Décrypter la parole humaine est un véritable exploit quotidien pour notre cerveau. Mais comment parvient-il à extraire du sens à partir du flot continu de sons que constitue la parole ? Une équipe de l’Inserm et d’Aix-Marseille Université, en collaboration avec l’université britannique de Cambridge, a récemment répondu à cette question en mettant en évidence deux rythmes clés que le cerveau utilise simultanément : celui des syllabes et celui des phonèmes. Leurs travaux ont été publiés dans la revue Science Advances.
Un puzzle à deux rythmes
Imaginez que la parole ressemble à un puzzle. Les syllabes, comme "ma" dans "maman", constituent les grandes pièces, alors que les phonèmes – ces sons individuels tels que "m" ou "a" – en sont les plus petites. Les syllabes, produites à un rythme lent, sont perçues grâce aux variations d’amplitude sonore, tandis que les phonèmes, beaucoup plus rapides, se manifestent par des changements abrupts dans le contenu spectral des sons. Le cerveau décode ces deux éléments en simultané pour reconstruire le sens des phrases et comprendre la parole.
Pour explorer ces mécanismes, l’équipe de Benjamin Morillon, directeur de recherche à l’Inserm, a analysé l’activité cérébrale de onze participants équipés d’électrodes intracrâniennes. Ces sujets ont écouté 315 phrases en français, diffusées à différentes vitesses et contenant un nombre fixe de mots, mais des nombres variés de syllabes et de phonèmes. Les résultats sont clairs : le cortex auditif (une région du cerveau chargée de traiter les sons) suit simultanément les rythmes lents des syllabes et les rythmes rapides des phonèmes pour segmenter le signal continu de parole.
Un mécanisme universel chez les humains
Fait important, en étudiant 17 langues différentes, les chercheurs ont constaté que ces rythmes sont présents dans toutes les langues. "Cette universalité suggère l’existence d’un mécanisme biologique de production et de perception de la parole commun à tous les humains", affirme Benjamin Morillon dans un communiqué. Cette découverte confirme que le traitement de la parole repose sur des principes fondamentaux partagés par l’humanité.
"Ces découvertes ouvrent de nouvelles perspectives dans la compréhension des troubles du langage, comme la dyslexie, précise le chercheur. Un déficit dans la capacité du cerveau à suivre ces deux rythmes pourrait, par exemple, expliquer certaines difficultés de compréhension orale." Ces avancées pourraient un jour permettre d’améliorer le diagnostic et les interventions thérapeutiques pour les personnes touchées par ces troubles.