ACCUEIL > QUESTION D'ACTU > Goutte : "Mais docteur, je ne peux pas faire une crise de goutte à 30 ans ?"

Témoignage patient

Goutte : "Mais docteur, je ne peux pas faire une crise de goutte à 30 ans ?"

Par Stanislas Deve

En 2022, le jeune Thomas a été diagnostiqué de la goutte, une maladie inflammatoire chronique des articulations qui touche généralement les plus de 50 ans. Il raconte son expérience.

Toa55 / istock
Après une première crise en 2022, Thomas apprend qu'il est atteint de la goutte, une maladie inflammatoire chronique résultant de la formation de microcristaux d’acide urique, mal traité par les reins, dans les articulations. Près de 1 % de la population française en souffre.
"Au début, j’ai eu peur, je me suis vu manger comme un ascète toute ma vie. Mais mon rhumatologue m’a vite rassuré : j’ai le droit de tout manger, mais plus avec excès. Sauf qu’avant, l’excès, c’était à peu près tous les jours."
En 2023, les médecins lui annoncent qu'il souffre en fait d’une maladie génétique due à une mutation du gène UMOD, caractérisée par une insuffisance rénale. Or c’est cette maladie même, héritée de son père, qui a déclenché la goutte. "Grâce à la goutte, on a découvert ce gène UMOD. J’ai donc gagné 10 ou 30 ans de mauvaises habitudes alimentaires qui auraient ruiné mes reins."

"La goutte, j’en avais entendu parler dans des livres comme la 'maladie des rois', parce qu’elle concerne surtout des gens qui mangent trop gras et boivent un peu trop d'alcool..." Il y a trois ans, après plusieurs semaines de douleurs, Thomas, 35 ans, a été diagnostiqué de cette maladie inflammatoire chronique des articulations, une forme d’arthrite qui touche habituellement les quinquagénaires.

"Mon gros orteil a subitement gonflé. Je ne me suis pas inquiété tout de suite car cela ressemblait à un bleu, et j’ai l’habitude de faire beaucoup la fête. C’est seulement au retour d’un festival de plusieurs jours que j’ai constaté que mon orteil avait triplé de volume et que je ne pouvais même plus poser le pied par terre." Le jeune homme, qui habite à Paris, fonce alors aux urgences, persuadé qu’il s’est cassé l’orteil. C’est là qu’une médecin lui annonce que c’est "soit une fracture, soit une crise de goutte". "Mais docteur, je ne peux pas faire une crise de goutte à 30 ans ?" "Bah si, potentiellement."

"Trois nouvelles crises de goutte, le temps que mon traitement fasse effet"

Bénéficiant, "dans [s]on malheur", d’un système de santé "incroyable", Thomas est directement envoyé et pris en charge par un rhumatologue, qui lui explique comment gérer sa maladie. Affectant près de 1 % de la population française, la goutte est une pathologie résultant de la formation de microcristaux d’acide urique dans les articulations et les tissus environnants. On parle de crise de goutte lorsque cet acide urique, mal traité par les reins, se trouve en trop grande quantité dans le sang, se dépose dans une articulation et provoque une inflammation. "Je prends un médicament tous les jours pour faire redescendre ce taux d’acide urique. Il faut faire des prises de sang fréquemment pour évaluer le bon dosage et maintenir un niveau toujours optimal. Un peu comme les diabétiques, sauf qu’eux doivent faire remonter leur insuline."

Les crises de goutte, c’est comme une énorme entorse. Sauf que la douleur est lancinante, elle ne te quitte jamais. A chaque respiration, à chaque fois que le sang passe, c’est extrêmement douloureux.

Le processus de soins démarre peu après son diagnostic. "Et il est long : cela peut prendre jusqu’à une année pour arrêter de faire des crises de goutte. Me concernant, j’ai quand même fait trois ou quatre nouvelles crises, le temps que mon traitement fasse effet." Après l’orteil, c’est le genou qui est atteint, puis le talon d’Achille. "Les crises de goutte, c’est comme une énorme entorse, la zone double de volume. Sauf qu’en plus de ne plus pouvoir poser le pied par terre, la douleur est lancinante. Elle ne te quitte jamais, t’empêche de dormir. A chaque respiration, à chaque fois que le sang passe, c’est extrêmement douloureux." Pour soulager en cas de crise, il est amené à prendre de la prednisone, un corticoïde aux effets anti-inflammatoires. "Mais il n’est pas question que j’en refasse une. Le piège des gens qui ont la goutte, c’est qu’ils vont mieux pendant six mois, donc ils arrêtent leur traitement et finissent par avoir une crise. Ce ne sera pas mon cas." Il se souvient bien de la douleur.

