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L'interview du week-end

Handicap et prothèses de membres : « il y a un vrai travail d’équipe »

Les prothèses de membres apportent une meilleure qualité de vie à la personne qui les porte. Mais leur mise en place et leur appropriation ne peut se faire sans l’aide des professionnels de santé. Frédérique Charlaté, médecin rééducateur et Vincent Drouin, orthoprothésiste, ont accepté de partager leurs connaissances dans la prise en charge du patient amputé ou porteur d’une malformation.

Handicap et prothèses de membres : « il y a un vrai travail d’équipe » Ton Photograph/Istock




Les prothèses de membres sont des dispositifs médicaux destinés à remplacer tout ou partie d’un membre (bras, jambe, pied, main…). Leur évolution considérable en fait un outil offrant de nombreux bénéfices. Mais pour que tout se mette correctement en place et que la ou les prothèses soient acceptées par la personne, il est nécessaire que celle-ci soit entourée d’une équipe pluridisciplinaire efficace et coordonnée. Le Dr Charlaté, cofondateur de l’association « Lames de joie » et Vincent Drouin, cofondateur de l’association « Debout en bouts » nous en disent un peu plus.

Pourquoi Docteur : Quelle est l’utilité de la mise en place d’une prothèse de membre ?

Vincent Drouin : Pour les jeunes enfants, l'objectif est d'intégrer le membre, le plus vite possible. Au-delà de la fonctionnalité, on va, par exemple pour le membre supérieur, travailler en premier lieu l'habileté, pendant que les schémas corporels sont en train de se constituer. Le but d'une prothèse du membre supérieur est également d'équilibrer la ceinture scapulaire, puisqu'on peut avoir une différence de poids responsable parfois de douleurs ou de déformations au niveau du dos. Pour le membre inférieur, c'est la même chose. Pour les jeunes enfants, il s'agit d'intégrer la prothèse au plus vite pour que le schéma de marche se constitue le plus vite possible. En ce qui concerne les adolescents, les choses sont un petit peu différentes puisque les schémas sont déjà acquis. Il s'agit alors de garder et de maximiser ce qui a déjà été acquis. Là où c'est parfois un peu plus compliqué, c'est pour les adultes, puisque là, l'amputation va provoquer certains bouleversements.

Dans quels cas peut-on envisager des prothèses de membre chez l’enfant ou l’adulte ?

Frédéric Charlaté :  Plus on va avancer en âge dans la vie, et notamment en cas de diabète et d’artérite, la prothétisation va plutôt concerner la maladie. Alors qu'heureusement chez le jeune enfant, cela concerne seulement 2 à 3 % de la population amputée et on aura plutôt affaire à des malformations, des accidents de la vie ou des tumeurs. Et la population enfant appareillée est très peu nombreuse par rapport à la population adulte chez qui l'âge moyen de l'amputé dépasse largement les 70 ans.

A partir de quel âge ?

Frédéric Charlaté : Le plus vite possible. L'objectif, bien sûr, est de permettre à l'enfant d'acquérir le schéma de marche le plus vite possible et d'intégrer dans son schéma corporel les éléments prothétiques qu'on peut lui proposer en fonction du niveau d'amputation. C’est d’ailleurs le cas pour des agénésies (absence héréditaire de membres, d’organes ou de tissu, NDLR) qui vont, parfois, toucher tout ou partie d'un membre. On va devoir s'adapter, et plutôt les prothésistes d’ailleurs puisque c'est leur métier d'adapter les éléments prothétiques aux éléments de membres manquants.

Est-ce qu’il existe des différences spécifiques de prothèses entre l’enfant et l’adulte, fille et garçon, homme et femme ?

Vincent Drouin : L'appareillage du jeune enfant est parfois assez compliqué. Et quand on a affaire à des enfants, la difficulté, c'est la place disponible. Dans le cas d’une agénésie, cela va être encore plus compliqué, parce qu'on peut avoir un segment de membre, et parfois avec une articulation, ce qui fait que c'est d'autant plus difficile. Il y a aussi la difficulté de trouver des composants qui correspondent à la morphologie de l'enfant et et qui sont suffisamment solides. En effet, les enfants ont beau être amputés, ils galopent et ils sautent partout. D’ailleurs, généralement le mercredi les orthoprothésistes sont beaucoup sollicités parce que l'enfant, qui a voulu faire un match de foot avec ses copains, a cassé la prothèse, et comme il n'a droit qu’à une seule prothèse, il faut la réparer au plus vite pour que le lendemain matin il puisse aller à l'école.

