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L'interview du week-end

« L’isolement est une souffrance complexe à détecter car, par définition, ce sont des gens que l’on ne voit pas »

L’isolement social et la solitude des personnes âgées est un important facteur de risque de mortalité précoce, rappelle une porte-parole de l’association Petits Frères des Pauvres.

« L’isolement est une souffrance complexe à détecter car, par définition, ce sont des gens que l’on ne voit pas » Dmitry Berkut / istock




Meryl Le Breton, du Pôle plaidoyer et relations presse des Petits Frères des Pauvres, est chargée de mettre en avant les actions de l’association auprès des médias et du grand public. Depuis sa création en 1946, l’association a pour objectif de lutter contre l’isolement et la solitude des personnes âgées, véritable enjeu de santé publique : bénévolat, maisons de vacances, événements pour les fêtes de Noël...

Pourquoi Docteur : Comment définir la solitude et l’isolement social ?

Meryl Le Breton : Ce sont deux notions complètement différentes. La solitude est un sentiment : on peut être physiquement entouré de nombreuses personnes (famille, amis, collègues...) mais néanmoins se sentir personnellement seul au quotidien. L’isolement, lui, est chiffré : on est isolé si l’on a peu ou pas de personnes auxquelles parler dans la journée. D’après le plaidoyer des Petits Frères des Pauvres paru en 2021, on estime qu’aujourd’hui en France, deux millions de personnes âgées sont isolées (des deux cercles principaux, famille et amis) et 530.000 personnes âgées sont même en situation de mort sociale, définie par le fait de ne plus avoir du tout de contact avec quatre réseaux (familial, amical, de voisinage et associatif). A titre de comparaison, elles étaient respectivement 900.000 et 300.000 en 2017.

Le veuvage est le premier critère d’isolement : une fois que le conjoint part, beaucoup de personnes âgées se retrouvent isolées.

Comment expliquer cette aggravation de la situation ?

Il y a deux causes principales. D’abord, la crise sanitaire du Covid-19 à partir de 2020 a isolé encore davantage les personnes âgées, mais pas seulement – les jeunes ont beaucoup été touchés. L’autre raison est d’ordre démographique : il y a de plus en plus de seniors et de moins en moins de jeunes, donc de fait, plus de chances que les personnes âgées se retrouvent isolées.

Quel est le profil-type d’une personne âgée souffrant d’isolement ?

C’est une femme seule de 85 ans, souvent en situation de précarité. Le veuvage est le premier critère d’isolement : une fois que leur conjoint part, beaucoup de femmes se retrouvent isolées. Et il suffit que le conjoint soit celui qui entretenait les relations sociales pour que vous perdiez tout une fois qu’il décède.

Au moment du premier confinement, on a beaucoup parlé du "syndrome de glissement" : beaucoup de personnes âgées ont, par lassitude ou désespoir, tout simplement arrêté de s’alimenter, de s’hydrater, de se soigner...

Quels sont les liens entre précarité et isolement chez les personnes âgées ?

Quand vous avez des problèmes de santé, comme beaucoup de seniors, mais que vous manquez de moyens, vous vous soignez moins, vous avez donc plus de chances d’être en perte d’autonomie. Or, qui dit perdre son autonomie dit rester chez soi et ne plus avoir de lien avec le monde extérieur. La précarité induit également moins d’activités sociales : vous n’allez plus au cinéma ni au restaurant avec vos amis, vous résiliez votre abonnement au club de pétanque ou de lecture... Le manque de moyens limite les occasions de préserver des liens ou d’en créer de nouveaux.

L’isolement affecte la santé physique et mentale, le risque de dépression... N’est-ce que lié au manque de liens sociaux ?

