“Quand je me suis présentée à la maternité pour accoucher, la sage-femme a posé le monitoring mais elle ne trouvait pas le cœur. Elle a donc appelé la gynécologue pour faire une échographie… qui a pris beaucoup de temps ! Étant dans le milieu médical, cela m’a tout de suite mis la puce à l’oreille”, commence la pédiatre Marie Villequier pour me raconter son histoire. “En plus, pendant cette échographie, je voyais bien que rien ne bougeait. Avec mon mari on se regardait en se tenant très fort la main… jusqu’à ce que le couperet tombe.”
Quand la gynécologue s’est tournée vers nous pour nous dire que le cœur ne battait plus, elle était très émue.
La médecin annonce au couple que leur enfant est décédé in utero. “C’était un coup de massue pour nous, mais l’annonce a été faite avec une grande douceur. Quand la gynécologue s’est tournée vers nous pour nous dire que le cœur ne battait plus, elle était très émue. La sage-femme avait également les larmes aux yeux… Quand on met la blouse, on doit avoir un recul nécessaire et mettre un filtre avec nos patients, mais on n’y arrive pas toujours. Dans ce cas-ci, le fait de voir leurs visages tristes nous a fait beaucoup de bien.”
Les parents apprendront par la suite que le décès est arrivé plusieurs heures avant que la poche des eaux ne se fissure la veille au soir de l'accouchement. “Cela faisait plusieurs jours que je la sentais moins bouger, mais mon entourage me disait que c’était normal en fin de grossesse donc je ne me suis pas plus inquiétée que cela.”
“Lors de la confirmation du décès, j’ai fait une dissociation cognitive. Je me suis mise à pleurer et j’ai eu l’impression de sortir de mon corps. C’était si violent… Pourtant j’ai accompagné de nombreuses familles dans le deuil de leur enfant, mais on n’est jamais préparé à vivre le décès de son propre enfant.”
Je voulais accoucher par voie basse pour me sentir mère une deuxième fois et me dire que j’avais donné naissance à ma fille.
Ce moment de vie à beau être aussi cruel qu’inimaginable, l’instant présent nécessite pragmatisme et rigueur de la part de l’équipe médicale : Marie doit accoucher. “La question de la césarienne a traversé la tête de mon mari, mais je voulais accoucher par voie basse pour me sentir mère une deuxième fois et me dire que j’avais donné naissance à ma fille.” Un choix fortement soutenu par les professionnels de santé car l’accouchement par voie basse est préconisé depuis de nombreuses années lorsque le bébé est décédé. En effet, les médecins se sont aperçus que la césarienne pouvait renforcer le traumatisme vécu par la maman ; l’accouchement faisant partie du processus naturel de la maternité. En outre, la césarienne peut entraîner des complications pour d’éventuelles futures grossesses (anomalies placentaires, fragilité de l’utérus).
À la naissance, le couple a souhaité passer du temps avec leur fille, Iris. “Nous avons pu prendre notre fille dans nos bras et l’embrasser. On a eu un vrai moment d’amour pendant une heure et demie avec elle. On a pu prendre l’empreinte de ses mains et de ses pieds, une mèche de ses cheveux…” L’équipe a également encouragé le couple endeuillé à prendre des photos de leur bébé. “Ils ont eu raison car quand notre fille plus âgée les a réclamées, on a pu lui montrer. Les photos sont très belles, on a juste l’impression qu’elle dort.”
On n’arrivait plus à fonctionner les premières semaines (...) Toute l’énergie qu’on avait, on la donnait à notre fille aînée.
À leur aînée qui n’avait pas encore deux ans, les parents ont annoncé la triste nouvelle avec des mots simples et concrets. “Il ne faut pas cacher les choses, ni utiliser d’allégorie. Les professionnels nous ont conseillé de lui dire clairement que sa sœur était morte, que son cœur s’était arrêté de battre. Nous avons été étonnés de voir comment elle avait reçu la chose et exprimé sa tristesse à seulement 20 mois. Elle a été incroyable et par la suite, elle était en mesure d’entendre que nous n’étions pas en forme certains jours car nous étions tristes nous aussi.”
