- Sophie est tombée dans l'anorexie à 17 ans.
- Descendue à 35 kilos, elle a dû être prise en charge d'urgence. Son hospitalisation a duré 4 mois.
- Après 15 ans de combat, elle a réussi à vaincre la maladie. Elle a écrit un livre sur son parcours pour sensibiliser aux TCA.
"L’anorexie mentale est une terrible et longue maladie qui tue. Mais on peut s’en sortir." Si Sophie Pigasse, 51 ans, prononce ses mots avec assurance, c’est qu’elle est parvenue à vaincre ce trouble du comportement alimentaire (TCA) qui conduit à réduire drastiquement son alimentation pour perdre du poids, il y a plusieurs années.
"J’étais complexée et me trouvais un peu grosse"
Comme pour beaucoup d’anorexiques, la maladie est rentrée dans la vie de Sophie à l’adolescence, sans qu’elle ne le réalise immédiatement. On était au début des années 90 et les couvertures de magazine et les podiums regorgeaient de mannequins à la minceur glorifiée. "J’étais complexée et me trouvais un peu grosse", se souvient la cinquantenaire. Les complexes se sont ancrés définitivement après qu’un médecin lui a dit qu’elle devait perdre quelques kilos… alors qu’elle avait 16 ans et pesait 53 kg pour 1m61.
"Quand j’en parle aujourd’hui, les médecins hallucinent car peser 53 kg pour 1m61 est tout à fait correct", confie Sophie. Mais même si le conseil était inapproprié le mal était fait. "Je me sentais déjà un peu enrobée. Mais avec un médecin me disant ça, ça a évidemment amplifié les choses."
Autre élément ayant nourri le mal-être de la lycéenne à l’époque : "j’avais aussi un sentiment d'infériorité par rapport à l'un de mes frères qui préparait le concours de l’ENA. Sans s’en rendre compte, mon papa, qui était passionné d’histoire et de politique, et lui, ne parlaient que de ça au repas. Et je ne me sentais pas à ma place."
Anorexie : "Le problème, c’est que plus je maigris, plus je me trouve belle"
Après un séjour linguistique aux États-Unis au cours duquel Sophie a pris 6 kg, la jeune fille a plongé pleinement dans l’univers des régimes et la recherche de la minceur. "J’ai commencé les “réunions Weight Watchers” à mon retour des USA. Ça m’a beaucoup plus. Je me sentais vraiment dans mon élément… sauf que j’ai perdu rapidement le contrôle et je ne parvenais pas à m’arrêter."
"Le problème, c’est que plus je maigris, plus je me trouve belle. Je me trouve très très belle à 40 kilos et encore plus à 35", se rappelle l’auteure.
Petit à petit, les quantités dans l’assiette de Sophie se sont ainsi réduites et la liste des aliments interdits s’est allongée. Au point que l’adolescente ne mangeait plus que du chou, des carottes et des radis. "J’avais lu que les carottes et les radis ne faisaient pas prendre de poids et j’avais remarqué que lorsque je mangeais une boite de chou la veille d’une consultation, j’avais le ventre gonflé le jour J. J’avais l'impression que cela me faisait prendre quelques grammes sur la balance le temps du rendez-vous."
En plus de ses privations alimentaires, Sophie s’est également désintéressée de l’école et s’est isolée, tout en faisant beaucoup de sport. “Petit à petit, je deviens dépressive, colérique et je me scarifie”, se souvient-elle.
Hospitalisation : "Je faisais alors 34 kilos"
Ses parents ont été très vite inquiétés par son importante perte de poids, son isolement et son mal-être de plus en plus apparent. Rendez-vous avec des médecins et des spécialistes, consultations à la maison des adolescents… ils ont multiplié les démarches, mais Sophie restait dans le déni de la maladie.
"Lorsqu’on a été à la maison des adolescents où on a vu plusieurs jeunes filles anorexiques, ma mère était bouleversée, elle pleurait en sortant et je lui ai demandé ce qu’elle avait. Je lui ai ensuite dit que je ne voulais pas rester là, que les filles étaient extrêmement maigres. Je ne réalisais pas que j’étais comme elles", se rappelle Sophie.
L’autre difficulté que la famille démunie devait affronter était le silence. "L’anorexie était un sujet très tabou il y a 30 ans. Et il y avait très peu de structures. Si maintenant il y a des associations ou des groupes de parole pour aider les parents, il n’y avait rien à l’époque. La chance qu’on a eue - si on peut dire ça comme ça - est qu’un de mes grands-oncles était médecin au CHU de Caen et connaissait très bien la maladie. Ma maman l’appelait souvent pour avoir des conseils. Mais sinon, personne n’en parlait. On ne discutait pas de ce type de sujet avec les proches et les amis. Cela a vraiment été difficile."
Pendant que la famille tentait de trouver l’aide appropriée, les chiffres de la balance de Sophie continuaient à diminuer dangereusement. "J’ai lâché prise, un soir. Je n’avais plus de force et j’ai dû être hospitalisée d’urgence. Je faisais alors 34 kg."
