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Dépendance

Alcool : quel est son lien avec la dépression, selon la science ?

Par Sophie Raffin

Une nouvelle étude révèle que les alcooliques souffrant de dépression ressentent le même plaisir en buvant que les non-dépressifs. Cela contredit la croyance selon laquelle il diminue avec la dépendance.

Andrii Medvediuk/istock
Une nouvelle étude révèle que les gros buveurs souffrant de dépression ressentent le même plaisir lorsqu'ils sont ivres que les autres.
Cela contredit la croyance selon laquelle le plaisir que les personnes tirent de l'alcool diminue en cas de dépendance.
Ces travaux peuvent aider à repenser les approches thérapeutiques et la prise en charge de l’alcoolisme.

"Nous avons cette idée reçue selon laquelle les gens boivent excessivement lorsqu’ils se sentent déprimés et qu’il s’agit en réalité d’automédication", remarque Dr Andrea King, professeure de psychiatrie et de neurosciences comportementales à l’université de Chicago. Mais ses derniers travaux, publiés dans la revue American Journal of Psychiatry, montrent qu’elle serait fausse.

Les personnes souffrant d’alcoolisme et de dépression ressentent des niveaux aussi élevés de stimulation et de plaisir lorsqu'elles sont ivres que les buveurs non dépressifs. Un point important à prendre en compte lors de la prise en charge des patients dépendant à l’alcool, selon la scientifique.

Alcool : les personnes dépressives ressentent aussi du plaisir en buvant

Pour cette étude, la chercheuse et son équipe ont suivi 232 personnes âgées de 21 à 35 ans vivant aux USA. La moitié d’entre eux présentaient des troubles liés à la consommation d'alcool. Les participants étaient aussi départagés selon s’ils avaient ou non souffert d'un trouble dépressif majeur au cours de l'année écoulée. "Les personnes qui avaient des idées suicidaires ont été exclues pour des raisons de sécurité, de même que celles qui présentaient de graves symptômes de sevrage alcoolique", précisent les auteurs dans leur communiqué.

Les volontaires ont répondu à des questions toutes les demi-heures pendant trois heures, via leur smartphone, tandis qu’ils consommaient de l’alcool. Ils ont refait de même à un moment où ils ne buvaient pas. Les données recueillies montrent que la consommation d’alcool diminuait les sentiments négatifs, bien que cette réduction soit faible et non spécifique au trouble de l’humeur. De plus, les “effets positifs de l’alcool” - comme la sensation de plaisir - étaient beaucoup plus élevés chez les personnes atteintes de dépression que chez celles qui n’en souffraient pas. Constat supplémentaire et surprenant pour les chercheurs : les volontaires dépressifs ET alcooliques présentaient le même niveau de stimulation positive que ceux qui avaient "seulement" des problèmes avec la boisson.

Traitement de l’alcoolisme : se concentrer davantage sur les voies de récompense

Ces résultats remettent en question la théorie dominante selon laquelle la dépendance à l'alcool résulte d’une tentative du cerveau de maintenir sa stabilité face à une consommation excessive, et conduirait les gens à ne plus boire pour le plaisir, mais pour éviter le manque et le stress.

"En tant que professionnels de santé, on nous dit que les personnes atteintes de trouble de l’usage de l’alcool boivent pour se soigner et se sentir mieux. Mais que ressentent-elles exactement ? D’après notre étude, il semble qu’elles ressentent des niveaux élevés de stimulation et d’effets agréables, avec une légère diminution des états négatifs", conclut l’auteure principale, Pr Andrea King.

Pour les chercheurs, leurs travaux devraient conduire à repenser les approches thérapeutiques et la prise en charge de l’alcoolisme. Il serait intéressant, selon eux, de se pencher sur les médicaments et les approches comportementales se concentrant davantage sur les voies de récompense et du plaisir de l'alcool et moins sur les systèmes liés au stress.

"Actuellement, l’accent du traitement est souvent mis sur la résolution du stress et des symptômes de la dépression, mais cela ne s’attaque qu’à un seul côté de la médaille si nous ne nous attaquons pas également à la stimulation accrue, au goût et au désir de consommer plus d’alcool qui se produisent chez les personnes déprimées et non déprimées atteintes d’alcoolisme", assure Dr Andrea King.