"À la fin du collège, j’ai eu mes règles pour la première fois. Au début, j’avais des douleurs pelviennes liées à mon cycle menstruel, c’est-à-dire avant et pendant les règles. Au fur et à mesure des années, elles sont devenues insidieuses et se sont déconnectées de mon cycle. J’ai commencé à avoir mal quasiment tout le temps. En clair, on est passé à 7 jours de souffrance par mois à 28 jours sur 31", confie Émilie Schmitt, aujourd’hui âgée de 26 ans. Pour lutter contre ses maux, elle a recours à des antalgiques, des antispasmodiques, comme du Spasfon, et des anti-inflammatoires durant ses années au lycée. "Si dans les premiers mois, j’arrivais à tenir le cap, à partir d’un certain moment, ce n’était plus le cas, car les douleurs avaient pris le pas sur ma vie. J’avais l’impression que comme le sable, ma vie glissait entre mes doigts."
"Sur les conseils des médecins, j’ai changé environ 15 fois de pilule"
Voyant que les médicaments étaient plus ou moins efficaces et que les douleurs avaient un énorme retentissement sur sa vie scolaire et d’adolescente, sa mère, médecin généraliste, prend "instinctivement" les choses en main. "Elle m’a proposé en 2016, soit trois ans après les premières manifestations, de consulter un gynécologue. Elle a orienté le spécialiste sur la recherche d’une endométriose." À l’issue de ce rendez-vous, la jeune patiente effectue une échographie. "Sur cet examen, on voit un petit épaississement des ligaments, mais rien ne pouvait expliquer des douleurs. Aucune solution n’a pu être apportée, j’ai donc continué à avoir mal. En plus, des coliques et des troubles digestifs apparaissaient souvent. C’était aussi très compliqué pour ma vie sexuelle, car j’avais des douleurs pendant et après les rapports. À cette époque, mon copain, pour qui cette situation était également dure, est devenu mon aidant, mon accompagnant."
En raison de ses souffrances chroniques, sa mère ne lâche pas l’affaire et la motive. Après ses deux ans de PACES (Première Année Commune aux Études de Santé), l’étudiante réussit, grâce à plusieurs demandes de sa mère, à bénéficier d’une IRM pelvienne. Problème : les résultants ne se révèlent pas être concluants. "Certains professionnels disaient que mes douleurs pelviennes étaient sans doute liées à ma contraception. Sur les conseils des médecins, j’ai donc changé environ 15 fois de pilule. Mais rien ne faisait effet. C’était une période assez sombre, même de dépression. Je me sentais seule. J’étais dans la rédemption et l’acceptation, je me disais que ma vie allait être comme ça pour toujours. Je m’étais tournée vers de l’autohypnose et de la sophrologie. En parallèle, je prenais des traitements de plus en plus forts, comme du Tramadol. Étant donné que ce médicament me défonçait, je ne pouvais pas réviser et je finissais tout le temps aux rattrapages. À certains moments, je me suis vraiment demandé si ça valait vraiment la peine de continuer à vivre", se souvient l’interne en gynécologie et obstétrique, qui travaille actuellement en Guyane. Fort heureusement, la vingtenaire est entourée et soutenue par son "amoureux", sa famille et ses amis. "Ils étaient très présents et m’aidaient à me battre."
"J’ai des varices partout dans le ventre", "il s’agit potentiellement du syndrome" de congestion pelvienne
Un jour, la chance lui sourit. "Après ma dépendance aux antalgiques, je faisais part à un ami à la fac de ma souffrance. J’ai complètement vidé mon sac et ma haine. Lors de la conversation, ce dernier me répond que son père, radiologue interventionnel, s’occupe d’une maladie appelée syndrome de congestion pelvienne, qui ressemble à mes symptômes. Il me conseille de lui donner mon IRM pelvienne en CD afin que son père puisse l’étudier. Quinze jours plus tard, je reçois un appel de son père, le docteur Quentin Sénéchal. Il me signale que j’ai des varices partout dans le ventre et qu’il s’agit potentiellement du syndrome." Afin de confirmer le diagnostic et rentrer rapidement dans un parcours de soins, le praticien demande à la recevoir au Centre Cardiologique du Nord à Saint-Denis
En effet, plusieurs critères doivent être cochés pour déclarer qu’il s’agit du syndrome de congestion pelvienne. "C’est une maladie des vaisseaux, qui apparaît souvent après la grossesse. Plus précisément, ce sont les veines pelviennes qui sont malades. Parmi les femmes ayant des varices pelviennes, chez certaines, elles sont asymptomatiques et, chez d'autres, elles peuvent entraîner des douleurs. Lors de l’établissement du diagnostic de cette pathologie à expression gynécologique, urinaire et digestive, il faut identifier une association entre les varices pelviennes et les symptômes. Quand on parle de symptômes, cela correspond à des douleurs pelviennes chroniques situées dans le bas-ventre ou le pelvis évoluant depuis plus de six mois, qui sont permanentes ou cycliques, des douleurs survenant en fin de journée ou aggravées par le fait de se tenir debout ou assise longtemps, des hémorroïdes, des diarrhées, une constipation, une cystite permanente, des picotements dans la vulve qui gonfle, des varices des grandes lèvres et sur des membres dits atypiques, comme les cuisses ou les fesses, et enfin des douleurs post-coïtales."
