Pourquoi Docteur : Dr Brauge, avant tout, pouvez-vous nous expliquer ce qu'est une commotion cérébrale et quels sont les mécanismes biologiques qui entrent en jeu lors d’un choc à la tête dans un combat de MMA ?
Dr David Brauge : La commotion cérébrale appartient à la catégorie des traumatismes crâniens dits légers c’est-à-dire qu’il n’existe pas de trouble de la conscience permanent sévère après l’impact. Il s’agit donc d’un traumatisme du cerveau qui va occasionner un dysfonctionnement transitoire responsable de symptômes variables visibles au moment de l’impact : perte de connaissance (KO), trouble de l’équilibre, dissolution du tonus musculaire, confusion, etc. Parfois ces symptômes sont très fugaces mais, même dans cette situation, ils témoignent que le cerveau a été touché par l’onde de choc. L’ensemble des anomalies biochimiques et métaboliques induites par ce traumatisme va alors mettre plusieurs jours à se corriger ce qui explique des symptômes encore présents plusieurs jours après la survenue de la commotion. Cette phase durant laquelle le cerveau du combattant récupère est une phase de vulnérabilité où il ne doit absolument pas se ré-exposer au contact.
Lorsqu’un combattant reçoit un coup qui le met KO ou le fait tomber au sol, quelles sont les premières réactions dans son cerveau ? Est-ce qu’il subit un traumatisme immédiat ?
Juste après l’impact on a une dépolarisation massive d’une grande population de neurones. Ceci entraine alors une chute drastique des molécules d’énergie dans le cerveau (l’ATP) qui vont mettre du temps à se reconstituer. Ceci explique d’ailleurs que le combattant soit épuisé après une commotion cérébrale. On note par ailleurs l’initiation d’une inflammation et possiblement une désorganisation des réseaux de neurone.
Plus un athlète a fait de commotions dans sa carrière, plus il est à risque d’en faire.
Pourquoi certaines personnes sont-elles KO après un coup alors que d'autres non, même après un impact similaire ? Existe-t-il des facteurs individuels qui influencent la gravité de la commotion ?
Effectivement, plusieurs facteurs individuels entrent en jeu. Avant de rentrer dans l’octogone il existe des facteurs propre à l’athlète : plus un athlète a fait de commotions dans sa carrière, plus il est à risque d’en faire. Le nombre à partir duquel une vulnérabilité s’installe n’est cependant pas clairement défini et il semble que ceci puisse varier d’un athlète à l’autre. Il est cependant certain que la survenue d’une commotion dans les semaines précédentes est un facteur de risque majeur. Il existe ensuite des éléments plutôt anatomiques, en particulier liés à la musculature du cou et des épaules. Les antécédents de dyslexie et de trouble hyperactif avec déficit de l’attention semblent également un facteur de risque. Enfin, une fois dans l’octogone il est clair qu’un style offensif est plus à risque pour le combattant que celui qui évolue dans un registre très défensif. Le protège-dents est un facteur protecteur. Il est d’ailleurs obligatoire dans les combats organisés par l’UFC.
Lorsqu’un combattant tombe au sol après un coup, que se passe-t-il au niveau du cerveau pendant la chute et après l'impact avec le sol ?
Comme indiqué précédemment, l’impact provoque une dépolarisation massive avec libération de glutamate. L’ensemble des anomalies biochimiques induites par cet impact vont alors se corriger dans un délai variable de quelques minutes à quelques jours (parfois même beaucoup plus). Si pendant cette période de récupération un second impact est reçu par le combattant, la période de récupération va considérablement s’allonger. Ceci explique entre autre pourquoi l’arbitre va immédiatement stopper le combat si le combattant s’effondre KO à l’impact.
Vous avez mentionné l'importance de l'équipement, notamment des protège-dents. Pouvez-vous expliquer pourquoi même un coup dans la mâchoire peut avoir un impact direct sur le cerveau ?
