"L'année dernière, en vacances, j’étais capable de descendre quelques marches et retourner à la mer en utilisant la stimulation", explique Wolfgang Jäger qui se déplace en fauteuil roulant depuis que sa moelle épinière a été partiellement touchée lors d’un accident de ski en 2006. “Je peux aussi atteindre des objets dans les placards de la cuisine", ajoute l’Autrichien de 54 ans qui a récupéré le contrôle de ses gestes grâce à une avancée des chercheurs de l’École polytechnique fédérale de Lausanne et du centre hospitalier universitaire vaudois.
En effet, l'équipe suisse est parvenue à améliorer la récupération des mouvements des membres inférieurs de deux patients atteints de lésions médullaires partielles en utilisant la stimulation cérébrale profonde au niveau de l'hypothalamus latéral. Il s’agit d’une voie neuronale jusqu’alors inexplorée pour la récupération motrice comme l’explique l'article paru dans la revue Nature Medicine, le 2 décembre 2024.
La découverte d'une région cérébrale cruciale pour la récupération de la marche
Afin d’identifier la région cérébrale à stimuler pour obtenir une meilleure récupération motrice après une lésion à la moelle épinière, les chercheurs ont d’abord utilisé des techniques d'imagerie 3D pour cartographier l'activité cérébrale de souris. Grâce à leurs travaux sur les rongeurs, ils ont remarqué que l’hypothalamus latéral, zone du cerveau n’étant pas connue pour avoir un rôle dans les fonctions motrices, participait bien à la marche.
"C'est grâce à une recherche fondamentale, incluant la création de cartes détaillées de l’activité cérébrale, que nous avons pu identifier l'hypothalamus latéral dans la récupération de la marche. Sans ce travail fondamental, nous n'aurions pas découvert le rôle inattendu que joue cette région dans le processus de récupération de la marche", confirme Jordan Squair, l'un des principaux auteurs de l'étude, dans un communiqué.
Stimulation cérébrale profonde : deux patients touchés à la moelle épinière ont testé la thérapie
Après avoir mis en lumière les circuits précis impliqués dans la récupération de la marche, les scientifiques ont commencé les essais cliniques avec deux volontaires souffrant de lésions médullaires partielles affectant leur mobilité : Wolfgang Jäger ainsi qu’une femme dont l’identité n’a pas été divulguée. Des petites électrodes ont été placées au niveau de leur hypothalamus latéral afin de moduler l'activité neuronale. Cette technique, appelée stimulation cérébrale profonde (SCP), est déjà utilisée pour traiter les troubles du mouvement tels que la maladie de Parkinson.
"Une fois l'électrode en place et la stimulation effectuée, la première patiente a immédiatement dit : ‘Je sens mes jambes’. Lorsque nous avons augmenté la stimulation, elle a déclaré : ‘J'ai envie de marcher’. Ce retour d'information en temps réel a confirmé que nous avions ciblé la bonne région, bien que celle-ci n’ait jamais été associée au contrôle des jambes chez l’humain. À ce moment-là, j'ai su que nous étions témoins d'une découverte majeure dans l'organisation anatomique des fonctions cérébrales", déclare Jocelyne Bloch, professeure au CHUV, à l'UNIL ainsi qu'à l'EPFL et co-directrice du centre Neurorestore.
Les essais menés ont confirmé que la SCP aidait à récupérer la marche pendant la rééducation. Par ailleurs, les améliorations observées persistaient même lorsque la stimulation était arrêtée. Les deux participants ont ainsi pu atteindre les objectifs qu'ils s'étaient fixés : la femme était capable de marcher sans déambulateur et Wolfgang Jäger pouvait monter des escaliers seul grâce à cette technologie.
Les chercheurs précisent que le traitement semble "favoriser une réorganisation des fibres nerveuses résiduelles qui contribue à des améliorations neurologiques durables".
"Ces résultats remarquables ouvrent la voie à de nouvelles applications thérapeutiques pour améliorer la récupération après une lésion de la moelle épinière. Les recherches futures porteront sur l'intégration de la SCP à d'autres technologies, telles que les implants sur la moelle épinière, qui ont déjà démontré leur potentiel dans la restauration du mouvement après une lésion médullaire", concluent les auteurs.