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Témoignage patient

Surdicécité : en situation de handicap, "j’ai toujours réussi à me débrouiller et c’est encore le cas"

Par Geneviève Andrianaly

Philippe Racaud, sourd depuis la naissance, a progressivement perdu la vue. Il nous raconte comme cette double déficience sensorielle a impacté sa vie scolaire et, par la suite, professionnelle.

AlexRaths/iStock
Philippe Racaud reçoit un diagnostic de surdité à l’âge de trois et présente une déficience visuelle diurne et nocturne à 22 ou 23 ans, ce qui a entraîné une surdicécité secondaire.
Le sexagénaire atteint du syndrome d’Usher est, depuis tout petit, appareillé et a dû porter des lunettes disposant d’un filtre rouge afin de protéger ses yeux des rayons ultraviolets.
Aujourd’hui retraité, après avoir présidé l’Association Nationale pour les Personnes SourdAveugles, le patient ne dispose pas d’un forfait d’aides humaines, proposé aux personnes sourdaveugles, car il parvient toujours à se débrouiller.

"Je suis né sourd, mais ce n’est seulement qu’à mes trois ans que ma surdité a été détectée. Dès que le diagnostic a été posé, j’ai été appareillé et j’ai bénéficié de séances d’orthophonie", se souvient Philippe Racaud, aujourd’hui âgée de 62 ans. Si ses premières années scolaires se sont relativement bien déroulées, c’est à partir du CE2 qu’il commence à rencontrer des difficultés pour suivre les cours. "Mes parents ont voulu m’inscrire dans une école pour les enfants sourds. Après avoir fait des recherches, ils ont finalement abandonné l’idée, car il s’agissait souvent d’internats, j’allais donc être séparé d’eux. De plus, la communication dans ces établissements se faisait uniquement via la langue des signes. Mon père et ma mère souhaitaient que je continue à communiquer comme je le faisais dans mon école primaire. Cependant, ils n'ont pas lâché l’affaire et sont parvenus à m’inscrire dans une école parisienne, plus précisément dans le 15ème arrondissement, où j’ai été admis dans une classe dite 'intégrée'. Il s’agissait d’une classe classique mélangée à une classe malentendante et sourde."

Déficience de la vision nocturne, surdité : "un syndrome de Usher 2" est suspecté

Quelques années plus tard, le jeune patient présente, à l’âge de 12 ou 13 ans, une déficience de la vision nocturne. "Dans les années 70, mes parents ont acheté une maison à côté de laquelle il y avait un atelier. Pour s’y rendre le soir, je longeais les murs de la maison. Mon père et ma mère ont trouvé cela étrange et en ont donc parlé à mon orthophoniste, qui m’a suivie jusqu’en seconde. Elle a directement suspecté un syndrome d’Usher 2", confie le retraité. Il s’agit d’une maladie rare, qui associe une perte d’audition et des troubles de la vue. "Bien que cette pathologie soit d’origine génétique, ni mes parents, ni ma sœur en souffraient. Cependant, mon grand-père maternel était atteint de dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA). Et aujourd’hui, ma fille est porteuse de gènes impliqués dans le syndrome d’Usher, mais la maladie ne s’est pas déclarée." En raison de cette suspicion de maladie rare, dans le cadre de laquelle "une zone du segment du chromosome n’est pas à la même place que les autres", il doit porter des lunettes disposant d’un filtre rouge afin de protéger ses yeux des rayons ultraviolets. "En parallèle, je devais faire en sorte d’avoir une bonne hygiène de vie et d’avoir le moral, c’était très important."

Étant donné que Philippe Racaud présente une déficience auditive grave et une déficience visuelle, une compensation efficace des pertes sensorielles n’est pas possible. Une situation qui entraîne un handicap, appelé "surdicécité secondaire", reconnu par le gouvernement depuis avril 2022. "C’est à ce moment-là, dans les années 70, que j’ai entendu que l’Association Nationale pour les Personnes SourdAveugles (ANPSA), pour laquelle j’étais président pendant six ans, a été fondée. Sa création a été faite après l’épidémie de rubéole, une infection contagieuse due à un virus à ARN. D’après des faits scientifiques, s’il est contracté par la femme enceinte durant le premier trimestre de grossesse, l’audition, la vision et le cœur du fœtus pourraient être atteints. Lors du deuxième trimestre, ce sont l’audition et la vision qui pourraient être touchées. Durant la troisième partie de la grossesse, la vue pourrait être impactée."