En ce qui concerne les dames, il y a effectivement des pieds prothétiques qui sont plus fins ou qui vont être avec un talon. On a aujourd'hui quelques pieds qui permettent de faire un réglage directement de cette hauteur de talon, donc c'est assez intéressant dans le sens où la personne, qu'elle soit homme, qu'elle soit femme, peut utiliser sa prothèse avec diverses chaussures.

Sur le plan technologique arrivent maintenant des pieds avec une gestion électronique de la cheville : on peut alors avoir une adaptation très précise en fonction du type de chaussures que la personne va porter.

Il y a un vrai travail coordonné avec les autres professionnels de santé, mais comment ça se passe ?

Frédéric Charlaté : Dans notre métier, ce qui nous intéresse, est de déterminer avec le patient et son entourage le projet de vie future après l'amputation. Et tout ce projet va déterminer la prise en charge qui s'articule autour de ce qu'on appelle les trois R, c'est-à-dire la rééducation, la réadaptation et la réinsertion. Effectivement, la rééducation concerne énormément de métiers. Et dans un centre de rééducation, vous avez des services de soins, des kinésithérapeutes, des ergothérapeutes, des orthoprothésistes, des éducateurs physiques adaptés, des psychologues, des neuropsychologues, orthophonistes…. La liste est très longue.

La rééducation du patient amputé se déroule en trois phases. Quand le patient est amputé, vous avez une première phase qu'on appelle pré-prothétique au cours de laquelle on va préparer le moignon à l'appareillage, assurer la cicatrisation, la prise en charge de la douleur, et aussi apprendre aux patients à vivre avec un seul membre, ou parfois moins dans le cadre d'amputations multiples.

Une fois que cette phase est terminée, on passe à la phase prothétique durant laquelle on va fabriquer la première prothèse provisoire, ou prothèse d'étude, qui va servir à la rééducation.

Puis la troisième phase arrive, la phase post-prothétique durant laquelle le patient va se reverticaliser, reprendre ses activités, apprendre à marcher. Et là, on va le plus loin possible dans les objectifs du patient avec les éléments prothétiques dont on dispose à l'heure actuelle.

L'idéal est d'avoir ensemble tous les professionnels des services de soins au service de rééducation ou au service médicotechnique, avec un atelier d'orthoprothèses pour que tous ces professionnels travaillent en synergie autour du patient.

Et pour vous, Vincent Drouin, en tant qu’orthoprothésiste exerçant en dehors d’un service de soins ?

Vincent Drouin : Il faut savoir que les orthoprothésistes ont été reconnus comme professionnels de santé seulement depuis 2011. Et ça a changé beaucoup de choses dans le sens où l'orthoprothésiste a vraiment intégré cette équipe pluriprofessionnelle. Le médecin va coordonner les actions des différents professionnels que sont les ergothérapeutes, les kinésithérapeutes, les psychologues. Et aujourd'hui, il y a un vrai travail d'équipe, de manière à ce que l'objectif de réinsertion soit maximisé.

Parfois, les orthoprothésistes sont aussi sollicités par le chirurgien en amont. En effet, il va demander conseil pour une personne pour laquelle l'amputation est inéluctable. Et cette consultation technique permet au chirurgien de savoir quelle est la meilleure solution, le meilleur niveau d'amputation, pour que le résultat prothétique soit maximisé. Par exemple pour une jambe, il faut dans certains cas amputer au niveau du tiers moyen, plutôt que de garder une cheville qui ne sera pas fonctionnelle et qui posera de vraies difficultés en termes d'appareillage (résultats fonctionnels moyens ou douleurs difficiles à gérer au quotidien).

Comment se passe la rééducation, et est-ce que c’est plus rapide chez les enfants ?