Dr David Brauge : L’explication n’est pas bien claire. Deux mécanismes principaux sont évoqués : d’une part le protège-dents aurait un effet d’atténuation lors de la transmission de l’onde de choc secondaire à un impact au niveau de la mâchoire ou du visage. D’autre part, des travaux réalisés à l’Université de Bordeaux suggèrent que la contraction sur un protège-dents s’accompagne d’une contracture des muscles du cou ce qui limiterait le déplacement de la tête en cas d’impact.
La répétition des chocs au niveau de la tête augmente de manière significative le risque de développer des lésions cérébrales chroniques.
Le processus de récupération après une commotion cérébrale dans le cadre du MMA est-il bien défini ? Combien de temps faut-il généralement pour qu’un combattant soit « prêt » à reprendre le combat après avoir subi un KO ?
Sur le plan médical les choses sont simples chez un combattant qui a été victime de KO : tant que le combattant ressent des symptômes (maux de tête, trouble de concentration, vertige, problème de sommeil etc…) il ne peut pas reprendre le contact. Son cerveau est en effet encore en phase de récupération. Il est ainsi souvent demandé que le combattant soit vu par un spécialiste pour attester de la complète récupération des troubles. Même s’il va très bien il existe des durées minimum d’arrêt qui peuvent varier selon les organisations (de 30 à 90 jours le plus souvent)
La répétition des KO dans la carrière d'un combattant peut-elle entraîner des conséquences à long terme, comme des lésions cérébrales chroniques ?
Oui, la répétition des chocs au niveau de la tête augmente de manière significative le risque de développer des lésions cérébrales chroniques, comme l’Encéphalopathie Chronique Traumatique (ECT). Des études menées sur des athlètes professionnels, notamment dans le football américain, le rugby, le football européen et la boxe, ont montré que des chocs accumulés au cours d’une carrière augmentaient probablement le risque de troubles neurodégénératifs à long terme. Même sans perte de conscience à chaque coup, la répétition des impacts peut entraîner des dégâts cumulés au niveau du cerveau, provoquant des troubles cognitifs, de l'humeur, et de la mémoire.
MMA : "Les tests cognitifs et neurologiques avant et après chaque combat sont primordiaux"
Quelles mesures de sécurité peuvent être prises pour réduire les risques de commotion cérébrale chez les combattants ?
La première mesure est la prévention. La formation des combattants à bien encaisser les coups et à améliorer leur technique d’auto-défense est essentielle. Ensuite, il est crucial de mettre en place des protocoles médicaux stricts pour évaluer la gravité de chaque choc, et surtout interdire la reprise des combats avant que les combattants ne soient totalement rétablis. Les tests cognitifs et neurologiques avant et après chaque combat sont primordiaux. Il faudrait aussi limiter la fréquence des combats et imposer des périodes de récupération suffisantes pour éviter la répétition trop rapide des chocs. Bien évidemment il est crucial que les médecins et autres professionnels de santé qui sont amenés à intervenir auprès de ces athlètes soient formés à la reconnaissance et la gestion de ces problèmes de santé.
Existe-t-il des tests ou des protocoles médicaux qui permettent de détecter une commotion cérébrale après un KO ?
En cas de KO (perte de connaissance), le diagnostic de commotion cérébral est aisé. Cependant la majorité des commotions cérébrales n’entrainent pas forcément de KO. Dans cette situation, si le professionnel de santé a un doute, il existe une batterie de tests validés pour l’aider au diagnostic. Il s’agit du test SCAT (Sport Concussion Assessment Tool). Le scanner cérébral sera lui réalisé en urgence si l’on suspecte une lésion plus grave avec saignement intra-crânien.
Les recherches sur les commotions cérébrales et leurs effets sont-elles suffisantes dans le domaine du MMA ? Que pourrait-on améliorer ?
Les recherches progressent, mais il reste encore beaucoup à faire, notamment en ce qui concerne l’impact cumulatif des commotions. Il est essentiel d’approfondir les études épidémiologiques sur les combattants de MMA pour mieux comprendre les risques à long terme. Par ailleurs, le développement de nouveaux équipements de protection et l’amélioration des protocoles médicaux seraient des avancées importantes. Les recherches se concentrent également sur les traitements et la réhabilitation des combattants qui ont subi des lésions cérébrales.