Il y a aussi la vieillesse, bien sûr, qui apporte son lot de problèmes de santé, mais l’isolement aggrave la situation : moins vous êtes autonome, moins vous sortez et moins vous avez envie de sortir, plus vous empirez vos problèmes de santé... Au moment du premier confinement en 2020, on a beaucoup parlé du "syndrome de glissement" : dans un contexte où on ne pouvait plus voir personne, beaucoup de personnes âgées ont, par lassitude ou désespoir, tout simplement arrêté de s’alimenter, de s’hydrater, de se soigner... Et certaines ont glissé lentement vers la mort. L’isolement a donc des conséquences dramatiques sur la santé. C’est un important facteur de risque de mortalité précoce. Quand on entend les témoignages de personnes qui étaient isolées, qui pensaient terminer leur vie seules et qui, grâce à l’association et au bénévolat, renouent du lien social, ils disent avoir retrouvé une véritable famille. Et finalement un peu de sens à leur vie, ce qui est bon pour la santé.

A l’inverse d’une personne à la rue, qui souvent est "visible", vous pouvez ne jamais croiser une personne isolée qui vit dans votre immeuble.

Comment repérer et prévenir l’isolement des personnes âgées ?

L’isolement est une souffrance complexe à détecter car, par définition, ce sont des gens que l’on ne voit pas, qui sont isolés du reste du monde. A l’inverse d’une personne à la rue, qui souvent est "visible", vous pouvez ne jamais croiser une personne isolée qui vit dans votre immeuble. Ajoutez à cela que ce sont des gens qui, parfois, ont honte et ne veulent pas être aidés, considérant souvent qu’il y a pire que leur situation. Ce sont en réalité des gens qui se plaignent peu. C’est rare qu’ils se signalent eux-mêmes : ce sont plutôt des proches, le voisinage, le médecin, les commerces ou la mairie. Pour repérer une personne isolée, essayez de remarquer si un voisin sort de moins en moins, reçoit peu de visites, que vous ne l’avez pas croisé depuis longtemps...

Comment, à son échelle, aider les personnes isolées ?

Chacun peut agir à son échelle, sans forcément devenir bénévole. Les Petits Frères des Pauvres ont créé le kit "Chasseur de solitude", qui donne des "billes" pour aider les citoyens à créer du lien avec des personnes isolées. Il comprend un jeu de cartes avec des questions du type "Quel est votre plus beau souvenir de vacances" ou "quel est votre plat préféré" (peu importe la question, à vrai dire, l’idée est d’engager des discussions), une carte postale à glisser dans une boîte aux lettres (pour proposer à la personne de lui faire des courses par exemple), une affiche à déposer chez un commerçant pour vous faire connaître...
C’est un kit pratique qui facilite la rencontre, sachant que les personnes âgées sont souvent la cible d’arnaques, et donc un peu suspicieuses au premier abord. Il y a de nombreuses manières détournées d’entrer en contact, ne serait-ce que demander du sel ou des œufs à une voisine que vous savez seule. Vous sentirez très vite si la personne a besoin de parler, d’échanger, bref d’être moins seule.

Etre stigmatisé [par la société et les gens] en tant que personne âgée peut, de fait, vous pousser à vous isoler.

Quels sont les sentiments exprimés par les personnes seules ? de colère vis-à-vis de leurs proches, de honte, de déception vis-à-vis d’une société qui les oublie un peu ?

La plupart des personnes âgées que Les Petits Frères des Pauvres accompagnent n’ont plus de proches du tout. Elles n’en veulent à personne, elles savent que tout le monde travaille et a sa vie. Personne n’est insensible à la cause de l’isolement des personnes âgées. C’est vraiment le rythme de la vie qui fait ça. Il n’y a pas de ressentiment, chacun a son histoire. Certains se plaignent toutefois de la manière dont la société dans son ensemble traite les personnes âgées. Par exemple, le manque de transports en commun ou de bancs pour s’asseoir, la fermeture de commerces de proximité, ou encore l’âgisme : certains se sentent infantilisés par les agissements ou les regards de certains. Or, être stigmatisé en tant que personne âgée peut, de fait, vous pousser à vous isoler.

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