Le nouveau ministre de la Santé Yannick Neuder a annoncé faire le “dry january”, ou “janvier sec”, un défi qui consiste à ne plus boire une goutte d’alcool durant les 31 premiers jours de l’année. Pourquoi se lancer dans une telle initiative ? Quels sont les avantages d’un tel arrêt ? Les médecins du Centre Hospitalier de Bligny, Dr Jean Baptiste Méric, oncologue et Directeur médical du Centre Hospitalier de Bligny et Dr Isabelle Godart, Service de Médecine Polyvalente, Équipe de Liaison et de Soins en Addictologie, nous éclairent sur le sujet. Et si jamais, après la lecture de cette interview, l’envie de relever le défi vous prend, il est est toujours possible de le faire en décalé !
Pourquoi Docteur : En termes de risques pour la santé, est-ce-que tous les types d’alcool se valent ?
Dr Jean Baptiste Méric : Oui, tous les types d’alcool "se valent" et sont tous aussi nocifs les uns que les autres. Il faut en finir avec cette idée fausse véhiculée par le lobby des alcooliers, le vin n’est pas bon pour la santé ! La seule consommation à risque acceptable est celle que l’on a dans les repères de consommation acceptable, c’est-à-dire ne pas boire tous les jours (maximum 5 fois par semaine) et jamais plus de deux verres par occasion.
Il faut en finir avec cette idée fausse véhiculée par le lobby des alcooliers, le vin n’est pas bon pour la santé !
Les Français consomment-ils trop d’alcool ?
Dr Jean Baptiste Méric : La consommation d’alcool en France reste trop élevée. En 2017, selon les données déclaratives du baromètre de Santé publique France, 35 % des 18-75 ans consomment 91 % de l’alcool et 24 % des Français de 18 à 75 ans ont une consommation au-dessus des repères. 10 % des Français ont une dépendance forte et consomment 58 % de l’alcool.
Les risques pour la santé sont-ils les mêmes pour les femmes que pour les hommes ?
Dr Jean Baptiste Méric : Ces risques sont proches, justifiant les mêmes repères de consommation acceptables cités précédemment. L'alcool reste aujourd'hui la deuxième cause de mortalité évitable après le tabac avec 41.000 décès attribuables par an dont 30.000 chez les hommes et 11.000 chez les femmes. Il entraîne 35.000 nouveaux cas de cancers par an (dont près de 20.000 décès), c’est-à-dire 8 % des cancers totaux. Il y en a de nombreux différents : ceux auxquels on pense (foie, estomac, œsophage) mais aussi des cancers du sein (8.500 cas par an – faisant de l’alcool la première cause évitable de cancer du sein).
Dr Isabelle Godart : À noter pour les femmes, un « sur-risque » : l’addiction à l’alcool peut être plus stigmatisée, sujette à la réprobation de la société, avec une tendance à s’éloigner des structures sanitaires et médico-sociales. Par ailleurs, les liens entre consommation problématique de substances et violences subies ou multipartenariat sexuel non protégé est plus marqué parmi les femmes. On dit habituellement qu’elles consultent 10 ans plus tard. Par ailleurs, elles présentent aussi un risque plus élevé de maladie alcoolique du foie.
L'alcool reste aujourd'hui la deuxième cause de mortalité évitable après le tabac avec 41.000 décès attribuables par an.
Certains âges de la vie rendent-ils la prise d’alcool plus “à risque” pour le consommateur ?
Dr Jean Baptiste Méric : Concernant le risque de cancer ou le risque cardiovasculaire, cela vient surtout de la chronicité de la consommation et donc de la durée de consommation. Toutefois du fait du cumul maladies et accidents, l’alcool est le premier facteur de risque de mortalité dans la tranche des 15-49 ans.
Dr Isabelle Godart : Chez les jeunes, la consommation d’alcool augmente le risque de dépendance à l’âge adulte et provoque des troubles cognitifs (binge-drinking) qui peuvent entraver les apprentissages.
Chez la femme enceinte, pour son fœtus, il y a le risque de Syndrome d’alcoolisation fœtale.
Enfin, chez la personne âgée qui a une tolérance moindre, le risque de complications est plus élevé (chutes, troubles cognitifs, interactions avec des médicaments).
Pourquoi certaines personnes développent-elles plus facilement une dépendance à l’alcool que les autres ?