Continuer de vivre, sans Iris, a été particulièrement difficile pour la famille, qui a tout de même réussi à garder le cap. “On n’arrivait plus à fonctionner les premières semaines, donc ma mère est venue nous aider. Toute l’énergie qu’on avait, on la donnait à notre fille aînée. Il n’était pas possible qu’on se laisse couler alors qu’elle était là.”
Pour se relever et se reconstruire, Marie suit une psychothérapie et échange beaucoup avec une association de parents endeuillés. “J’ai été très soutenue par mon mari, mes amis et la famille.” Le ventre noué par la culpabilité, l’écriture a également beaucoup aidé l’ancienne onco-pédiatre à panser ses plaies. “Très rapidement, j’ai eu besoin de poser les mots sur ce qu’il s’était passé les 24 à 36 heures avant l’accouchement et jusqu’à l’enterrement de notre fille. Même si les soignants nous expliquent que ce n’est pas notre faute, j’ai ressenti une grosse culpabilité. On se dit qu’on a peut-être mal fait quelque chose, plein d’éléments nous reviennent en tête…” Les résultats de l’autopsie d’Iris ne révèlent aucune malformation, ou infection et la grossesse de Marie s’était très bien passée. Personne ne sait pourquoi ce bébé est décédé, comme c’est le cas dans un tiers des cas de décès in utero. La maman n’aurait rien pu faire pour sauver son enfant. “Il faut apprendre à lâcher prise pour accepter que ce deuil restera sans réponse.”
Cette écriture -presque thérapeutique- relance l’envie passée de Marie de rédiger un roman. “J’ai toujours eu le rêve d’écrire un roman, mais ayant commencé des études de médecines j’ai laissé tombé. Finalement, comme je n’étais pas du tout en mesure de reprendre le travail dans mon service d’onco-pédiatrie après mon congé maternité, j’ai décidé de m’inscrire à une formation d’écriture créative sur internet.” De cette formation, sortira le roman Et nos routes toujours se croisent, publié aux éditions de la Rémanence. À travers ce livre émouvant et empreint d’une grande humanité, c’est un très bel hommage rendu à son ancien service. “Inconsciemment, je pense avoir voulu laisser une trace, rendre hommage à ce que j’avais vécu dans ce service aux côtés de ces patients et de mes collègues… Une manière pour moi de leur dire au revoir.”
Nous avons beaucoup discuté avec mon mari (...) Parfois c’était moi qui étais au fond du trou, parfois c’était lui…
Aujourd’hui, Marie exerce son métier de pédiatre dans un centre médico-social et continue l’écriture. “J’ai terminé mon second roman, mais il faut encore attendre pour une publication prochaine.”
Et comment le couple arrive-t-il à traverser cette tempête ? “Nous avons beaucoup discuté avec mon mari, qui est pourtant d’un naturel très taiseux. On ne vivait pas les choses de la même manière ou au même rythme. Parfois c’était moi qui étais au fond du trou, parfois c’était lui… Le fait de verbaliser tout cela, de ne pas se cacher pour pleurer et d’accepter que l’autre n’est pas en phase avec nous-mêmes, nous a beaucoup aidés.”
Le couple a également eu un garçon, né 16 mois après Iris. “La gynécologue qui m’a accouchée pour pour mon fils est la même que celle qui m’a accouchée pour ma fille cadette. Elle était de garde cette nuit-là et quand elle est entrée dans la chambre, elle ne savait pas comment réagir. C’était une surprise pour elle, comme pour moi. Je lui ai pris la main pour lui dire que j’étais contente que ce soit elle et cela lui a fait beaucoup de bien. Finalement, cet accouchement a été un moment incroyable : quand mon fils est né et a poussé son cri, la gynécologue et l’auxiliaire de vie étaient en larmes, nous étions en communion avec les soignantes, c’était un moment très fort en émotion”, sourit Marie.
Si quatre ans après cette perte, il n’y a pas une journée qui passe sans que Marie ne pense à sa fille cadette, elle tente d’y puiser une nouvelle force. “Il y a un avant et un après. J’avais l’impression d’être sur une petite route bien tracée et, pouf, crash automobile ! On est accidenté, on voit les autres continuer sur leur ligne droite et on reprend sur une route cabossée… Finalement, ce chemin est beau aussi car on va plus lentement, on se pose plus de questions et on se réaligne avec les choses importantes dans la vie.”