés, sucre...) va donc contribuer à augmenter le risque de cancer mammaire. Le mieux reste d’avoir une alimentation variée, avec cinq portions de fruits et légumes par jour, des céréales complètes, peu de viande rouge, et en évitant au maximum les produits ultra-transformés. Il a été démontré que plus on consomme de grosses quantités de ces produits, plus le risque de développer un cancer est grand, notamment un cancer du sein.

Au vu des estimations épidémiologiques dans les pays industrialisés, environ 15 % des cancers du sein sont liés à la consommation régulière d’alcool.

Sur le plan de la nutrition, attention toutefois aux faiseurs de miracles qui utilisent la crédulité des gens et remettent en cause les traitements classiques. Un exemple notoire en cancérologie est le jeûne alimentaire, vanté par certains comme une thérapie à part entière. On a vu des gens suivre des régimes draconiens, perdre beaucoup de poids et donc s’abîmer l’immunité et se mettre en danger. Parfois cela repose sur des études pseudo-scientifiques, parfois on est dans le gri-gri, mais en général, il y a souvent de l’argent derrière. Je vous renvoie vers la Miviludes qui, en France, est chargée de traquer ces dérives sectaires.

A quel point l’activité physique peut-elle prévenir le risque de cancer du sein ? Et vers quelle activité se tourner : perdre du poids, prendre du muscle... ?

Il n’y a pas nécessairement d’exercice spécifique, il faut surtout une activité physique régulière et lutter contre la sédentarité : pratiquer au moins 30 min d’activité physique par jour, prendre les escaliers, marcher... A cela peut s’ajouter une activité d’intensité plus soutenue le week-end, mais il est nécessaire d’adapter l’activité en fonction de ses aptitudes.

Dans quelle mesure le tabac et l’alcool sont-ils parmi les plus gros facteurs de risque de cancer du sein ?

Au vu des estimations épidémiologiques dans les pays industrialisés, environ 15 % des cancers du sein sont liés à la consommation régulière d’alcool. Même une consommation modérée peut faire courir des risques. Il est aujourd’hui conseillé de ne pas dépasser deux verres d’alcool par jour, ou dix verres par semaine, quel que soit le type d’alcool. D’abord, l’alcool a une toxicité directe. Mais le cas particulier du cancer du sein passe, encore une fois, par le surpoids : l’alcool est une grosse source de calories, et le fait d’avoir plus de graisses entraîne un métabolisme accru des œstrogènes, une hyperœstrogénie.

La majorité des femmes n'ont pas conscience du lien entre le cancer du sein et l'alcool, tout comme elles ne savent pas que le surpoids augmente le risque. On sait depuis longtemps que l’alcool est lié au cancer du foie ou à des maladies hépatiques, et on a tendance à penser que tel facteur, comme l’alcool, est associé à un seul cancer, mais c’est oublier le fait qu’il existe des facteurs à causes multiples. Le tabac, par exemple, ne favorise pas seulement le cancer du poumon, mais également 17 autres : ORL (ce qui paraît intuitif), mais aussi de la vessie, du col de l’utérus, du sein ou encore du pancréas.

Certains perturbateurs endocriniens ont clairement un potentiel risque cancérigène.

Quels sont les facteurs de risque gynécologiques associés au cancer du sein ? On sait notamment que l’âge de procréation ou l’allaitement peuvent jouer un rôle...

Oui, ce sont des facteurs de risque classiques. C’est encore une question d’œstrogènes : si une femme a des règles précoces ou une ménopause tardive, par exemple, cela augmente la durée d’exposition aux œstrogènes, donc le risque. De même, la prise d’œstrogènes continue, en tant que traitement hormonal substitutif de la ménopause, augmente les chances de développer un cancer du sein. Un autre facteur gynécologique est la nulliparité : les femmes qui n’ont pas d’enfant sont, du fait de l’absence de renouvellement de la glande mammaire, davantage à risque de cancérogenèse.

Moins connus, ce sont les risques de cancer du sein liés aux cosmétiques. Par exemple, certains déodorants contenant des sels d’aluminium sont-ils vraiment cancérigènes, comme l’affirment certaines études ?

Les sels d’aluminium, c’est très controversé. Il n’y a pas véritablement de lien avéré entre les sels d’aluminium et le cancer du sein. D’une manière générale, il faut faire attention aux fausses informations qui circulent, comme par exemple la rumeur selon laquelle porter un soutien-gorge à armatures favoriserait le cancer. C’est complètement faux.

Qu’en est-il des perturbateurs endocriniens, comme les phtalates, les parabènes et les phénols, qui sont dans les cosmétiques – entre autres produits industriels ?

De nombreuses études s’intéressent à l’impact des perturbateurs endocriniens, qui sont partout, de la bouteille en plastique aux médicaments en passant par les cosmétiques, comme des shampoings ou des rouges à lèvres. Certains ont clairement un potentiel risque cancérigène. Mais justement, ces perturbateurs étant partout, il est très difficile de mener des études épidémiologiques véritablement fiables, c’est-à-dire qui comparent des populations témoins, totalement vierges de ces perturbateurs, avec des populations qui y sont exposées.

La meilleure prévention du cancer du sein reste de se faire dépister. Détecté tôt, le pronostic de survie à 5 ans est de plus de 90 %.

De nombreux produits chimiques courants, contenant ces perturbateurs endocriniens, sont suspectés de favoriser le cancer du sein. Une récente étude en a dénombré plus de 900, dans l’alimentation, les boissons, les médicaments... Comment passer à côté ?

Le problème est que les législations sont assez mouvantes : quand on réussit à interdire un perturbateur endocrinien dont la nocivité a été prouvée, il est tout de suite remplacé par un autre qui n’a pas été banni, mais qui peut être tout autant toxique... C’est un problème de santé publique d’autant plus complexe que les perturbateurs endocriniens ne sont pas un seul et unique produit, comme le tabac. Ils sont donc plus difficiles à interdire.

Si l’on suit à la lettre toutes ces recommandations d’hygiène de vie, de combien peut-on espérer réduire son risque de développer un cancer du sein ?

Les facteurs de risque du cancer du sein sont connus, la nocivité du tabac, de l’alcool ou du manque de sport a été démontrée de manière statistique. Mais nous n’avons pas la possibilité de dire, pour une personne donnée, que les interventions sur le mode de vie vont réduire ses risques de 10 ou de 20 %. Mais il ne s’agit pas de mener une existence d’ascète, de vivre dans un univers stérile : cela pourrait même générer plus de stress, et donc plus de maladies ! Il faut plutôt essayer d’avoir la vie la plus normale et la plus saine possible, en évitant de s’exposer aux produits toxiques comme l’alcool et le tabac. Mais la meilleure prévention du cancer du sein reste de se faire dépister. Pour rappel, tous les cancers ne sont pas dépistables...

Un peu moins d’une femme sur deux de 50 à 74 ans a bénéficié d’un dépistage du cancer du sein entre 2022 et 2023. Comment convaincre les autres ?

En cas de dépistage d’un cancer du sein, vous aurez un diagnostic précoce, ce qui va permettre non seulement des traitements moins lourds car les tumeurs sont de plus petite taille, mais également un pronostic de survie à 5 ans de plus de 90 %. Sans dépistage, le diagnostic est plus tardif, les tumeurs sont plus grosses, il y a un risque accru de métastases : le taux de survie à 5 ans chute à 25 %, avec des traitements souvent lourds (chimiothérapie, ablation du sein...). Il ne faut surtout pas attendre les symptômes pour se faire dépister.

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