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L'interview du week-end

Dépression, addiction : «Les psychédéliques, c’est l’interaction entre la pharmacologie et la psychologie»

Les recherches sur le potentiel thérapeutique des psychédéliques, comme la psilocybine et le LSD, se multiplient depuis quelques années. Comment fonctionnent-ils sur le cerveau ? Quelles sont les conditions des essais cliniques ? Les risques ? Peut-on en attendre des miracles pour traiter la dépression ou l'addiction ? Le Professeur Mickaël Naassila, de l’Inserm, nous répond.

Dépression, addiction : \ Betka82 / istock




Plusieurs décennies après l’interdiction des substances psychédéliques, les études sur leur potentiel médical ont aujourd’hui le vent en poupe. Combinés à une psychothérapie, les traitements expérimentaux à base de psilocybine (la substance active des champignons hallucinogènes) et de LSD montrent des résultats prometteurs pour traiter la dépression résistante, l’addiction à l'alcool, l’anxiété... Le Professeur Mickaël Naassila, directeur du Groupe de Recherche sur l’Alcool et les Pharmacodépendances (GRAP) à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), étudie les mécanismes neurobiologiques qui se cachent derrière ces psychédéliques. Il fait le point auprès de Pourquoi Docteur.

Pourquoi Docteur : D’où vient cet intérêt croissant pour les psychédéliques en tant que thérapie ?

Pr Mickaël Naassila : Les psychédéliques ont été expérimentés et étudiés à partir des années 1960, une époque où les drogues, moins taboues, étaient largement considérées comme des médicaments, de véritables traitements psychiatriques. Dans la littérature scientifique, certains suggéraient que, comme on peut avoir des hallucinations avec l’alcool (par exemple pendant un delirium tremens), il pourrait être pertinent de tester des agents pro-hallucinatoires pour traiter notamment l’alcoolodépendance. Très vite, il a été question d’altération de l’état de conscience, d’accès élargi à l’esprit. Les psychédéliques semblent pouvoir favoriser une ouverture vers le monde, émotionnelle et sociale. Actuellement, dans le monde, une centaine d’essais – tant sur des modèles animaux que des humains – explorent le potentiel thérapeutique de la psilocybine et du LSD.

Les psychédéliques ne viennent pas modifier le circuit de la récompense comme le font les drogues. Ils n’induisent donc pas ou peu d’addiction, et sont par conséquent assez sûrs.

Qu’est-ce qu’un psychédélique ?

Structurellement, les psychédéliques ressemblent à de la sérotonine, un neurotransmetteur qui joue un rôle clé dans l’humeur, l’émotion, le relationnel avec le monde extérieur. Les psychédéliques viennent booster spécifiquement les récepteurs sérotoninergiques 5HT2A, qui eux sont impliqués dans les effets hallucinogènes. Leurs molécules vont être plus ou moins puissantes. Ce qui rend les psychédéliques si intéressants sur le plan thérapeutique, c’est qu’ils ne sont pas une drogue : ils ne viennent pas modifier le circuit de la récompense comme le font les drogues, n’induisent donc pas ou peu d’addiction, et sont par conséquent assez sûrs du point de vue de la tolérance.

Des scientifiques décrivent les psychédéliques comme un "hack du cerveau". Comment fonctionnent-ils ?

Les psychédéliques, combinés à une psychothérapie, constituent un nouveau mécanisme d’action thérapeutique. Leur effet est non seulement pharmacologique, mais il est aussi "boosteur" de la psychothérapie. On ne sait d’ailleurs pas encore si les bénéfices viennent de la psychothérapie, du psychédélique ou de l’interaction entre les deux, car les essais ne sont pas conçus comme tels. On explore actuellement la corrélation entre l’efficacité des substances et l’intensité de l’expérience mystique : dans quelle mesure les hallucinations, le "trip" vécu par le patient contribuent-ils à l’efficacité du traitement ? L’hypothèse la plus probable est que la combinaison des deux – psychédélique et thérapie – génère un changement d’état de conscience, une ouverture d’esprit, une moindre rigidité de pensée. Elle permet d’accéder au plus profond de ses émotions et de son passé pour aller identifier les sources de ses troubles et faciliter les interventions d’ordre psychologique. Les psychédéliques, finalement, c’est l’interaction entre la pharmacologie et la psychologie.

En plus d’assouplir la rigidité de pensée, les psychédéliques augmentent aussi la sensibilité à l’environnement : les patients seront davantage capables de ressentir et d’exprimer leurs émotions, ce qui va contribuer à réduire leurs symptômes dépressifs.

Concrètement, comment les psychédéliques peuvent-ils aider à traiter la dépression ou l’addiction à l’alcool ?

D’abord, il y a un aspect psychologique, comportemental. Dans le cas de la dépression et de l’addiction, les psychédéliques jouent sur l’activité des réseaux de neurones dans le cortex, principalement en boostant les récepteurs 5HT2A. Cela va contribuer à diminuer la rigidité de pensée, qui est une caractéristique clé des patients dépressifs ou alcoolodépendants : ils sont en mode automatique et peinent à changer de comportement et de mode de pensée. En plus d’assouplir cette raideur de pensée, les psychédéliques augmentent aussi notre sensibilité à l’environnement : les patients seront davantage capables de ressentir et d’exprimer leurs émotions, ce qui va contribuer à réduire leurs symptômes dépressifs et renforcer leur bien-être. On parle de libération émotionnelle. L’idée est que la personne retrouve de la flexibilité, une capacité de contrôle sur son comportement problématique.