Dr Isabelle Godart : Certains facteurs de risque sont bien identifiés : la consommation précoce à l’adolescence d’une ou plusieurs substances, le modèle des pairs (familial ou référents), certains traits de personnalité (recherche de sensation, faible évitement du danger, faible estime de soi, réactions émotionnelles excessives, difficultés relationnelles), des problèmes psychiatriques (TDAH, dépression, anxiété, troubles du comportement alimentaire) ou encore la recherche thérapeutique du produit.
Comment repérer une addiction ?
Dr Isabelle Godart : On peut s’aider de certains questionnaires (AUDIT ou FACE), ou se retrouver dans la liste des critères d’une dépendance à l’alcool du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, et des troubles psychiatriques (DSM-5-TR code 303.90*).
Dry January : 71 % des participants déclarent avoir un sommeil de meilleure qualité au bout d’un mois
Consommer beaucoup d’alcool le week-end et faire une “cure” la semaine permet-il de contre-carrer les effets délétères de la boisson ?
Dr Jean Baptiste Méric : Ce n’est pas à recommander, à la fois parce que cela augmente les risques de maladies dues à l’alcool à long terme mais aussi, de façon plus immédiate, les accidents et comportements à risque liés aux alcoolisations excessives (accidentologie routière, comportements violents, relations sexuelles non désirées, etc). Une consommation plus régulière pourrait être préférable, si l’on reste dans les repères.
Le dry january a de plus en plus la côte, surtout auprès des jeunes générations, mais arrêter de boire de l’alcool uniquement pendant un mois apporte-t-il de réels bienfaits à l’organisme ?
Dr Jean Baptiste Méric : On estime que 4,5 millions de personnes pratiquent le Dry January. Des résultats sont visibles dès ce premier mois, ce qui peut encourager les personnes à changer durablement leur comportement et à faire revenir leur consommation d’alcool dans les repères acceptables de deux verres par occasion, avec des jours sans consommation.
Ainsi, parmi les participants, 71 % déclarent avoir un sommeil de meilleure qualité au bout d’un mois, 67 % affirment avoir plus d’énergie, 58 % disent avoir perdu du poids et 57 % d’entre eux constatent une qualité de peau améliorée. Enfin, on peut aussi ressentir une meilleure concentration.
*DSM-5-TR code 303.90 :
“Mode d’utilisation inadapté d’une substance (ici l’alcool) conduisant à une altération du fonctionnement ou une souffrance, cliniquement significative, caractérisé par la présence de 3 (ou +) des manifestations suivantes, à un moment quelconque d’une période continue de 12 mois :
- La substance est souvent prise en quantité plus importante ou pendant une période plus prolongée que prévu.
- Il y a un désir persistant, ou des efforts infructueux, pour diminuer ou contrôler l’utilisation de la substance.
- Beaucoup de temps est passé à des activités nécessaires pour obtenir la substance (ex : déplacement sur de longues distances), à utiliser le produit, ou à récupérer de ses effets.
Craving, ou désir urgent de boire de l’alcool. - La consommation récurrente d’alcool empêche la personne de remplir des obligations importantes au travail, à l’école ou à la maison.
- L’utilisation de la substance est poursuivie bien que la personne rencontre des problèmes sociaux ou interpersonnels persistants ou récurrents, susceptibles d’avoir été causés ou exacerbés par l’alcool.
- Des activités sociales, professionnelles ou de loisirs importants sont abandonnées ou réduites à cause de l’utilisation de la substance.
- Consommation récurrente d’alcool dans des situations physiques dangereuses.
- L’utilisation de la substance est poursuivie bien que la personne sache avoir un problème psychologique ou physique persistant ou récurrent susceptible d’avoir été causé ou exacerbé par l’alcool (ex : poursuite de la prise de boissons alcoolisées bien que le sujet reconnaisse l’aggravation d’un ulcère du fait de la consommation d’alcool).
- Tolérance, définie par l’un des symptômes suivants : Besoin de quantités notablement plus fortes de la substance pour obtenir une intoxication ou l’effet désiré ; Effet notablement diminué en cas d’utilisation continue d’une même quantité d’alcool.
- Sevrage, caractérisé par l’une ou l’autre des manifestations suivantes :
- Syndrome de sevrage caractéristique de la substance (cf critères A et B du Sevrage ci-dessus)
- La même substance (ou une substance très proche, comme de la benzodiazepine) est prise pour soulager ou éviter des symptômes de sevrage.