On dit souvent qu’elle est un "mal du siècle". La sédentarité - et l'inactivité physique - est devenue un problème majeur de santé publique. Selon l’Observatoire national des activités physiques et de la sédentarité (Onaps), on est sédentaire au-delà de sept heures passées assis ou allongé en situation d’éveil dans une journée. Quels sont les effets de cette sédentarité sur la santé ? Comment intégrer plus d’activité et de mouvement dans notre journée ? Réponses du Professeur François Carré, cardiologue et médecin du sport au CHU de Rennes, et président du collectif "Pour une France en forme".
Pourquoi Docteur : Pourquoi est-il si important de lutter contre la sédentarité ?
Pr François Carré : Ces dernières décennies, on s’est rendu compte que le manque d’activité physique n’était pas le seul problème. Des pays comme le Canada ont réussi à augmenter les niveaux d’activité physique de ses ressortissants, mais il n’y a eu aucun effet sur le surpoids et l’obésité. Pourquoi ? Car on a oublié de prendre en compte le temps passé assis, qui est de plus en plus important aujourd’hui : en France, un adulte est assis 12 heures par jour quand il travaille et 9 quand il ne travaille pas ; un enfant de 7 ans passe 50 % de sa journée assis, un adolescent de 14 ans 75 %. Or, cette sédentarité représente un véritable risque pour la santé, puisque plus on passe de temps assis, plus on accroît le niveau d’inflammation et de stress oxydant dans l’organisme. Ce qui fait le lit de la plupart des maladies chroniques : diabète, obésité, maladies cardiovasculaires, dépression, troubles du sommeil... Aujourd’hui, des enfants développent même des "maladies de vieux", comme le diabète de type 2, qui autrefois touchait principalement des hommes de 50 ans. En France, entre 40.000 et 50.000 décès par an sont liés à des maladies chroniques provoquées par l’inactivité physique.
Cette sédentarité retentit également sur notre capacité physique, qui est pourtant notre capital santé. De façon schématique, plus vous montez d’étages en cinq minutes, meilleure est votre santé. Or il n’y a qu’un seul moyen d’augmenter cette capacité physique, c’est de bouger. Aucun médicament ne le fera pour vous.
Notre corps ne supporte pas la sédentarité, car il est génétiquement programmé pour bouger : si on n’est pas en mouvement, on ne peut pas rester en bonne santé.
Que se passe-t-il au niveau physiologique, biologique lorsqu’on arrête de bouger ?
L’être humain a mis des millions d’années à passer de quatre à deux pattes, et en quelques décennies, nous sommes passés à une position assise toute la journée. Notre corps ne le supporte pas, car il est génétiquement programmé pour bouger : si on n’est pas en mouvement, on ne peut pas rester en bonne santé. On le doit à notre ancêtre Homo sapiens, qui nous a légué ses gènes de l’endurance notamment : quand ils sont activés, ces gènes libèrent des protéines qui vont baisser l’inflammation, le stress oxydant, etc. Mais pour mettre ces gènes en route, il faut nécessairement bouger, sinon ils restent dans le génome et ne servent à rien. On dit souvent que "c’est bien de bouger et pratiquer une activité physique", mais on devrait surtout dire que "c’est très dangereux de ne pas en faire".
Pour quelles raisons les chiffres de la sédentarité augmentent-ils ? La faute aux écrans, aux conditions de travail, aux loisirs de plus en plus intérieurs et assis ?
Tout cela, et les écrans, bien sûr, nous ont rendus encore plus sédentaires. Les plus jeunes sont particulièrement touchés : on a appris récemment qu’au Royaume-Uni, les enfants passent moins de temps dehors dans la semaine que les détenus. En France, ils passent moins de 15 minutes dehors par jour, en moyenne hebdomadaire, et ils passent davantage de temps assis pendant les vacances qu’en période scolaire. Ils se disent aussi de plus en plus déprimés. Or, on sait que le premier traitement contre la dépression est l’activité physique : en bougeant plus, ils iraient mieux, mécaniquement. On ne parle même pas de faire du sport, seulement de l’activité physique, à hauteur de 30 minutes par jour pour les adultes et 1h pour les enfants. Mais il est difficile de faire passer le message, car les gens ne croient pas que la sédentarité soit si nocive, comme la malbouffe. Pire, ils ont l’impression que c’est la norme, puisque l’écrasante majorité est trop sédentaire ou en surpoids. Comment se remettre en question ? Aux Etats-Unis, 90 % de la population est en surpoids, donc c’est "normal" d’être en surpoids. En France, nous sommes à 46 % d’adultes, et le taux d’obésité chez les 18-24 ans a été multiplié par quatre depuis 1993.
Comme toutes les addictions, la chaise tue. Et silencieusement, car on ne se rend pas compte qu’on développe une maladie
Vous dites que "la chaise ne nous repose pas", au contraire. Plus on est assis, moins notre corps bouge et plus il est fatigué – et inversement ?