Santé mentale : "Les musiques de Jean-Jacques Goldman m’ont toujours aidé"
Sophie a alors dû faire face à une nouvelle épreuve : l’hospitalisation. "Cela a été un parcours du combattant. J’ai été coupé du monde. Il y avait un contrat de poids à respecter : 40 kg pour voir les proches, 45 kg pour rentrer chez moi. J’étais enfermée dans une chambre seule." Ces premières journées ont été marquées par la colère, la frustration et le désespoir. Mais finalement, la jeune fille a eu le déclic : elle ne faisait plus que 32 kg alors. "Avec ma main, je faisais le tour de ma jambe et j’ai réalisé mon taux de maigreur."
Avec l’aide de l’équipe de la clinique “des professionnels de santé attentifs et exceptionnels", la jeune fille anorexique a progressivement réappris à se nourrir et a retrouvé l’envie de vivre. L’autre élément qui l'a aidé à traverser cette période sombre : la musique. "Et plus particulièrement celle de mon idole Jean-Jacques Goldman. Mon père m’avait envoyé un walkman avec des cassettes. Les musiques de Jean-Jacques Goldman m’ont toujours aidée et soutenue dans les moments difficiles. L’anorexie n’a pas fait exception."
Au fil des semaines, l’adolescente a repris des forces et les kilos nécessaires pour l’éloigner d’un danger mortel. Elle a finalement pu quitter le centre après 4 mois d’hospitalisation. S’il s’agissait d’une victoire, cela ne marquait pas la fin du combat.
"À l'hôpital, l’équipe médicale est à nos côtés. Les repas sont préparés par des diététiciens et apportés sur un plateau. Il n’y a rien à faire. À la maison, on se retrouve tout seul. Il faut un moment pour reprendre ses marques."
Traitement de l'anorexie : "Ce qui m’a sauvé… la rencontre avec la bonne psychiatre"
Sophie a eu encore des années difficiles par la suite, marquées par une autre facette des TCA : l'hyperphagie boulimique, mais aussi par une tentative de suicide, la dévalorisation, le manque de confiance en soi…
"Ce qui m’a sauvée : ce sont les médecins, le traitement, Jean-Jacques Goldman, le soutien de ma famille, mais aussi la rencontre avec la bonne psychiatre. Brigitte Remy m’a suivie pendant 15 ans. J’en avais consulté 7 ou 8 avant elle. Avec eux, on parlait surtout du poids et de la nourriture. Je n'accrochais pas. Avec elle, on parlait de tout : musique, littérature, famille… On parlait évidemment de la maladie, mais pas que… Je pouvais me confier, j’avais confiance en elle. Je lui dois beaucoup."
"Il y a eu des hauts et des bas pendant les 15 ans qu’elle m’a suivie. Mais je me suis sortie de l’anorexie et des TCA."
Prévention des TCA : "ma maman m’a dit d’en faire mon combat"
Études, vie professionnelle, enfants… Sophie a poursuivi sa vie sans l’anorexie. Puis, la pandémie de la Covid-19 survient. Elle apprend alors que la santé mentale des jeunes s’est grandement dégradée pendant cette période. Elle découvre également d’autres chiffres effrayants : plus d’un million de personnes sont concernées par les TCA en France et ces pathologies sont la deuxième cause de mortalité prématurée chez les 14-25 ans. Elle se dit alors que son parcours peut venir en aide à ces adolescents en difficulté. Elle souhaite sensibiliser sur cette maladie, certes moins taboue qu’il y a trente ans, mais toujours aussi terrible pour les malades et leurs proches. La mère de 3 enfants reprend alors le carnet de bord qu’elle avait tenu pendant son hospitalisation et commence à écrire son histoire.
"J’ai retravaillé mon manuscrit pour transmettre aux lecteurs ma volonté de vivre, faire de la prévention et aider les parents qui sont complètement démunis face à un enfant qui ne mange plus. Je voulais donner de l’espoir : dire oui, l’anorexie est une terrible maladie, mais on peut s’en sortir avec l’aide de professionnels de santé et le soutien des proches. J’en suis la preuve."
Si la joie de la publication de son livre “Faim de la vie : J’ai réduit l’anorexie en miettes” (Récits Éditions) fut un peu ternie par la disparition récente de sa maman - qui l’avait tant soutenue pendant sa maladie ainsi que l’écriture - cela a tout de même été un moment très fort pour Sophie. Et le début d’une nouvelle aventure : aider les personnes touchées par l’anorexie et les TCA.
"Peu de temps avant son décès, ma maman m’a dit de faire de la prévention contre l’anorexie mon combat, car trop de jeunes et de parents avaient besoin de conseils, et surtout de voir qu’on pouvait s’en sortir. Je me rends compte qu’elle avait raison. Rencontrer les gens, les sensibiliser ou leur apporter mon aide ne serait-ce qu’en donnant un conseil ou le nom d’un groupe de parole ou les coordonnées d’une association, est aujourd’hui une chance énorme et une grande fierté."