Ensuite, il y a des mécanismes plus globaux de plasticité cérébrale, de reconfiguration des réseaux de neurones. Les imageries cérébrales montrent aujourd’hui que la connectivité cérébrale, qui se trouve modifiée dans les pathologies comme la dépression et l’addiction, est reconfigurée par les psychédéliques. On observe également des changements de plasticité au niveau morphologique : des neurones vont établir de nouvelles connexions. Enfin, on s’est aperçu que la psilocybine ou le LSD se fixent de manière sélective sur les récepteurs d’un facteur de croissance appelé BDNF (brain derived neurotrophic factor), très impliqué dans la dépression et l’addiction. Cela fait partie des explications du mode d’action commun des psychédéliques, sur lequel on pourrait agir.

Les effets sont bien sûr psychotropes, les patients décrivent une véritable expérience mystique hallucinatoire. Mais les doses sont scrupuleusement contrôlées.

Quelles sont les dosages des psychédéliques administrés lors des essais cliniques ? A quel point est-ce un "trip", un voyage intérieur pour les patients ?

Les effets sont bien sûr psychotropes, les patients décrivent une véritable expérience mystique hallucinatoire. Mais les doses sont scrupuleusement contrôlées. Le LSD, c’est entre 100 et 200 microgrammes. La psilocybine, c’est entre une dizaine et une vingtaine de milligrammes en fonction des participants, une quarantaine maximum lors de la deuxième prise, une fois qu’on a observé leurs réactions. L’administration du psychédélique se fait dans un environnement médical contrôlé, ce qui d’ailleurs peut contribuer à son efficacité – que se passerait-il on l’administrait directement au domicile du patient par exemple ? Il peut y avoir des risques (effets cardiovasculaires, psychose...), mais ils sont assez limités. Malgré les hallucinations, il n’y a pas de problématique de dépression respiratoire ou de danger en termes d’addiction.

En pratique, comment se déroulent les essais cliniques ?

Il faut d’abord déterminer l’éligibilité des candidats, en examinant la sévérité de leur pathologie, leurs comorbidités, leurs antécédents familiaux, mais aussi leur histoire de prise de psychédéliques – les effets étant à long terme, ils pourraient interférer. Chaque candidat sélectionné va bénéficier de séances de psychothérapie sur plusieurs jours, avant d’être hospitalisé une journée pour recevoir l’agent hallucinogène, en présence de quelques personnes chargées d’observer comment il vit l’expérience. Puis, le patient va reprendre sa psychothérapie pour parler de son ressenti, verbaliser ce qu’il a vécu. Il est ensuite suivi régulièrement, jusqu’à six mois après le traitement pour voir les effets sur le long terme. L’essai clinique peut aussi s’accompagner d’examens IRM des patients avant et après le traitement, ce qui permet de constater des modifications de structures cérébrales, en particulier au niveau du cortex et du système limbique, des régions qui jouent sur la valeur qu’on attribue à la drogue, à l’alcool, et sur le traitement des émotions, de l’humeur...

La recherche actuelle explore des psychédéliques sans effets hallucinatoires, des molécules dérivées. C’est un des enjeux.

Que pense le monde médical des psychédéliques ?

Comme tout nouveau traitement, cela fait naître des discussions au sujet de la réputation et la perception des psychédéliques, leur faisabilité clinique, l’encadrement des patients, etc. Certains soignants et chercheurs restent sceptiques, d’autres sont très enclins à proposer une nouvelle solution à leurs patients, surtout lorsque ceux-là résistent aux traitements classiques. Au moins, les psychédéliques offrent une alternative, une opportunité pour tester autre chose. Sans compter qu’ils peuvent créer un regain d’intérêt et motiver certains patients réticents à se faire prendre en charge médicalement.

Mettons que les psychédéliques deviennent un jour des médicaments comme les autres. Comment imaginer des traitements hallucinatoires sans que cela ne pose problème dans la vie de tous les jours ?

En effet, c’est une psychothérapie assistée très particulière, combinée à un traitement puissant qui agit au niveau cérébral et induit une réponse hallucinatoire : ça fait quand même beaucoup ! La recherche actuelle explore des psychédéliques sans effets hallucinatoires, des molécules dérivées. C’est un des enjeux.

Peut-on en attendre des miracles, ou de simples alternatives aux traitements conventionnels ?

Les résultats sont prometteurs, mais il faut être prudent. Dans les cas d’addiction ou de dépression, les pathologies sont très hétérogènes. Les psychédéliques ne sont donc pas forcément "miraculeux" comme on pourrait l’entendre parfois : les études montrent qu’ils peuvent fonctionner chez des patients dépressifs mais pas chez d’autres, ou seulement temporairement. Est-ce qu’ils fonctionnent aussi bien chez des personnes atteintes d’addiction très sévère, de comorbidités, de troubles psychiatriques... ? C’est pour cette raison que l’on a toujours besoin de nouveaux essais cliniques, avec de nouvelles populations, pour confirmer les effets mais aussi voir si tous les patients y répondent. En Suisse, cela fait des années qu’ils utilisent les psychédéliques pour traiter les troubles anxieux et dépressifs, ou les symptômes liés à l’addiction.

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