Frédéric Charlaté : Pour être assez général, on va considérer le cadre de l'amputation d'un seul membre, parce que les déclinaisons peuvent être multiples. Donc, en moyenne, pour une amputation tibiale, c'est-à-dire en-dessous du genou, il faut à peu près deux mois entre l'intervention à la remise debout et la sortie du patient. Pour une amputation fémorale, c'est-à-dire au-dessus du genou, on est plutôt sur trois à quatre mois. Dans ces cas, sont exclus tous les problèmes liés aux comorbidités, c'est-à-dire les maladies associées à l'amputation ou qui ont conduit à l'amputation, et également les problèmes médico-sociaux auxquels nous sommes beaucoup confrontés (retour à la maison difficile à cause de domiciles inadaptés qui rendent la sortie du patient plus compliquée). On est donc en moyenne à trois à quatre mois de programme de rééducation pur. Une fois que cette rééducation est terminée, on passe à la phase de réadaptation, c'est-à-dire la reprise de la vie dans son environnement quotidien (activités professionnelles, conduite automobile, sport).  Et cette étape de réinsertion prend du temps avec l'intervention des équipes dites « hors les murs » qui peuvent aller visiter le domicile, rencontrer les entreprises pour adapter les postes de travail et permettre ainsi aux patients de reprendre leurs vies le plus vite possible. 

Les matériaux des prothèses ont évolué. Peut-on dire que la fabrication est maintenant simplifiée et que la prothèse est ainsi mieux acceptée ?

Vincent Drouin : Je fais partie de la génération qui a vécu quand même plusieurs révolutions techniques au niveau de l'appareil orthopédique avec l'arrivée des manchons silicone, des pieds à restitution d'énergie, des composants avec une gestion électronique, certains matériaux comme la fibre de carbone qui n'existait pas il y a encore quelques dizaines d'années et l’impression 3D. Je ne dirais pas qu'aujourd'hui les prothèses sont plus simples à fabriquer parce que les exigences techniques font que dans les alignements, dans l'adaptation, dans la co-aptation de l'emboîture sur le moignon, c'est beaucoup plus précis qu'il y a encore une quinzaine ou une vingtaine d'années.

Ce n’est pas plus facile aujourd'hui, mais c'est très différent. En effet, les exigences de fabrication sont assez élevées aujourd'hui. Mais les prothèses sont quand même plus confortables pour le patient. La grande révolution en termes de confort a été l'arrivée des manchons silicone, qui permettent d'avoir une répartition des pressions sur l'ensemble du moignon, et donc d'éviter des hyper-appuis qui peuvent blesser.

D’ailleurs, dans les années 90, pour une personne qui était amputée, le sport n’était pas du tout envisageable. Mais aujourd'hui, et on a pu le voir avec les Jeux Paralympiques, il existe des performances techniques qui font qu'une personne amputée peut retrouver un niveau de sport vraiment très intéressant.

Et au niveau de la rééducation, avec l’arrivée des nouveaux matériaux et des nouvelles prothèses, est-ce que c’est plus simple ?

Frédéric Charlaté : J'ai exactement le même discours que Vincent Drouin. Je ne dirais pas que la rééducation est plus simple parce que les matériaux proposent maintenant des performances qui étaient inégalées il y a encore quelques années. Cela nécessite une connaissance des différentes technologies et des différents processus qui sont appliqués à la fabrication de ces matériaux pour permettre de s'adapter au projet de vie du patient. Donc la rééducation n'est pas forcément plus simple, mais elle permet d'autres capacités et d'autres objectifs pour le patient.

Comment ça s’entretient une prothèse ? Est-ce que ça se change ou ça se recharge ?

Vincent Drouin : Aujourd'hui, un amputé adulte a droit au renouvellement de sa prothèse entre 3, 4 ou 5 ans, 6 ans même parfois, mais ça dépend de la technologie employée et de ses capacités physiques. L'amputé a également droit à une prothèse de secours, qui peut : soit être destinée à une toute autre chose ou autre destination, comme une activité physique, soit remplacer la prothèse principale si celle-ci nécessite un entretien. Aujourd'hui donc les prothèses dites électroniques nécessitent une recharge sur une ou deux journées.

Pour l'entretien, c'est comme tout matériel. Par exemple, une personne qui fait du vélo, un enfant qui fait du foot, quand l’activité, est terminée, il faut entretenir son matériel, et pour une prothèse c’est pareil.

On a aujourd'hui des prothèses qui permettent d'aller dans l'eau. C'était quelque chose qui était difficilement concevable il y a encore une dizaine d'années. Lorsque la personne va dans des environnements un peu hostiles, où il y a du sable, du sel, de la terre…, il y a un minimum d'entretien à avoir pour garantir une utilisation optimale de ces prothèses. Et cet entretien, c'est nettoyer en passant la prothèse à l'eau claire, la sécher et s'assurer qu'il n'y a pas de grains de sable qui peuvent rester coincés dans les articulations, ce qui peut être dévastateur. Et au préalable, bien sûr, il faut s'assurer que la prothèse peut aller dans l'eau. En effet, toutes les prothèses ne peuvent pas aller dans l'eau. Et il peut y avoir des réactions chimiques avec le sel qui qui vont abîmer les matériaux qui la constituent.
 

