Gautier est atteint de paralysie cérébrale. Ce handicap, lié à des lésions qui se produisent dans un cerveau en développement, est survenu - comme dans 80 % des cas - à sa naissance. Ce jeune homme de 29 ans est bien décidé aujourd’hui à prouver que "le handicap n’est ni un frein, ni un problème". C’est pourquoi il s’est impliqué dans le monde associatif très tôt, et surtout, est devenu expert d’usages, une formation diplômante portée par la Fédération Paralysie Cérébrale France.
Paralysie cérébrale : "J’ai essayé de trouver ma place en tant que citoyen"
Très tôt, Gautier a été pris en charge dans le système médico-social. Il a été accompagné en établissement spécialisé dès l’âge de 3 ans et a pu bénéficier d’une scolarité partagée. Il a ainsi été l’un des premiers élèves en France à avoir eu une aide scolaire en classe, dispositif aujourd'hui connu sous le nom d’accompagnant d’élèves en situation de handicap (AESH).
"Grâce à l’établissement et toutes mes rééducations dans ce centre, j’ai pu m’émanciper, partir du centre et aller en étude supérieure. J’ai fait un bac professionnel métiers de la relation client et ensuite un BTS sanitaire et social", explique le jeune homme. Comme tout jeune diplômé, Gautier a ensuite cherché à rentrer dans le monde actif.
"J’ai essayé de trouver ma place en tant que citoyen en cherchant à travailler comme tout un chacun. Mais cela a vraiment été compliqué d’allier handicap, soins et travail. J’ai cherché pendant 2 ou 3 ans quoi faire."
La réponse est apparue il y a environ 5 ans via un appel téléphonique de l’ancien directeur de l’Institut d'Éducation Motrice (IEM) qu’il fréquentait enfant. "Il m’a dit : on cherche des gens pour faire du bénévolat pour l’association. J’ai dit pourquoi pas. J’ai ainsi commencé à apporter mon témoignage. Puis, j’ai intégré le conseil d’administration de l’Association d'Aide aux Infirmes Moteurs Cérébraux du Nord-Est (AAIMCNE). Cela me permet d’avoir la double vision : celle de la personne accompagnée et l'autre de la représentation associative. C’est d’autant plus plaisant que je me sens utile", explique Gautier.
Ce chemin engagé l’a conduit jusqu’à l’Académie des experts d’usages.
Expert d'usages : "L’objectif est d’apporter notre expérience de vie aux futurs professionnels"
Tout a commencé il y a près de trois ans. L’idée de l’Académie des experts d’usages est de reconnaître les personnes en situation de handicap comme des “experts de leur quotidien” et de les former afin qu’ils deviennent des intervenants pouvant transmettre ce savoir.
"L’objectif est d’apporter notre expérience de vie sur ce que nous avons vécu et ce dont nous avons besoin aux futurs professionnels lors de rencontres organisées dans les centres de formation des métiers du soin et de l’accompagnement", explique Gautier. "Nous sommes formés sur un tronc commun : comment j’interviens, comment je me présente, comment je structure mon intervention, comment je la conclus… Mais nos interventions peuvent être sur toutes les thématiques de la vie : le sport, le travail, la vie affective, la bureautique adaptée, l’accessibilité, les préjugés sur le handicap.... Chaque expert d’usages définit ses thèmes de prédilection."
Cette formation diplômante a duré deux ans et demi. Le programme a été adapté au rythme des participants, à leur fatigabilité et à leurs différentes difficultés. Il y a en effet des profils très divers : des personnes en situation de handicap en foyer de vie médicalisé ainsi que des résidents de maisons d'accueil spécialisées, soit des personnes avec des handicaps plus complexes.
"L’académie est vraiment devenue une deuxième famille. On peut s’appuyer les uns sur les autres", explique Gautier. L’un des principaux points qu’il a travaillés avec leurs aides ainsi que celles de ses deux formatrices est la confiance en soi.
"Ce qui est vraiment compliqué pour moi - même si je commence à le surmonter - était la peur de ne pas être légitime de parler de la paralysie cérébrale et du milieu médico-social. La formation et l’académie m’ont appris à dépasser ce sentiment. Je suis beaucoup plus en confiance maintenant."
Un guide réunissant la dizaine d’experts d’usage formés lors de cette première promotion a été réalisé et envoyé dans les centres de formation de France. Il présente les différents intervenants et leurs thématiques de prédilection. "Nous sommes désormais acteurs, et non plus passifs. Maintenant, c’est nous qui allons vers les autres en disant : "nous voulons aborder ces thématiques. Est-ce que cela vous intéresse ?" Cela change complètement le paradigme."