Syndrome de congestion pelvienne : une malformation liée au syndrome de May Thurner en cause
Lors de son arrivée à la clinique, l’ancienne Parisienne réalise une échographie Doppler. Ensuite, sur 15 jours, un point sur ses symptômes est fait. Étant donné que tous les signes ont été identifiés chez l’interne, le praticien lui confirme qu’elle est atteinte du syndrome de congestion pelvienne, dont souffre une femme sur 20, selon les estimations de l’association Congestion Pelvienne France, basées sur la cohorte Constances, créée par Émilie Schmitt et Nacira Martin il y a trois ans. "L’annonce du diagnostic, c’était un doigt d’honneur à tous ceux qui m’ont traitée de folle, une revanche sur la vie." Après des examens plus poussés, les médecins parviennent à déterminer la cause : une malformation liée au syndrome de May Thurner. "Dans le cas de cette maladie, une artère compresse et appuie sur la veine iliaque et la plaque contre la colonne vertébrale."
En février 2021, les spécialistes lui proposent une embolisation pelvienne, soit le traitement de référence du syndrome de congestion pelvienne. "J’ai accepté, car je n’avais pas de désir de grossesse immédiat." Avant l’intervention, une phlébographie est effectuée. "Cet examen radiologique permet de voir les varices après l’injection d'un produit de contraste iodé. Ensuite, lors de l’embolisation, sous anesthésie générale ou loco-régionale, les professionnels de santé bouchent les réseaux malades. Après l’opération, j’ai eu très mal, j’ai mis six mois avant de m’en remettre. Par la suite, on a constaté que ma veine iliaque n’était plus comprimée, car l’embolisation favorisait le reflux sanguin. Cependant, il fallait tout de même traiter le syndrome de May Thurner. Pour cela, on m’a mis un stent dans les vaisseaux."
"Plus de douleurs" après l’embolisation pelvienne
La patiente a eu besoin d’une prise en charge par kinésithérapie afin de diminuer l’inflammation et réapprendre à écouter son corps, ainsi que par psychothérapie et sexologie pour mieux appréhender sa vie sexuelle et de couple. "Ça m’a pris deux ans, mais toutes ces armes m’ont aidée à m’en sortir. Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire de me balader avec des antalgiques, d’en laisser dans la voiture de mon copain ou à la fac, car je n’ai plus de douleurs. Ça a changé ma vie. Récemment, j’ai pu faire une randonnée au Machu Picchu, c’est un des plus beaux cadeaux que mon corps puisse m’offrir après des années de souffrance", s’exclame la présidente de l’association Congestion Pelvienne France qui accompagne les patientes, référence des médecins adhérents et forme les sage-femmes, les gynécologues, les généralistes ou encore les kinésithérapeutes.
"L’association a été créée, car nous ne voulions pas, avec les membres, Julie Cousin et Johanna Lalandes, que la santé des femmes, qui n’attend pas, soit entre les mains du destin et de la chance, comme cela a été pour moi, car malheureusement, plusieurs gynécologues ne connaissent pas le syndrome de congestion ou ne croient pas que cette maladie existe. Les personnes touchées doivent savoir qu’elles ne sont pas les seules à souffrir. Même dans les moments les plus sombres, le soir dans le lit après avoir pleuré, être dépossédée par les médicaments, il ne faut pas céder à la solitude. La douleur, ce n’est pas dans la tête !"