- Une nouvelle étude scientifique montre que la grossesse modifie également le cerveau des pères, notamment dans les régions associées à l'empathie, l'attachement et les soins parentaux.
- Ces transformations neurologiques, influencées par les interactions avec le nourrisson, illustrent comment la parentalité n’est pas uniquement biologique mais aussi façonnée par l’expérience et l’environnement.
- "Les pères commencent à vivre des changements cérébraux dès le début de la grossesse de leur conjointe."
Lorsqu'une femme est enceinte, son corps et son cerveau subissent des transformations importantes, largement influencées par les hormones. Cette idée est bien ancrée dans l'imaginaire collectif. Mais une question demeure : et les pères ? Peu d’études se sont intéressées à la façon dont la grossesse et la naissance affectent leur cerveau. Pourtant, il semble que ces changements existent aussi chez les hommes, et qu'ils soient loin d'être négligeables.
Le Dr Lucie Joly, psychiatre spécialisée en psychiatrie périnatale et santé de la femme, auteure et enseignante à Sorbonne Université, a récemment coécrit un article publié dans la revue JAMA PSY avec son collègue le Dr Hugo Bottemanne sur ce sujet fascinant.
Le cerveau des mères se réorganise dès les premiers instants de grossesse
Chez les femmes enceintes, les modifications cérébrales apparaissent dès le début de la grossesse. Elles sont principalement causées par des hormones comme les œstrogènes et la progestérone, entrainant une véritable “réorganisation du cerveau”. Ce phénomène, qu'on appelle la “neuroplasticité périnatale”, permet au cerveau de s’adapter à la future parentalité.
Le Dr Joly explique : "Pendant la grossesse, les changements hormonaux induisent des ajustements neurobiologiques qui modifient certaines fonctions cérébrales. Ces adaptations sont cruciales pour optimiser la gestion des émotions et la réponse aux besoins du nourrisson dès les premières semaines post-partum."
Certaines zones du cerveau, liées à l'empathie, à la régulation émotionnelle et à la cognition sociale, vont être modifiées. Par exemple, “la perception des émotions faciales devient plus fine, et la vigilance face aux besoins du nourrisson augmente. Les femmes peuvent ainsi mieux déchiffrer les signes de détresse ou les besoins de leur bébé”. Mais ce n’est pas tout.
Les pères subissent eux-aussi des changements cérébraux
Si les changements cérébraux des mères sont bien documentés, il en va de même pour les pères, même si la recherche dans ce domaine est (beaucoup trop) récente. Le Dr Lucie Joly indique que ces transformations ne sont pas dues aux mêmes mécanismes physiologiques que ceux des mères, mais elles existent néanmoins.
"Les pères commencent à vivre des changements cérébraux dès le début de la grossesse de leur conjointe. C'est un processus qui se développe lentement, mais qui aurait un impact considérable sur leur capacité à interagir avec leur bébé", explique-t-elle. Bien que ces changements soient encore mal compris, plusieurs études récentes montrent que des régions spécifiques du cerveau des pères s’activent de manière similaire à celles des mères après la naissance. Ces zones sont liées à l'empathie, à la régulation des émotions et à l’attachement. Par exemple, la baisse de testostérone pendant la grossesse pourrait contribuer à cette transformation cérébrale.
Des pères plus empathiques et plus sensibles
Les changements cérébraux observés chez les pères semblent les rendre mieux préparés à s'occuper de leur bébé. Le Dr Joly note : "La grossesse modifie les circuits neuronaux des pères, et cela se traduit par un renforcement de l’empathie et une plus grande sensibilité aux besoins du nourrisson." Elle confirme que des études ont montré que des niveaux élevés d’ocytocine, souvent appelée "l'hormone de l’amour", favorisent une meilleure qualité des soins parentaux. Cette hormone, qui joue un rôle clé dans l'attachement, permettrait aux pères de mieux interagir avec leur enfant.
La grossesse a donc un impact bien plus profond que ce que l’on pourrait imaginer, non seulement sur les mères mais aussi sur les pères. L’implication des hommes dans cette période de transition semble avoir un effet direct sur leur comportement parental et sur leur capacité à tisser des liens forts avec leur bébé.
La dépression du post-partum chez les pères est souvent négligée
Ces transformations cérébrales peuvent aussi rendre les pères plus vulnérables à des troubles comme la dépression du post-partum. Le Dr Joly évoque que 8 à 10 % des pères connaissent une forme de dépression dans l'année qui suit l’accouchement. "Ce phénomène est bien réel, mais souvent minimisé. Les pères qui traversent des difficultés émotionnelles peuvent en souffrir en silence, car la société a tendance à se concentrer davantage sur la mère", indique-t-elle. Ces troubles peuvent avoir des répercussions sur le développement du bébé : "Nous devons réévaluer la place du père dans le suivi postnatal. Il est essentiel d’offrir un soutien spécifique aux pères, car leur bien-être mental est tout aussi important pour la santé globale de la famille", insiste le Dr Joly.
Les premières études scientifiques sur les changements cérébraux des pères montrent qu'il est nécessaire d'explorer davantage ce domaine. Le Dr Lucie Joly et ses confrères appellent à une meilleure inclusion des pères dans les études de neurosciences périnatales. "Il est fondamental de mieux comprendre ces transformations cérébrales, car elles ont un impact direct sur la façon dont les pères vivent la parentalité et s’engagent auprès de leur enfant", conclut-elle.