Gautier a déjà réalisé plusieurs interventions notamment à la faculté de médecine de Reims. "Quand après avoir parlé face à 250 étudiants, une dizaine viennent vous voir pour dire 'le handicap ce n’est pas si terrible', c’est vraiment génial", confie le jeune homme.
L’idée de ces rencontres est également d’attirer les jeunes vers des métiers qui peinent à recruter. "Je pense que nous sommes de formidables ambassadeurs pour promouvoir les métiers du soin et de l’aide à la personne. On montre comment ça fonctionne et de qui on a besoin. On fait ça pour dédiaboliser le handicap auprès des élèves."
Handicap : "La théorie c'est bien, mais il y a un moment où il faut être terre-à-terre"
Pour Gautier qui a été plusieurs fois confronté à des professionnels de santé ne connaissant le handicap que de manière très académique, c’est une victoire. "La théorie, c'est bien - je ne le nie pas - mais il y a un moment où il faut être terre-à-terre. Si le cabinet du médecin n’est pas accessible ou qu’il ne sait pas ouvrir le fauteuil pour déplacer le patient, ça va poser problème. La théorie ne fait pas tout."
"Il y a un vrai problème d’accessibilité. Les cabinets, les centres d’imagerie ne sont pas toujours adaptés. En France, on parle des déserts médicaux mais pour les personnes en situation de handicap, c’est la double peine, car dans ces déserts médicaux il y a comme une deuxième couche de déserts médicaux pour nous."
Et les difficultés ne se résument pas à l’accessibilité. "Quand j’ai dû faire le dossier MDPH, mon médecin traitant ne savait pas le remplir. C’est moi le patient qui ait dû lui expliquer quoi mettre. J’ai personnellement la capacité de pouvoir le faire, mais certaines personnes handicapées ne peuvent pas. Il faut que cela change."
En allant à la rencontre des futurs professionnels de santé, les experts d’usages comme Gautier espèrent parvenir à faire ouvrir les yeux sur leurs besoins et leurs particularités. Et si pour le moment, ils se concentrent sur le monde médico-social, ils ont pour ambition d’étendre leur champ d’action et approcher d’autres univers comme l’entreprise, le sport, les loisirs, les établissements scolaires, les auto-écoles, les transports… L’ensemble de la société en somme.
"J’adorerais qu’expert d’usages soit mon métier"
"J’adorerais qu’expert d’usages soit mon métier. C’est vraiment enrichissant. Il y a plein de choses à faire", confie Gautier. Mais les statuts actuels de l’allocation adulte handicapé rendent ce rêve compliqué, voire impossible.
"J’ai travaillé deux ou trois fois, j’ai été rémunéré 90 euros par intervention et j’ai perdu l'intégralité de mon allocation sur le mois. Et les mois suivants, il faut faire les demandes de rattrapage. C’est très chronophage."
"Pour que cela soit viable, il faudrait que j’aie un carnet d’adresses ultra rempli et que je sois sollicité régulièrement. Mais je ne pense pas pouvoir tenir une telle cadence avec tous mes soucis de santé."
En effet, les personnes atteintes de paralysie cérébrale ont un niveau de fatigabilité important. Il est très compliqué pour elles d’avoir une activité professionnelle à plein temps. La Fédération Paralysie Cérébrale France a estimé que les diplômés, compte tenu de leur santé fragilisée, pouvaient travailler un maximum de 30 jours par an. L’organisme travaille ainsi avec les autorités et acteurs concernés pour tenter de dépoussiérer le statut. L’une de ses propositions est la création d’une “franchise de jours travaillés”. Cela permettrait aux intervenants experts d’usages d’être rémunérés pour le travail effectué, sans crainte de perdre leur allocation.
Dans son argumentaire, la fédération met en avant que les intervenants experts d’usages se sont engagés dans un cycle de formation "créateur de valeur pour l’ensemble de la société, notamment pour la qualité de l’accompagnement en France" et qu’il est logique que leurs investissements "fassent l’objet d’une juste rémunération intégrant les temps de préparation et d’intervention ainsi que les coûts associés."
"Ce qui me désole - d’autant plus pour la société - c’est qu’avec les statuts actuels, beaucoup de compétences et de valeurs ne sont pas mises en avant, et même perdues. D’autant plus que les personnes que j’ai rencontrées lors de mes interventions, m’ont dit qu’ils avaient énormément appris", déplore Gautier. Toutefois, il reste optimiste. "Ça avance - bien sûr certains diront que ça ne va pas assez vite, mais ça avance."
"Le handicap n’est pas une tare. Quand on ne verra plus le handicap comme un problème, mais comme une solution, on avancera. En effet, les problématiques que les personnes handicapées rencontrent - comme par exemple l’accessibilité des transports ou des lieux - sont valables aussi pour beaucoup de monde. Si les gens comprennent ça, on changera le regard sur le handicap."