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Témoignage patient

Douleurs chroniques : “Nous, les patients douloureux, nous sommes les oubliés du système, les invisibles”

Par Alexandra Wargny Drieghe

Anne Legrand souffre de douleurs chroniques depuis une dizaine d’années. Après être passée très près de la mort à cause des (trop) nombreux médicaments anti-douleurs qu’elle prenait, elle a pu remonter la pente grâce à la Stimulation Magnétique Transcrânienne répétitive (rTMS)... jusqu’à ce que la machine à disposition dans son centre anti-douleur tombe en panne.

Anne Legrand
Anne Legrand a développé une névralgie du trijumeau gauche en 2014, sans que les médecins ne puissent l'expliquer.
Face à l'ineficacité des médicaments pour calmer ses douleurs, elle fait deux séances de Gamma Knife, un traitement de neuro-radiochirurgie.
Mais après la deuxième séance, les douleurs changent : Anne ne souffre plus d'une névralgie du trijumeau mais d’une neuropathie liée aux séquelles de la radiothérapie.

J’ai commencé à ressentir des douleurs au niveau du nerf trijumeau gauche en 2014. C’est arrivé du jour au lendemain : un soir je suis allée courir, comme d’habitude, et le lendemain matin, j’ai commencé à ressentir des décharges électriques dans la joue.” Les douleurs continuent pendant 48 heures, poussant la mère de famille à se rendre aux Urgences. “Là-bas on m’a dit que j’étais sûrement un peu douillette et que ça ne devait être qu’une carie… Je n’y croyais pas, alors sur le parking de l’hôpital, j’ai appelé mon ancien médecin traitant. En lui énonçant tous les symptômes, il m’a dit que cela ressemblait fortement à une névralgie du trijumeau et m’a orientée vers des neurologues afin d’obtenir un diagnostic.

Névralgie du trijumeau : des douleurs insupportables qui surviennent sans prévenir

Après plusieurs examens, le neurologue de Anne lui annonce qu’elle souffre bien de cette pathologie. La névralgie du trijumeau entraîne des douleurs intenses au niveau du visage, semblables à un choc électrique. Ces douleurs, souvent insupportables pour le patient, peuvent survenir à n’importe quel moment et sans avertissement. La maladie est consécutive d’une blessure ou lésion du cinquième nerf crânien. “Beaucoup pensent que la gaine protectrice du nerf trijumeau se détériore, envoyant des messages anormaux le long du nerf. Comme l’électricité dans une ligne téléphonique, ces anomalies perturbent le signal normal du nerf et provoquent des douleurs”, détaille le service de neurochirurgie de l’hôpital Lariboisière. “Plusieurs facteurs peuvent provoquer la détérioration de cette gaine protectrice : vieillissement, sclérose en plaques et tumeurs ; mais le plus souvent cette détérioration est causée par une artère ou une veine qui comprime le nerf.

Plusieurs traitements existent dont la radiothérapie que va suivre la patiente. “Les médicaments n’étaient pas efficaces et la chirurgie n’était pas possible”, relate Anne. Mais la première séance de radiothérapie réalisée en 2015 s’est également avérée inefficace. “Comme les perfusions de lidocaïne et de laroxyl ne fonctionnaient pas non plus, on m’a proposé un deuxième Gamma-Knife en juin 2017. Il était beaucoup plus fort cette fois-ci, et les douleurs ont alors changé. J’ai commencé à ressentir des douleurs de fond de type brûlure et picotement en permanence, avec des crises paroxystiques… C’est-à-dire bien pire qu’avant.

J’étais allongée en permanence. Je n’étais plus capable de me lever pour m’occuper de moi ou de mes deux enfants.

L’habitante d’Orchies dans le Nord voit une nouvelle fois sa vie basculer. “C’est devenu très compliqué car les médecins me disaient qu’ils avaient fait tout ce qu’ils pouvaient pour me soulager. J’avais tellement mal et je n’en pouvais tellement plus de cette douleur que je demandais parfois à mon mari de prendre un marteau pour taper dans ma pommette”, se souvient-elle en tressaillant.

Elle se rend alors dans une clinique privée pour faire une IRM de contrôle qui rapporte un œdème au niveau du nerf trijumeau. Après des perfusions de Kétamine qui ne donnent aucun résultat, un traitement composé d’OxyContin et de Rivotril lui est proposé.

La trentenaire se retrouve ensuite en errance médicale et prend des doses de Rivotril de plus en plus importantes. Problème, ce médicament de la famille des benzodiazépines peut entraîner une très forte somnolence, favorisant les risques de chute… Conséquence, la maman, allongée en permanence, n’arrive plus à s’occuper de ses enfants qui passent la majorité de leur temps à 100 kilomètres du domicile familial, chez leur mamie. Submergée par les douleurs et la culpabilité de voir sa famille souffrir, Anne sombre, en vain, dans les médicaments pour tenter de faire taire ses maux. “Mon mari étant commercial, nous avons fait le choix de déménager à Hallines, afin de réunir la famille et d’avoir l’aide de ma mère au quotidien.

Ce médecin m’a expliqué que je ne souffrais plus du tout d’une névralgie du trijumeau mais d’une neuropathie liée aux séquelles de la radiothérapie.