Je parle de la chaise comme d’une addiction : on s’assoit systématiquement, sans même s’en rendre compte, alors qu’on n’en a pas besoin, et on y revient toujours plus. Comme toutes les addictions, la chaise tue. Et silencieusement, car on ne se rend pas compte qu’on développe une maladie : il n’y a aucun symptôme quand on est diabétique, quand on est hypertendu, ou quand on a un cancer jusqu’à ce qu’il se déclare sournoisement. D’ailleurs, on peut très bien être mince et en mauvaise santé car trop sédentaire, comme on peut être en fort surpoids et avoir une très bonne condition cardiorespiratoire.
Et la chaise ment, car elle nous fait croire qu’elle nous repose. Quand vous rentrez d’une journée harassante, le fait de vous écrouler sur le canapé ne va pas plus vous reposer ou soulager vos douleurs aux jambes. Mais si vous allez marcher cinq ou dix minutes, vous aurez moins mal – cela a été formellement démontré. Si on se dit tant "fatigué", c’est simplement parce qu’on a perdu l’habitude de bouger ! Regardons nos déplacements : même pour les distances de moins de 2 km, la voiture reste aujourd’hui le principal mode de transport, à plus de 50 %.
Faudrait-il bannir la position assise dès que possible ?
Il faut surtout adopter ce qu’on appelle la "sédentarité en bougeant". Au bureau, on peut être assis tout en étant actif, en installant par exemple un petit pédalier sous les pieds. Même cinq minutes toutes les heures, cela a montré des bénéfices sur la pression artérielle, le cholestérol, etc. L’important est de casser les périodes de sédentarité, le pire étant les plages de plus d’1h30 sans bouger : toutes les heures ou plus, levez-vous, allez voir un collègue, observez par la fenêtre... Lorsqu’on reste assis trop longtemps, notre organisme entre en hibernation, il s’encrasse. On a froid car notre température corporelle baisse, comme lorsqu’on s’endort. Même chose pour le cerveau : à force d’être assis trop longtemps, il devient moins vigilant car il n’est plus perfusé. Il suffit de se lever quelques minutes pour le relancer et se reconcentrer.
Il existe des solutions. Les bureaux dits "debout" ne sont pas moins mauvais pour la santé cardiovasculaire, mais ils soulagent les problèmes de dos. Car il ne faut pas oublier que l’on est souvent assis dans une mauvaise position : plus le temps passe, plus on s’avachit. Cela provoque ce qu’on appelle l’amnésie des fessiers : les muscles des fesses sont ceux qui maintiennent le dos droit, mais quand on reste assis 4h, ils n’ont pas travaillé, et quand on se lève, ils ne se mettent pas en action. Ce sont donc les muscles le long des vertèbres qui prennent le relais, sauf que ce n’est pas leur rôle, donc on a mal. L’avantage du Swiss Ball, justement, est que vos fessiers travaillent en permanence.
Entre 1987 et 2022, la capacité physique des enfants de 11 ans est passée de 11,2 à 9,7 km/h sur 1 km de course à pied. La bonne nouvelle, c’est que l’on peut inverser les courbes.
En 2022, vous avez dirigé une étude sur la baisse de capacité physique des enfants, qui courent moins vite qu’il y a 30 ans...
Les travaux ont été menés sur près de 10.000 collégiens de 11 ans dans trois régions : entre 1987 et 2022, leur capacité physique est passée de 11,2 à 9,7 km/h (en moyenne sur 1 km de course à pied). En d’autres termes, un enfant de 11 ans n’arrive pas à suivre un homme de 60 ans actif sur un kilomètre. Si on extrapolait un peu, le capital santé d’un enfant de 11 ans serait aujourd’hui égal au capital santé d’un sexagénaire... La bonne nouvelle, c’est que l’on peut inverser les courbes : dix séances de course à pied de type fractionné pendant six semaines (dans le cadre des cours d’EPS classique) ont permis de réduire de 44 % cette baisse de leur capacité physique. Il n’est jamais trop tard : en se décidant à bouger, même à 80 ans, on améliore son capital santé. Les bienfaits du mouvement et de l’activité physique – une thérapie à part entière validée par la Haute autorité de santé (HAS), rappelons-le – se voient même chez les malades. Une chirurgienne de ma connaissance, spécialisée dans les cancers digestifs des personnes âgées, propose depuis peu à ses patients de marcher 15 min chaque jour pendant les deux ou trois semaines de délai avant leur opération. Résultat, elle a constaté que ceux qui suivent ses prescriptions de marche sortent trois jours après la chirurgie, contre six jours pour ceux qui n’ont pas marché.
Peut-on "annuler" les conséquences de la sédentarité en intégrant de l’activité physique à sa journée ?
Pour compenser 10h de position assise par jour, il faut pratiquer environ 2h d’activité physique... Malheureusement, ceux qui ont assis 12h par jour sont ceux qui en pratiquent le moins. Il faut surtout avoir en tête que c’est en bougeant chaque jour – en montant les escaliers, en cuisinant, en bricolant, en promenant son chien... – qu’on prend soin de sa santé. Chaque minute de moins passé assis, chaque pas en plus, est bénéfique pour l’organisme. Soyez d’abord actif, vous verrez ensuite si vous voulez vous mettre plus sérieusement au sport.