Qu’est-ce que les prothèses qui se rechargent ont en plus ?

Vincent Drouin : Les prothèses avec une gestion par microprocesseur ont des capteurs à l'intérieur, que ce soit au niveau du genou ou de la cheville. Il y a un capteur de charge qui analysera comment on appuie sur la prothèse, et quelle est l'orientation de la prothèse dans l'espace. Il y a différents types de capteurs et, en fonction des informations, cela va ouvrir ou fermer une valve, freiner… Et s'il y a des situations anormales, comme par exemple une flexion soudaine du genou, pour éviter le risque chute, le genou va se bloquer, ce qui va permettre à la personne d'avoir le temps d'éviter la chute.


Qu’est-ce qu’on doit surveiller quand on a une prothèse au niveau du moignon ?

Frédéric Charlaté : Un moignon, comme j'explique souvent à mes patients, est quelque chose de vivant qu'on va mettre dans un contenu qui, lui, ne peut pas bouger au niveau volume. Or, le moignon peut varier de volume, maigrir, ou grossir. Et souvent on s’imagine que lorsque la cicatrice fermée, tout est terminé. Mais un moignon, c'est en fait beaucoup de « petits moignons » car le chirurgien va couper un os, des artères, des veines…. Et tout ça va cicatriser à l'intérieur du moignon. Et ça va mettre entre 12 et 18 mois maximum.

Le moignon nécessite d'être surveillé au niveau de la peau. Car, même si les manchons permettent maintenant d'assurer une protection optimale de la peau, il peut y avoir des frottements liés à ces modifications de volume. Il peut y avoir des soucis de sudation ou de macération qui peuvent entraîner tout simplement des irritations et même parfois l'apparition de mycose. Il est possible de ressentir des douleurs au niveau des reliefs osseux, puisqu'il n'est pas naturel de marcher sur un os coupé.

Cela nécessite donc un suivi régulier et une éducation du patient qui est réalisée pendant l'hospitalisation, mais aussi rappelée à chaque consultation. Personnellement, je considère que tout problème avec une emboîture ou un moignon n'est pas une urgence absolue, mais je m'engage à voir mes patients dans la semaine.

Et si on veut faire du sport, ce sont les mêmes prothèses ?

Vincent Drouin : Dans la vie de vie quotidienne, l'activité physique modérée peut être envisagée. Là où il faut faire attention c’est quand on veut pratiquer des sports avec de forts impacts et où il peut y avoir des chutes qui peuvent endommager la prothèse. A partir de ce moment-là, l'orthoprothésiste, va envisager des prothèses plus spécifiques avec une lame de course ou du matériel dédié.

Pour la natation, par exemple, on va concevoir une prothèse avec un pied qui va pouvoir se mettre en position palmée. Ce type de prothèse peut être utilisée pour marcher mais seulement pour se déplacer à la plage ou à la piscine. Si la personne va dans l’eau, elle va pouvoir aussi utiliser ses palmes, mais qui ne sont pas faites pour marcher. Pour la course à pied, si on veut seulement trottiner, certains pieds le permettent. Et quand on veut passer à un autre niveau, il est quand même fortement conseillé d'avoir du matériel spécifique.

Il y a une rééducation spécifique selon si la prothèse est destinée à la ville ou au sport ?

Frédéric Charlaté : Il existe des programmes éducatifs notamment à la course. Ce n’est pas facile de se remettre à la course quand on est amputé car il est assez difficile d’utiliser une lame carbone qui restitue beaucoup d'énergie. Il y a en effet un pouvoir d'absorption et de restitution qui peut être assez troublant la 1ère fois pour la personne amputée. Les enfants, eux, s'adaptent extrêmement vite à ce type appareillage. En revanche, pour les adultes, en particulier ceux qui sont amputés au-dessus du genou, le contrôle du genou prothétique et de la lame n'est pas forcément simple. Donc là, il y a une rééducation spécifique dans des centres avec des équipes spécialisées à organiser.

Vincent Drouin et le Dr Frédéric Charlaté ont également expliqué à Pourquoi Docteur le rôle et les missions de leurs associations respectives. Pour les découvrir, rendez-vous sur notre chaîne YouTube pour retrouver cette émission :

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