"En raison de mon handicap, je ne travaillais que 30 % du temps"

Après avoir obtenu son bac dans le 15ème arrondissement, le sexagénaire, qui fait actuellement des aller-retour entre Paris et Villeurbanne, poursuit ses études puis met un pied dans le monde du travail. "À 22 ou 23 ans, je me rends compte que mon acuité visuelle a encore diminué. Auparavant, elle avait baissé de 3/10 et là encore de 5/10. Mon champ de vision était réduit et je voyais des taches blanches. À ce moment-là, je me suis vu retirer mon permis." Occupant le poste d’électronicien chez Thales, il a rencontré quelques problèmes liés à sa déficience visuelle. "Au fur et à mesure que ma vision se dégradait, je devais tapoter sur les appareils pour trouver les boutons. De plus, j’avais du mal à faire des mesures et écrire. Ainsi, on m’a fourni un agrandisseur de vision. Ensuite, on m’a proposé de faire une reconversion professionnelle. J’ai fait une formation au Centre de Formation Professionnelle pour Malvoyants Paul et Liliane Guinot à Villejuif et je suis devenu technicien supérieur en informatique de gestion. En raison de mon handicap, je ne travaillais que 30 % du temps. Cependant, au bout d’un certain temps, un membre des ressources humaines m’a viré, car il a jugé que je ne travaillais pas assez, alors qu’il n’avait pas le droit."

Après son licenciement, le patient sourdaveugle, suivi au centre hospitalier national d'ophtalmologie des Quinze-Vingts à Paris, a bénéficié de la pension d'invalidité de la Sécurité sociale. Depuis 2022, date à laquelle Philippe Racaud a finalement reçu un diagnostic de syndrome d’Usher, les personnes présentant une surdicécité peuvent bénéficier d’un forfait d’aides humaines de 30, 50 ou 80 heures par mois en fonction de leur situation de handicap. "Ce n’est pas mon cas, car je n’ai pas fait la demande. C’est trop compliqué avec mes déplacements entre Paris et Lyon. Et puis, j’ai toujours réussi à me débrouiller que ce soit pour la vie professionnelle ou personnelle, et c’est encore le cas !" Lorsqu’il travaillait pour l’ANPSA, il utilisait un logiciel qui lui permettait d’agrandir les caractères et il écrivait en blanc sur un fond noir. "Je pouvais faire trois à quatre réunions dans la journée. Portant des prothèses auditives, j’avais juste du mal à suivre quand il y avait trop de bruit."

"C’est la société qui doit s’inclure dans le handicap et pas le contraire !"

Au quotidien, il fait attention à la météo avant de sortir et de se déplacer. "Il faut que le temps ne soit pas trop ensoleillé et qu’il ne fasse pas trop gris, car sinon je vois tout en mauve, sauf les passages piétons dont la luminosité est puissante. Je suis aussi incapable de déterminer la couleur des voitures", indique l’homme de 62 ans. Chez lui, il a recours à des appareils, par exemple une plaque à induction, avec des boutons. "Pour lire ou écrire des messages ou des e-mails, j’utilise Siri sur l’Iphone, c’est très pratique. Je peux faire plusieurs activités de la vie quotidienne, c’est important pour moi. Lorsqu’on aide ou accompagne un adulte en situation de handicap, il faut écouter et prendre en compte ses demandes et le laisser faire, plutôt que d’effectuer les choses à sa place", précise le retraité qui espère que les personnes sourdaveugles pourront prochainement avoir les "mêmes droits" que les autres, comme "l’accès à la culture et aux loisirs. C’est la société qui doit s’inclure dans le handicap et pas le contraire !"