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QUESTION D'ACTU

L'interview du week-end

Développement embryonnaire : “On pense que toute perturbation peut avoir un effet” sur le long terme

Pendant la grossesse, comment des perturbations, même légères, peuvent-elles affecter la santé de l’enfant à long terme, en contribuant par exemple à des maladies du sang comme certaines leucémies pédiatriques ? Avec son équipe lauréate du Programme Impulscience®, la chercheuse Elisa Gomez Perdiguero, tente d’y répondre dans son laboratoire parisien de l’Institut Pasteur.

Développement embryonnaire : “On pense que toute perturbation peut avoir un effet” sur le long terme Elisa Gomez Perdiguero/© Romain Redler/Art in Research pour la Fondation Bettencourt Schueller




La biologie ne peut se concevoir que lorsqu’on raconte une histoire”, me dit Elisa Gomez Perdiguero au début de notre entretien. Lauréate du palmarès Impulscience® de la Fondation Bettencourt Schueller pour ses travaux sur les cellules sanguines fœtales, la chercheuse nous ouvre les portes de son laboratoire à l’Institut Pasteur de Paris, pour nous raconter, avec subtilité, l’envergure de ses recherches.

Pourquoi Docteur : Comment en êtes-vous venue à vous intéresser aux liens entre la perturbation des cellules sanguines et immunitaires produites chez le fœtus et certaines maladies qui se développent plus tard dans la vie ?

Elisa Gomez Perdiguero : À l’origine, c’est une histoire personnelle qui m’a motivée. J’ai perdu ma mère très jeune d’un cancer donc je voulais vraiment travailler dans la recherche en cancérologie. Ce qui m’intéressait, c’était les récidives : qu’est-ce qui fait qu'à la suite d'un traitement très agressif de radiothérapie ou de chimiothérapie, il y a quand même un retour de la croissance tumorale qui est, en plus, beaucoup plus agressive ? À l’époque, au début des années 2000, le manque d’oxygène -l'hypoxie- était une piste très intéressante parce que dans les tumeurs solides, il y a toujours des cellules en périphérie qui sont écrasées, en manque d’oxygène et donc un peu “dormantes” ; rendant la radiothérapie et la chimiothérapie inefficaces sur elles. Puis à la suite du traitement, ces cellules, de nouveau sous oxygène, se réveillent et repartent. Donc pendant ma thèse, mon objectif était de m’intéresser à : comment les cellules qui forment les vaisseaux sanguins, qui sont très importants pour la croissance tumorale, répondent à l’absence d’oxygène ? Le but était de trouver des façons de les cibler, de faire de la thérapie adjuvante, associée à de la radiothérapie ou de la chimiothérapie classique, et essayer de minimiser cette possibilité de récidive. J’ai alors regardé comment les vaisseaux sanguins, en l’absence d’oxygène, se développent, se remodèlent, se forment. J’ai constaté qu’il y avait des macrophages -des cellules immunitaires- qui étaient toujours intimement liés à ces processus. Ensuite, pendant mon post-doctorat, dans l’idée de mieux connaître ces vaisseaux sanguins, j’ai voulu étudier ces “partners in crime” et leurs interactions. Et c’est ainsi qu’est né mon amour des macrophages.

Les macrophages, première ligne de défense contre les agressions

À quoi servent les macrophages ?

Un macrophage est une cellule du système immunitaire inné. Ces cellules sont en première ligne de défense contre les agressions d’origine microbienne ou liées à des dommages physiques ou mécaniques. Il en existe deux types :
- les macrophages résidants dans les tissus : ils sont présents pour assurer l’entretien du tissu, en mangeant et digérant chaque jour nos vieilles cellules qui meurent ;
- les macrophages circulant dans le sang et issus de la moelle osseuse : ce sont ceux qui sont appelés à l’aide quand il y a une agression, comme par exemple une lésion sur la peau ou une infection. Ils peuvent arriver en très grand nombre et agir très vite.

Avec mon équipe, on s’intéresse plutôt aux résidents et on regarde comment ils surveillent leurs tissus et comment ils déterminent quand doivent-ils appeler à l’aide ou quand sont-ils capables de gérer eux-mêmes la situation.

Dans vos recherches, vous vous concentrez sur les perturbations pendant le développement embryonnaire qui pourraient modifier la formation des macrophages et être ainsi liées à certaines maladies à l’âge adulte… De quelles maladies parle-t-on ?

Il n’y a pas une maladie précise mais plutôt des maladies liées à l’âge et les maladies chroniques. On s’intéresse surtout à des défauts de réparation tissulaire et en particulier à la fibrose qui est un vrai fardeau pour nos tissus en vieillissant : ce sont des fibroblastes qui en font trop, ce qui rend le tissu très rigide. Pour comprendre, on peut comparer un nourrisson qui est blessé à un individu âgé : le premier aura une peau “neuve” au bout d’une semaine, alors que le second présentera une cicatrice. Autre exemple, quand on fait un arrêt cardiaque, la première réaction de l’organisme est de créer un bouchon de fibrose pour maintenir le cœur afin qu’il puisse continuer à pomper. Mais si cette fibrose reste trop présente dans l’organe, cela entraîne une fatigue musculaire qui peut mener à ce qu’on appelle de l’insuffisance cardiaque. Cette maladie est un problème de santé publique parce qu’on la soigne mal et que les gens atteints sont continuellement essoufflés.