A la suite du déménagement, c’est une médecin du centre hospitalier de St Omer qui m’a suivie. Elle m’a sauvée. Elle m’a hospitalisée en soins palliatifs pour faire un sevrage éclair de tous les traitements. Sans cela, je n’aurais pas vécu trois mois supplémentaires, m’a-t-elle dit.” Cette médecin envoie ensuite notre patiente consulter le Pr Alain Serri, grand spécialiste de la douleur en Île-de-France. “Ce médecin m’a expliqué que je ne souffrais plus du tout d’une névralgie du trijumeau mais d’une neuropathie liée aux séquelles de la radiothérapie. J’ai eu un nouveau traitement composé d’antiépileptiques et d'antidépresseurs.” Le professeur conseille également à Anne de reprendre rendez-vous dans son centre anti-douleur à Lille, afin de suivre des séances de Stimulation Magnétique Transcrânienne répétitive (rTMS). “J’ai finalement pu intégrer le programme en avril 2022, et il s’est avéré que je suis très réactive à cette technique de neuromodulation. Grâce à ces séances, j’ai pu diminuer de deux tiers la médication et reprendre une vie quasi-normale.

La rTMS est une technique médicale non invasive et indolore qui consiste à générer un courant électrique dans le cerveau pour stimuler ou inhiber certaines zones. Elle peut être utilisée pour traiter les douleurs neuropathiques résistantes aux traitements ou encore les symptômes de dépression résistante. Chez Anne, la rTMS lui est proposée chaque mois, à raison d’une séance de 20 minutes. “À chaque séance, le centre de réception de la douleur de mon cerveau est brouillé par de nombreux messages, ce qui le fait buguer et me permet de ne plus trop ressentir mes douleurs. Au bout de trois semaines et 3-4 jours environ, une fois que la communication n’est plus brouillée, les douleurs reviennent vraiment, donc j’attends toujours avec impatience la séance suivante.

J’ai reçu une lettre de l’hôpital début octobre pour m’annoncer que la machine était tombée en panne.

Mais au début de l’automne, c’est un nouveau coup de massue qui frappe Anne : celle-ci ne peut plus avoir accès à ce traitement innovant. “J’ai reçu une lettre de l’hôpital début octobre pour m’annoncer que la machine était tombée en panne et que le centre n’avait pas les moyens de la remplacer pour l’instant. Je n’ai pas eu d’autre information, ni proposition de suivi. Mon médecin traitant m’a donc conseillé d’augmenter immédiatement le traitement médicamenteux pour ne pas subir de plein fouet les douleurs… En plus, la période hivernale est l’une des plus dures pour les douleurs neuropathiques.” Combattante, la nordiste enchaîne les posts sur les réseaux sociaux pour raconter son histoire, et lance une pétition sur Change.org pour réclamer une meilleure prise en charge des douleurs en France. “On parle de l’égalité des soins, mais là, on n’y est absolument pas”, argue-t-elle.

Mi-novembre, elle décide d’envoyer un courrier au Directeur Général de l’ARS des Hauts de France, au Directeur Général du CHU de Lille, à Martine AUBRY la Maire de Lille et membre du Conseil de Surveillance du CHU de Lille et à tous les membres du Conseil des Usagers du CHU de Lille, afin de porter son combat dans les hautes sphères décisionnelles.

Entre-temps, l’associé d’une entreprise de vente d’appareils de neuromodulation, touché par son témoignage la contacte, et lui propose de fournir à l’hôpital un appareil en attendant que la situation se débloque. Les choses semblent rester figées, jusqu’à ce mercredi 3 décembre 2024. Un coup de téléphone, sonnant presque Noël avant l’heure, retentit chez Anne : “L’hôpital m’a proposé une nouvelle date de séance rTMS”, explique-t-elle heureuse. “Je n’ai pas pris la première date car j’ai eu la chance d’aller en faire une dans le privé courant novembre, donc je préfère laisser ma place à quelqu’un qui en a plus besoin que moi.

Pour autant, cette victoire ne signe pas la fin de l’engagement de l’Hallinoise ! Anne va maintenant concentrer une bonne partie de son énergie à travers son association Ensemble Contre les Douleurs. “Nous, les patients douloureux, nous sommes les oubliés du système, les invisibles. Avec cette association, nous proposons des ressources supplémentaires aux malades, afin qu’ils soient mieux éduqués et informés des alternatives possibles pour soulager, au moins un peu, les douleurs.

Contacté par la Rédaction concernant cette panne de matériel, l'hôpital de Lille nous a répondu ce jeudi 5 décembre : 

"Les équipes du Centre de Traitement de la Douleur du CHU de Lille sont pleinement mobilisées au quotidien pour soulager la douleur des patients qui le nécessitent. Elles proposent notamment un traitement par neurostimulation centrale qui démontre une réelle efficacité dans l’amélioration de ces douleurs, c’est pour cette raison que le CHU de Lille, engagé dans la mise à disposition des innovations au bénéfice de tous, a choisi de mettre cet équipement à la disposition de ses patients."
"Les équipes biomédicales du CHU, en lien avec les équipes soignantes, ont été pleinement mobilisées pour solutionner une panne matérielle intervenue de façon exceptionnelle sur cet équipement. A l’issue de ce travail de résolution et d’une commande d’investissement chez le fournisseur, le CHU de Lille est en mesure d’annoncer la remise en service de l’appareil depuis le 18 novembre dernier, permettant de reprendre les séances pour tous les patients qui en bénéficient."