Une maladie génétique rare à l’origine de la goutte

Il y a, selon Thomas, "beaucoup de légendes urbaines autour de l’acide urique", mais s’il y a bien une chose qui risque de faire remonter son taux, "c’est l’alimentation". Les patients souffrant de la goutte doivent ainsi éviter les alcools forts, la bière (même sans alcool, car elle contient de l’orge), la charcuterie, la viande rouge, le poulet, les poissons gras, les fruits de mer, le riz blanc... "Il y en a un peu partout. Au début, j’ai eu peur, je me suis vu manger comme un ascète toute ma vie. Mais mon rhumatologue m’a vite rassuré : j’ai le droit de tout manger, mais plus avec excès. Sauf qu’avant, l’excès, c’était à peu près tous les jours chez moi, à base de restaurants quotidiens et de côte de bœuf hebdomadaire. Sans compter l’alcool, cinq fois par semaine, et jamais seulement un verre." Ce nouveau régime, drastique comparé au précédent, n’est pas toujours facile à avaler, mais le trentenaire s’y fait petit à petit : il mange "mieux", ne boit "plus vraiment", ne consomme "plus de drogues" et n’y voit "que des effets positifs".

Grâce à la goutte, on a découvert ce gène UMOD. J’ai donc gagné 10 ou 30 ans de mauvaises habitudes alimentaires qui auraient ruiné mes reins.

"Fait amusant", alors qu’il considérait son sevrage de l’alcool comme "une victoire sur lui-même", les médecins vont finalement lui apprendre que cela "ne change pas grand-chose à [sa] véritable condition". En 2023, un an après l’annonce de la goutte, un test ADN lui révèle en effet qu’il souffre d’une maladie génétique due à une mutation du gène UMOD, caractérisée par une insuffisance rénale. Or c’est cette maladie même, héritée de son père, qui a déclenché la goutte. "J’ai la goutte car j’ai les reins plus défaillants que la moyenne, tout comme ma sœur et mon frère probablement. Les reins sont comme une usine qui tourne à plein régime et, à chaque fois que tu la surcharges, à chaque excès, il y a un ouvrier qui meurt. Le problème, c’est que l’on ne peut pas réembaucher, il faut donc garder les travailleurs sains et saufs le plus longtemps possible car ça ne va aller qu’en se dégradant."

"Il faut réapprendre à manger"

L’annonce de cette maladie génétique – "si rare que c’est une maladie du Téléthon" – a été perçue comme "un coup de massue" pour Thomas, dorénavant contraint de limiter au strict minimum les protéines animales, qui abîment les reins : "On me prive du dernier petit péché mignon qu’il me restait. J’ai trouvé ça un peu injuste." Elevé avec des repas carnés midi et soir, le jeune homme doit, à 35 ans, casser l’idée reçue que seule la viande apporte la satiété. "Il faut réapprendre à manger, à cuisiner, étape par étape." Aujourd’hui suivi par un rhumatologue et un néphrologue, Thomas s’efforce néanmoins de voir le verre à moitié plein : "Grâce à la goutte, on a découvert ce gène UMOD. J’ai donc gagné 10 ou 30 ans de mauvaises habitudes alimentaires qui auraient ruiné mes reins. Et puis, il y a tellement plus grave que mon cas : ma maladie ne m'handicape en rien et je n’ai pas de douleur, je dois simplement faire attention à mon alimentation et prendre un comprimé le matin. Sinon, je peux tout faire comme avant."

J’ai quand même assez peur de la dialyse dans quelques décennies. Cela dit, je suis convaincu que notre système de santé aura trouvé des solutions d’ici là. Mon grand espoir, c’est d’avoir un jour des reins bioniques !

Peut-être même mieux qu’avant : depuis quelques années, le chef de projet informatique s’est sérieusement mis à la callisthénie, un sport qui consiste à développer sa force en utilisant le poids de son corps comme résistance – pompes en équilibre sur les mains, "drapeau humain"... "En sortie de période de Covid, je faisais 92 kg pour 1m80 – j’étais quand même un peu gros, La callisthénie m’a apporté beaucoup de confiance en moi, en mes capacités. Je me suis fixé deux figures de gymnastique et j’ai réalisé que je pouvais le faire. Avec du travail, tout est plus ou moins possible. Sans compter que lorsqu’on est bien dans son corps, plus gainé, les journées sont plus agréables que lorsqu'on est en surpoids, qu’on fume et qu’on boit."

Reste "une angoisse", entre autres : l’évolution de ses maladies. "Vu que j’ai la goutte juvénile, je prends à partir de 30 ans un traitement que les gens prennent en général à partir de 50 ou 60 ans. Les médecins ne sont pas alarmistes, mais le fait de devoir prendre un médicament à vie m’inquiète un peu, on ne connaît pas les effets à long terme. C’est le jeu. Concernant ma maladie génétique des reins, je fais dans la prévention mais j’ai quand même assez peur de la dialyse dans quelques décennies, comme c’est arrivé dans mon entourage. Cela dit, je suis convaincu que notre système de santé aura trouvé des solutions d’ici là. Mon grand espoir, c’est d’avoir un jour des reins bioniques !"