Le lien avec les macrophages, c’est que les résidants qui s’occupent de réparer ces tissus ne sont plus fabriqués une fois adulte. En fait, ils sont fabriqués pendant la grossesse, ils se mettent en place dans leur tissu de résidence et y restent, autant qu’on sache, toute la vie avec plus ou moins de succès en fonction des maladies que chaque individu croise.

Les enfants nés pendant les périodes de famine ont un métabolisme de stockage et vont être plus susceptibles de développer du diabète, de l’obésité et des maladies cardiovasculaires plus tard dans la vie.

Et concernant les perturbations pendant la grossesse, vous étudiez plutôt les perturbations externes provenant d’une infection par exemple, ou celles internes, qui seraient, entre autres, liées à une anomalie génétique de développement ?

On pense que toute perturbation peut avoir un effet. Par exemple, le cas le mieux étudié est l’effet de la diète maternelle sur la santé future des enfants : on sait que s’il y a des périodes de privation ou de surabondance de diète pendant la grossesse, cela va changer la façon dont les cellules du corps gèrent le métabolisme. Concrètement, les enfants nés pendant les périodes de famine ont un métabolisme de stockage et vont être plus susceptibles de développer du diabète, de l’obésité et des maladies cardiovasculaires plus tard dans la vie.

Avec mon équipe, on a choisi de s’intéresser aux perturbations externes et aux anomalies internes, avec un modèle pour chaque. Pour les anomalies externes, on a choisi -principalement à cause de l’importance des infections virales ces dernières années liées à la pandémie de Covid- de s’intéresser aux conséquences d’une infection virale en début de grossesse. Pourquoi le début ? Car il est déjà bien établi, dans des modèles expérimentaux, qu’une infection virale dans le dernier trimestre de grossesse peut avoir des conséquences sur le développement du cerveau et a été associée aux maladies comportementales comme la schizophrénie, les troubles de l'anxiété, etc. Donc nous on s’intéresse plutôt au premier trimestre, pour comprendre comment la réponse de la mère à une infection peut affecter le développement du système immunitaire de l’embryon. Est-ce-que cela a des conséquences dans sa vie future ? Est-ce que c’est positif ou négatif ?

Ensuite, pour les anomalies génétiques, on voudrait s’intéresser aux mutations génétiques pendant le développement. Est-ce-que si elles ont lieu en début de grossesse ou en fin de grossesse, cela change quelque chose à la maladie qui sera développée plus tard ? On s’intéresse par exemple à une maladie qui concerne 10 % des enfants avec la trisomie 21 : le syndrome myéloprolifératif transitoire qui est une pré-leucémie. Cette maladie est intéressante pour nous car elle se développe in utero et se résout souvent spontanément quelques mois après la naissance sans qu’on ne sache pourquoi. Ensuite, il y a la mastocytose pédiatrique, une maladie des mastocytes qui sont des cellules innées impliquées dans les réactions allergiques. Chez l’enfant, il n’y a que la peau qui est touchée et cela disparaît souvent à la puberté ; mais quand cette maladie se développe chez l’adulte, cela affecte plusieurs organes à la fois. Donc on aimerait mieux comprendre comment ces maladies similaires se mettent en place pendant le développement embryonnaire.

Grâce à ce programme et à la dotation, nous allons pouvoir faire en cinq ans ce que nous aurions fait en quinze ans initialement.

Vous êtes lauréate du palmarès Impulscience® de la Fondation Bettencourt Schueller… En quoi cela vous donne-t-il un coup de pouce dans vos recherches ?

Alors ce n’est pas qu’un coup de pouce ! Grâce à ce programme et à la dotation, nous allons pouvoir faire en cinq ans ce que nous aurions fait en quinze ans initialement. En fait, sans cela, nous aurions dû faire des choix sur ce que nous étudions. L’histoire aurait été morcelée comme un petit saucisson, par petites tranches qui font sens en elles-mêmes, mais qu’il aurait fallu essayer de reconstruire petit à petit dans son ensemble car nous n’aurions pas eu de vision globale pour comprendre ce qu’il se passe.

Je tiens également à ajouter que c’est toute mon équipe qui est lauréate ! Sans le travail admirable de chacun ces dernières années, nous n’aurions pas réussi à avoir cette idée ni les outils ou l’envie de la mettre en place. Donc c’est vraiment toute l’équipe qui mérite la reconnaissance pour ce prix parce que ce sont toutes ces personnes qui ont généré les données pour faire ces hypothèses et surtout, qui vont continuer à porter ce projet pendant un certain temps.

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